Ce mouvement de recul du micro-crédit serait essentiellement lié à la réticence des banques de prendre en charge un financement qui manquerait de garanties de remboursement.
C’est pourquoi, Ouyahia a tenu à réunir, pour leur donner les orientations nécessaires, les directeurs des différentes banques publiques portant principalement sur ce sujet. En tout cas, ce serait une pure hérésie que de soumettre ce genre de crédit- supposé bénéficier à des jeunes sans ressources- aux règles hypothécaires ou prudentielles développées par les banques à l’endroit de n’importe quel crédit d’investissement.
Ce sont les mécanismes établissant une autre forme de solvabilité, y compris par des assurances à donner par les pouvoirs publics, qu’il y a lieu d’imaginer pour éviter les blocages de ce genre, mais aussi pour ne pas pénaliser les banques dont l’activité est censée obéir aux règles de la commercialité. Par ailleurs, au sein des établissements financiers publics, les capacités d’imagination et de management devraient être d’autant plus puissantes et fertiles que les surliquidités y ont atteint un seuil intolérable, à savoir mille milliards de dinars en 2007. Le Fonds monétaire international et Ahmed Ouyahia, avant son retour aux affaires, eurent à déplorer cette situation de manque à gagner qui grève l’escarcelle des banques publiques algériennes.
Le sort problématique des politiques publiques
L’Algérie, qui était considérée comme zone de transit pour l’immigration clandestine africaine, est en passe de rivaliser avec les pays de l’Afrique subsaharienne en matière d’ ‘’exportation’’ d’une jeunesse poussée dans ses derniers retranchements et mise en situation de loques humaines. Y a t-il un signe plus révélateur de l’échec d’une politique sensée servir la frange la plus importante de la population algérienne représentant presque 70% de celle-ci ? A l’échelle continentale, les analystes parlent crûment de l’échec des indépendances. L’on ne sait précisément si la mission d’appréhender le phénomène de l’émigration clandestine devrait revenir au ministère de la Solidarité nationale, lequel a organisé un séminaire au cours de l’année dernière sur ce nouveau phénomène de société. Quoi qu’il en soit, il est heureux qu’une partie officielle ayant compétence de pouvoirs publics manifeste de l’intérêt à ce qui est devenu la réalité la plus symptomatique de l’état de déréliction humaine dans lequel se trouve plongée une importante frange de la jeunesse algérienne en ce début du 3e millénaire.
Sans prétendre détenir de fiables statistique ni de fines informations sur les organisations réticulées qui jouent le rôle de ‘’bureau de main-d’œuvre’’ en la matière, l’initiative du département d’Ould Abbas a certainement permis aux participants au séminaire d’échanger les informations disponibles sur le nouveau drame qui frappe la société et qui, ironie du sort, a même pu profiter des produits des crédits ANGEM-barques de pêche-pour faire prendre le large, avec le ‘’soutien de l’État’’, à des jeunes désemparés.
La presse, après avoir régulièrement rapporté les mésaventures de ces candidats à l’exil, parle d’une ‘’affaire d’État’’ ou d’une affaire politique dès lors qu’une structure officielle s’est saisie du dossier.
La vérité est qu’elle l’était dès le départ, c’est-à-dire dès le moment où un seul Algérien en arrive à mettre sa vie en péril pour quitter ce qu’il considère comme l’enfer afin de rejoindre un hypothétique paradis supposé planté sur la rive d’en face. Que de drames familiaux ce genre de rêve fou a pu charrier ! On en est arrivé à voir se créer de façon informelle des associations de parents de disparus ‘’harragas’’ qui se donnent pour objectif d’interpeller les autorités du pays sur le sort de leurs enfants qui ont embarqué, par une nuit sans étoiles, à partir d’un anonyme cap ou d’une discrète calanque, vers une destination que seuls le vent et les courants marins auront décidée, même si le GPS-dernière technologie qui permet de quitter son pays…sans naviguer à vue-peut en corriger parfois les angles.
Sociologues, économistes, psychologues et tous ceux qui ont l’occasion de plancher sur un tel sujet n’ont pas manqué-au-delà des angles de vue propres à leurs métiers respectifs-de faire converger leurs griefs au mode d’organisation de la société, en d’autres termes, à l’État, en parlant crûment de faillite d’un système. Faillite économique qui, à l’ombre de la rente, a pu introniser l’injustice sociale, la corruption et la bureaucratie comme règle de conduite ; faillite morale, culturelle et intellectuelle qui a dangereusement discrédité et avili les valeurs de l’école et mis au placard l’éducation esthétique et artistique.
L’Algérie- société et gouvernants-est, en matière de prise en charge de sa jeunesse, en train de récolter ce que ses pouvoirs successifs ont semé depuis plus de quarante ans.
Ce ne sont évidemment pas les structures et les institutions conçues pour le secteur de la jeunesse qui manquent en Algérie. Néanmoins, plus on fouine dans les arcanes de cette méga-bureaucratie plus on se résout à considérer que ce sont souvent des corps inertes et désincarnés, en tous cas loin de se mettre au diapason d’une jeunesse travaillée au corps par les frustrations devant un monde, lointain et proche à la fois, où la vie grouille de moult exubérances, brille de mille feux et chante joie et alacrité.
Mais, c’est un monde qui ne s’est pas fait ex nihilo. Notre école n’a pas su donner les clefs qui permettent d’accéder au savoir qui a fondé les sociétés occidentales. On en arrive même à oublier qu’avant d’être des sociétés de consommation, elles sont d’abord des sociétés de production.
Un atout qui se mue en handicap
Le pouvoir politique n’a pas pu trop se voiler la face et a eu largement à reconnaître la dimension dramatique du phénomène de l’émigration clandestine tout en prenant acte de la signification d’un tel suicide collectif qui remet en cause bien des certitudes. Le président de la République a eu à présider au cours de l’année 2007 deux regroupements où l’émigration clandestine était au centre des débats. Les difficultés de la transition économique ont décidément charrié des pertes de repères sociaux et culturels au point que la jeunesse algérienne se livre en offrande aux immensités océanes. En évaluant à sa juste ampleur une telle déréliction humaine, le pouvoir algérien a sans aucun doute senti le poids de la responsabilité morale et politique laquelle, si elle n’est pas tout de suite sollicitée et mise en branle, risque de discréditer pour longtemps les décideurs de la maison Algérie.
Loin de prendre conscience d’une donnée qui est réellement plus un atout qu’un handicap, les responsables qui se sont succédé à la tête du pays ont, le moins qu’on puisse dire, péché par manque d’attention, dans les différents programmes et dans la stratégie globale de développement du pays, à l’endroit de la jeunesse. Toutes les politiques et les initiatives qui auraient dû valoriser cette fougueuse énergie et l’enraciner dans les réalités culturelles et économiques de notre pays ont manifestement manqué de visibilité et de pertinence. Comme le constatent d’éminents analystes, tous les errements du populisme politique et de l’économie rentière ont eu pour principale victime la jeunesse de ce pays. L’illustration de cette déconvenue par la multiplication infernale des cas de ‘’harragas’’ en pleine embellie financière du pays n’est probablement que la partie visible de l’iceberg qui tangue au gré des promesses non tenues et des illusions savamment entretenues. Jusqu’à quand l’Algérie continuera à se permettre de faire l’économie d’un débat et d’une étude sérieuse sur le secteur de la jeunesse dans une conjoncture où de grandes réformes sociales et économiques sont engagées dans le pays ?
Le potentiel juvénile algérien est envié par certains pays qui sont en train de subir un net vieillissement démographique. Une jeunesse poussée aux marges pathologiques de la société, plongée dans les bas-fonds de la délinquance et du chômage et happée par le vent de tous les intégrismes jusqu’à pouvoir se rendre par contingents dans les montagnes de l’Afghanistan pour guerroyer contre ‘’l’ennemi russe’’ est certainement en perte réelle de repères. Si sur le plan humanitaire et de l’hégémonie américaine dans la géostratégie mondiale il est de bon aloi de s’inquiéter du traitement réservé à nos compatriotes dans la prison de Guantanamo, il serait encore plus judicieux de se poser la question de savoir comment ces Algériens ont atterri là où ils furent capturés. Si certaines données politiques ont quelque peu changé par rapport au contexte qui avait permis alors d’aller ‘’porter la révolution’’ à six mille kilomètres d’Alger, le malaise social et économique et le vide culturel qui ont autorisé de telles aventures sont malheureusement toujours présents.
Il se trouve aussi que le monopole politique, la gérontocratie nourrie par ‘’la légitimité révolutionnaire’’ et la rente abritant une classe de ‘’médiocrates’’ avaient- par effet de force centrifuge- rejeté sur les bords de la culture et de l’économie les enfants de l’Algérie nouvelle. Les nouveaux défis économiques auxquels doit faire face l’Algérie en ce début du 3e millénaire- ouverture sur le marché mondial, compétitivité, nouvelles technologies de la communication, développement durable et protection de l’environnement- exigent d’extraire la jeunesse algérienne de la déréliction humaine dans laquelle elle se trouve et des ‘’marchands de rêves’’ qui lui proposent de défendre des causes qui n’en sont pas. Cela demande aussi que soit rendu l’espoir à la frange majoritaire de la population par une formation moderne qui puisse l’intégrer dans la nouvelle économie et par un investissement accru dans le champ culturel pour que notre jeunesse puisse s’ouvrir aux réalités du monde tout en étant fière de son algérianité.
La rue pour ‘’résorber’’ le déficit de communication
Le climat d’émeutes dans lequel ont sombré quelques villes algériennes pendant l’année dernière et au courant de l’année en cours nous rappelle cette simple vérité que le courant entre gouvernants et gouvernés est loin de passer de façon fluide même si des dizaines de rendez-vous électoraux censés créer cette symbiose ont été organisés depuis le début du nouveau siècle. Ce n’était pas une plaisanterie de mauvais goût cette signature, parmi une centaine, apposée au bas d’une pétition datant de 2004 :’’Émeutier’’ ! Dans son élan visiblement ingénu, le signataire ne croyait pas si bien dire en transformant un chef d’accusation en noble profession.
Et c’en est presque une lorsqu’on s’arrête sur les compte-rendus quotidiens de la presse. Au cours de ces derniers mois, bien des quartiers et des villes se sont transformés en véritables arènes où les blessés se comptent parmi les éléments des services de sécurité et les manifestants. Les dernières villes à faire les frais d’une telle furie au printemps dernier sont la coquette Gdeyel, une ville semi-provinciale à quelques encablures d’Oran, et Bériane, une des plus belles pentapoles mozabites. La culture de l’émeute est à ce point ancrée dans l’esprit de notre jeunesse qu’elle vient remplir le vide sidéral frappant cette frange importante de notre population en matière d’emploi, de loisirs et de divertissement. On ne sait par quelle maudite fatalité les cycles d’émeutes se renouvellent d’une façon quasi régulière dans une Algérie qui engrange ses meilleures recettes financières depuis plus de quatre ans. C’est au moment où, à l’automne dernier, le président de la République réunissait à Alger les walis du pays et des experts pour étudier de plus près les problèmes de la jeunesse-problèmes qui ont pris des proportions inquiétantes engageant la responsabilité des autorités et de la société tout entière-, que la localité de Chetaïbi s’est mise à bouillir, exposant sa jeunesse à affronter les forces anti-émeutes. Le coquet village d’Herbillon, situé au goulot de la presqu’île de Takouch, dans la wilaya de Annaba, a crié sa colère devant les canaux de communication obstrués et a exigé le départ du chef de daïra et de son secrétaire général. Pour en arriver à cette extrémité- qui a valu aussi des blessés parmi les citoyens et les gendarmes, des équipements détruits et des véhicules calcinés-, les citoyens de ce qui aurait pu être une station balnéaire sur un des plus beaux caps du littoral algérien ont longtemps rongé leur frein et attendu que les autorités locales se penchent sur un isolement socioéconomique inexplicable à quelques brassées d’une capitale provinciale comme Annaba.
Outre une justice sociale de moins en moins repérable dans un contexte d’embellie financière jamais égalé auparavant, la culture du dialogue et de la communication entre gouvernants et gouvernés se trouve être la marchandise la plus rare en Algérie. Comme le développement est un tout insécable (niveau de vie, santé, culture, éducation,…), le sous-développement l’est d’autant. Et il est difficile de trouver un autre concept que ce mot générique de ‘’sous-développement’’ pour qualifier ou caractériser cette situation d’anarchie où le citoyen se fait justice devant des canaux de dialogue qui n’ont jamais été bien exploités par les pouvoirs publics si, par malheur, ils ne les obstruent pas.
À chaque assaut des exclus et desperados de nos villes et villages contre l’ordre établi-et contre les forces de l’ordre qui viennent le rétablir-les autorités locales, les notables et le pouvoir central se trouvent en manque d’explications et surtout paniquent à l’idée qu’une ‘’intermédiation’’ tardive ne puisse pas régler le problème. Décontenancés, ces différents centres de décision n’ont, comme ultime recours, que les forces anti-émeutes. Ces dernières, si elles arrivent à circonscrire la ‘’jacquerie’’ temporairement dans l’espace et dans le temps, ne peuvent empêcher la survenue de dégâts matériels et mêmes humains.
En tout cas, le ‘’sang chaud’’ méditerranéen qui coule dans les veines des Algériens ne peut guère expliquer à lui seul la tendance à l’anarchie et à l’autodestruction. Face à l’opacité et au clientélisme qui caractérisent les actes d’intervention sociale de l’État (logements sociaux, soutiens à certaines catégories de citoyens, …) et devant la fermeture des horizons pour des milliers de jeunes sans qualification ou diplômés chômeurs, toutes les raisons sont les bienvenues pour en faire un tisonnier de la contestation : match de football (même si le club supporté en sort vainqueur), affichage de la liste des bénéficiaires de logements, recrutements sélectifs opérés par un entrepreneur- à qui, rappelons-le, on refuse le droit de ramener les ouvriers spécialisés qu’il a permanisés sur des chantiers relevant d’une autre commune ou wilaya-, absence d’éclairage public, détérioration de l’état de la route,…etc.
“Mains invisibles” et tirs de sommation
Dans un pays où les canaux de communication sont rompus depuis longtemps- à supposer qu’ils aient un jour existé-, il est illusoire de s’attendre à des protestations ‘’civilisées’’; car, outre l’absence de dialogue et de structuration efficace de la société civile susceptible de désamorcer ou, mieux encore, de prévenir de tels dérapages, les pouvoirs publics baignent jusqu’à présent dans une forme de déliquescence et d’apathie qui confinent la gestion du cadre de vie à une patente navigation à vue. Dans des situations aussi complexes et aussi fuyantes qui se posent en termes d’ordre public, il ne faut surtout pas s’étonner que des ‘’mains invisibles’’ finissent par prendre en charge la protestation et donner la tournure qui ‘’sied’’ à son contenu. Malheureusement, le terrain de la contestation-qui sustente l’esprit aventurier de tous les faux prophètes- est depuis longtemps irrigué par la mauvaise gestion, le clientélisme et les autres tares charriées par la distribution de la rente. S’il y a un ordre à rétablir, loin des bombes lacrymogènes et des tirs de sommation, c’est celui de la justice sociale et de la bonne gouvernance. Les manipulateurs ne sont malheureusement pas les payeurs. La démocratie, ce n’est pas, que l’on sache, seulement des rendez-vous électoraux, mais c’est aussi une culture et une justice sociale susceptibles de sublimer le potentiel de violence sociale en actes positifs de travail, de tolérance et de création. Les mesures annoncées par l’ancien Chef du gouvernement, M.A. Belkhadem, au début de 2008 et consistant à créer des milliers d’emplois spécialement pour la jeunesse peuvent-elles, à elles seules, ‘’pacifier’’ les comportements de celle-ci et lui assurer une intégration harmonieuse dans un espace social solidaire et tendu vers le progrès ?
Dans l’éventail des dispositifs sociaux destinés à ‘’absorber’’ temporairement une partie du taux de chômage frappant la jeunesse algérienne, celui adopté le mois de mars 2008 par le Conseil du gouvernement sous l’intitulé ‘’insertion professionnelle des jeunes diplômés’’ paraît le plus proche des formules utilisées dans les pays développés. Ce schéma, en vigueur dans un grand nombre de pays touchés par le phénomène de chômage, a été présenté par le ministre du Travail et consiste en un contrat de travail liant un diplômé à un employeur dans lequel l’État interviendra par le financement d’une partie du salaire.
Contrairement à la politique suivie jusqu’à ce jour par le dispositif pré-emploi- où l’État paye la totalité d’un salaire de misère pour un poste qui disparaît en deux ans de contrat-, le nouvel instrument réglementaire encourage l’employeur à embaucher des diplômés du fait qu’il ne leur payera qu’une partie du salaire, l’autre partie étant réservée à l’État. Ce dernier se désengagera progressivement de cet accompagnement (45% de participation la première année, 40% la deuxième (2e) année et 30% la troisième année) avec garantie de couverture sociale et réduction de l’IRG. Sans qu’elle puisse se substituer à une politique d’investissement basée sur la stratégie d’entreprise, cette formule contribuera, à coup sûr, si elle est délestée des carcans bureaucratiques et des habitudes de népotisme, à réduire notablement le chômage et à donner des chances aux jeunes diplômés de se déployer dans le monde du travail avant que le désespoir et le nihilisme n’investissent leur cœur.
Le gouvernement Ouyahia a hérité d’une situation sociale complexe, particulièrement dans ce domaine précis de la jeunesse où se bousculent et s’imbriquent les besoins de la frange majoritaire de la société, les intérêts des groupes et des clans et les défis de développement auxquels fait face un pays qui revient de loin. Et c’est certainement à l’aune de l’intégration de cette jeunesse dans le circuit économique- par le truchement d’une politique de formation appropriée et d’une stratégie de création d’emplois basée sur l’investissement et le développement des entreprises- que sera évaluée la politique du gouvernement en direction de la jeunesse.
Amar Naït Messaoud
iguerifri@yahoo.fr
