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Guy de Maupassant … Sur l’eau

Les Maupassant sont déjà liés depuis longtemps avec la famille Flaubert, notamment Gustave, l’écrivain. Ce qui n’est pas négligeable, voire déterminant dans la vie du petit Guy quelques années plus tard. Le frère aîné de Laure, mère de Guy, fut l’ami d’enfance de Gustave Flaubert, déjà connu dans le milieu littéraire français de l’époque. Un autre fait notable et qui jouera un rôle déterminant dans l’oeuvre de Maupassant est relatif à la maladie de sa mère Laure de Maupassant. Celle-ci souffre en effet de troubles nerveux. Malgré ce handicap, c’est elle qui assure l’éducation de ses deux enfants Hervé et Guy et les influence considérablement. Elle a pu leur trouver des correspondants de choix, notamment à Guy qui s’est montré plus éveillé que son frère, Louis Bouilhet et Gustave Flaubert. D’ailleurs, ce dernier fut son père spirituel dans sa carrière d’écrivain et demeure omniprésent dans son œuvre entière, sous une forme ou une autre. Le thème de la guerre, celle de 1870 à laquelle Guy de Maupassant a pris part, le marque de façon indélébile et transparaît clairement à la lecture de ses romans et nouvelles. Vers 1872, ses premiers écrits paraissent sous l’oeil bienveillant de Flaubert. La liaison avec d’autres écrivains de son époque, à l’instar de Zola, de de Daudet, des Goncourt…le propulse au devant de la scène littéraire.

Sur l’eau

A travers la lecture et l’analyse de ces nouvelles : La main d’écorché, 1875- Sur l’eau, 1876- Fou ? 1882- La peur, 1884- Mademoiselle Cocotte, 1883- Apparition, 1883- La chevelure, 1884- Le Horla, 2e version 1887- Amour, Sauvée, Clochette dans le recueil intitulé Le Horla, Editions Classiques Universels. Même s’il est difficile de trouver un fil conducteur entre toutes ces nouvelles, elles constituent néanmoins une suite logique et chronologique dans ses pensées et de ses productions. Certains thèmes et questions fondamentales de l’existence sont récurrents. Ainsi la question de l’eau, du feu, du fantôme et la peur revient de façon lancinante et ne peut être passée sous silence sous peine de biaiser l’analyse et de passer à côté de l’essentiel de l’oeuvre de Maupassant : «Une des idées les plus riches qui aient illuminé la critique au cours des 50 dernières années, est celle de l’utilisation des quatre éléments de philosophies anciennes, l’eau, l’air, le feu, la terre, dans l’analyse des thèmes propres à chaque artiste.[..] C’est à Gaston Bachelard (la psychanalyse du feu, l’eau, l’eau et les rêves etc.) que l’on doit cette intuition géniale […] Selon lui, l’imagination créatrice a besoin d’un support matériel […] Celui-ci reste à la portée de leur sens» [1]

Guy de Maupassant n’échappe pas à cette règle ; à ces supports matériels, lui dont le thème de l’eau occupe une place fondamentale dans son oeuvre littéraire. La nouvelle intitulée Sur l’eau- 1876 en est une parfaite illustration. Cet élément, l’eau, est chargé de connotations diverses et renvoie à des référents multiples : «L’être voué à l’eau est un être en vertige» écrit-elle dans l’introduction à L’eau et les Rêves. A ce propos, Lanoux le qualifie de «Homme de l’eau comme il y’en eut peu !» [2]

Dès sa tendre enfance, en effet, Maupassant aime les bateaux. L’eau apparaît alors pour lui, jusque dans le nom d’Etretat. Déjà adolescent, il adore aller vers la mer comme par instinct mais un instinct violent, irrésistible. Toute son enfance est marquée par les souvenirs aquatiques riches. Ceux-ci transparaissent nettement dans ses nouvelles. Une sorte de concentration intense de liquidité caractérise ses écrits : La Seine, la rivière, la mer, les berges, les flots, les marais, les vagues, l’océan, le fleuve, le courant, les canotiers, les embarcations, les rives…renvoient tantôt au calme, au bonheur, tantôt aux mirages aux fantasmagories mais aussi et plus cyniquement à la perfidie, au sinistre ; à la noyade, à la mort, à la terreur qui s’en suit. A ce propos, la nouvelle Sur l’eau est très significative.

Ce sinistre paradoxe traduit, on ne peut plus, l’ambiguïté de cet élément (eau) à la fois reposant, vital, puisqu’il permet l’évasion mais menaçant et dangereux pour l’évadé. Ce dernier est symbolisé par un pécheur, un marin, un canotier, un touriste ou un simple promeneur. La menace est représentée par «Le mouvement éternel de l’eau […] Les hautes vagues de l’océan» [3]. Cette passion dévorante pour l’eau, Maupassant l’exprime lui-même dans une correspondance adressée à Gisèle d’Estoc en janvier 1881 : «Enfant, j’éprouvais une véritable volupté à m’attarder, tout seul au bord de l’océan calme ou bouleversé par la tempête». Sur le même ordre d’idées, Lanoux ajoute : «L’eau fait chanter l’écrivain, l’eau et la grotte, symbole évident de la femme. La demoiselle, la fée, la femme est liée à l’eau. L’eau est femme. La femme est l’eau.» [4]

Ce penchant passionnel pour l’eau, Maupassant l’exprime également sans détours et de façon directe et explicite : «J’aime l’eau d’une passion désordonnée: la mer bien que trop grande, trop remuante, impossible à posséder, les rivières si jolies mais passent, qui fuient, qui s’en vont…» [5]

Le Fantôme, la peur

Durant sa courte vie, Guy de Maupassant a beaucoup voyagé, vogué, ramé, roulé… non seulement à travers l’Hexagone mais aussi à travers d’autres pays et continents : La corse, Alger, Bougie…et quiconque aura beaucoup voyagé… Cette mobilité perpétuelle sur terre et sur mer n’est-elle pas une stratégie pour échapper à la peur, à la mort qui le hantaient fait remarquer en substance de Goncourt en 1889 Cette obsession de la mort, cette hantise gagne évidemment ses personnages en mouvement permanent dans son oeuvre entière. Elle est traduite clairement dans Le Horla – 1882, dans Apparition, 1883, La Chevelure, 1884, La peur, La peur bis, 1884. Avec Le Horla, Maupassant fait une double entrée significative : l’une dans la notoriété littéraire et l’autre dans la maladie et la déchéance. Ses peurs sont amplement justifiées par la suite et ses angoisses fondées. Ce contraste saisissant a déchaîné bien des passions (et continue à le faire) et les supputations les plus pessimistes allaient bon train sur son état de santé mentale à son époque : «Le procédé du Journal (la structure du Le Horla) donne une réalité saisissante à cette seconde version, plus fouillée, plus lente, où l’horreur est exploitée à fond.» [6]

L’autre contraste souligné par Lanoux est celui qui relie à la fois «Le terrifiant et l’histoire, et la limpidité mélancolique de l’écriture.» [7]

N-a-t-il pas avoué par écrit dans une sorte de vision prémonitoire insérée dans un élan démoniaque dans la nouvelle intitulée Le Horla ? «C’est lui, lui le Horla, qui me hante, qui me fait penser ces folies ! Il est en moi, il devient mon âme, je le tuerai !» [8]

Cette peur panique de la mort, cette obsession maladive du Horla, comme celle de la vie se télescopent, se heurtent violemment, s’entrechoquent de façon permanente. Exaspéré par ses douleurs, ses migraines, ses hallucinations nocturnes, Maupassant songea à se tuer. Il a d’ailleurs fait deux tentatives avortées de suicide. Il le dit dans la vie comme dans son oeuvre : «Je constate nettement que ma santé décline, que mes douleurs physiques augmentent, que mes hallucinations sont de plus en plus longues durées, que ma capacité de travail diminue». Confie-t-il à Harris vers 1889 [9]. Ainsi le personnage du Horla, pour être sauvé n’a qu’une seule solution radicale : tuer le Horla, ce fantôme encombrant, gênant. Le «je» met alors le feu à sa maison : «Non… Non…Sans aucun doute, sans aucun doute…Il n’est pas mort… Alors… Alors… Il va donc falloir que je me tue, moi !… » [10]

Encore et toujours cette issue fatale à laquelle on ne peut échapper. Ce va-et-vient entre l’auteur et son oeuvre est un programme de vie. Avant la parution de Le Horla (fait étrange ou prémonition l’auteur a déjà pressenti l’effet « pervers» qu’il susciterait auprès des lecteurs et des critiques. En écrivant à un certain François, il lui dit ceci :

«J’ai envoyé aujourd’hui le manuscrit du Le Horla avant huit jours vous verrez que tous les journaux publieront que je suis fou. A leur aise, ma foi, car je suis sain d’esprit, et je savais très bien en écrivant cette nouvelle, ce que je faisais.» [11]

Maupassant cherche-t-il un coup médiatique ou anticipe-t-il les critiques ? CQFD. Or, il n’en a pas besoin car il était au sommet de la notoriété.

Conclusion : De quelques hypothèses sur le style de Guy de Maupassant

Le Horla constituait un moment fort dans la vie et dans l’oeuvre de Maupassant grâce au succès extraordinaire qu’il a eu (et continue d’avoir) auprès des lecteurs et des critiques. Grâce à cette nouvelle, il annonce un changement notable dans sa personnalité mais aussi il a crée un nouveau style en faisant appel à la psychologie des personnages, à son analyse profonde. Il passe ainsi d’une folie… à une autre : «Ce qu’il écrit, est la préfiguration de ce qu’il va être […] Cet homme imagine ce qu’il est.» [12] Note à juste Lanoux. Ainsi le verdict tombe comme un couperet, définitif, sans appel. Le Horla est là pour le confirmer. L’étude des personnages montre qu’ils sont tous victimes d’un même destin et semblent être interchangeables. Maupassant veut montrer, à travers l’exploration de l’inconscient, du désir enfoui, des peurs incrustées dans l’être ; là où le(s) partie(s) morbide(s) de l’individu s’enfouit, l’impossibilité de communication entre les hommes, l’amour malheureux d’être épris d’idéaux éphémères, d’illusions trompeuses, d’égoïsmes ravageurs, d’hypocrisies sournoises… autant de défauts et d’obstacles qu’il essaye de remonter à la surface. Avec Le Horla, tout ce mépris tente de laisser place à la compréhension mélancolique. La mise en scène des drames intérieurs des personnages tels que la peur, le fantôme, la mort, traduit une critique acerbe de la société et les désillusions perdues qu’elle véhicule. Il est convaincu que l’espoir est une forme d’illusion, un idéal mobile qui constitue une sorte de piège pour les personnages pour mettre en évidence cet aspect, cette théorie qui lui est chère dans la plupart de ses nouvelles, du moins dans Le Horla, sont construites sur ce modèle : Le personnage espère se libérer, sortir d’un espace clos «symbolisé par une maison, un bateau, un endroit quelconque etc.», d’une situation étouffante, d’une impasse, psychologique «pauvreté, maladie, dénuement…» Lorsqu’il croit respirer, délivré, l’étau se resserre de nouveau, brutalement. Si le personnage échappe à la mort, il ne sera pas indemne. Il sera ligoté par un engagement, rongé de remords. C’est le cas de mademoiselle Cocotte : «Un cocher nommé François devient fou après avoir noyé sa chienne, croyant pourtant faire plaisir à ses maîtres.» [13]

Il fut criblé de dettes et noyé dans le chagrin…

Le cas de Maison Tellier est significatif à cet également : des prostituées passent une journée à la campagne où elles étaient traitées en grandes dames, mais le soir venu, elles doivent retourner dans la maison close. Tout est illusion, rien n’est vrai ni stable aux yeux de l’écrivain. Un vocabulaire riche, étoffé, symbolise ce piège : eau noire, tourbillon, trappes, trous, bouts de ficelles, noyades…

Djamal Arezki

[1] – Lanoux, Armand, Maupassant le bel ami, p.36, Editions Les cahiers Rouges, Grasset, Paris,1979

[2] – Lanoux, Op.cit ; p.36

[3] – Sur l’eau, p. 20

[4] – Lanoux, Op. Cit., p.40

[5] – Introduction à Le Horla et autres contes, 2° Edition, J’ai lu, 1993

[6] – Lanoux, Op. Cit. p. 247

[7] – Lanoux, Op. Cit. p.247

[8] – In Le Horla, Op. Cit.

[9] – Cité par Lanoux, Op. Cit. p.243

[10] – In Le Horla, Op. Cit.

[11] Lanoux, Op.Cit, p. 250

[12] Lanoux, Op. Cit., p.250

[13] – In Le Horla, p. 39

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