La grève et ses niveaux de nuisance

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Les taux d’adhésion à la grève des enseignants annoncés par le ministre de l’Education et ceux revendiqués par les syndicats autonomes sont dans la tradition des confrontations sociales. Trop éloignés pour que l’opinion puisse se faire une idée de l’ampleur du débrayage. Difficile de couper la poire en deux dans ce cas-là. Le ministre situe la proportion des grévistes entre “zéro et quatre pour cent” pour pouvoir se permettre la posture la plus désinvolte et le commentaire le plus méprisant: “C’est une grève illégale… un non-événement!” Les syndicats pour leur part compensent le manque, ou plutôt l’absence, de perspective à l’action par des prétentions de mobilisation susceptibles de leur donner bonne conscience à défaut d’aboutir à quelque résultat. Il ne s’agit pourtant pas de renvoyer dos à dos les deux parties. D’abord parce que les raisons de piquer de grosses colères chez les enseignants, il y en a à la pelle. A l’indigence des salaires, l’absence d’outils pédagogiquses, la surcharge des classes et la maigreur des possibilités de promotion sont venus s’ajouter depuis quelque temps des volumes de travail franchement inhumains. Par ailleurs, les syndicats autonomes qui n’ont que leurs capacités de mobilisation et leur crédibilité à faire valoir face au déni politique de reconnaisance, sont souvent tentés d’y recourir. ça n’a pas toujours bonne presse, ça donne du blé à moudre à une tutelle qui ne s’en prive pas, mais on ne peut pas vraiment le leur reprocher. Le problème est qu’une grève, dans un secteur aussi sensible, n’est jamais la bienvenue, surtout quand elle est aussi loin de faire l’unimanité, y compris chez ceux dont les intérêts sont en jeu. Elle n’est pas la bienvenue chez les parents d’élèves qui n’y trouvent le plus souvent qu’une autre source d’inquiétude pour l’avenir de leurs enfants dont la qualité de la formation laisse déjà à désirer. Elle n’est pas la bienvenue pour les enseignants qui n’y adhèrent pas à cause de leur nature “tranquille” ou de la faiblesse de l’argumentaire de ceux qui sont censés les convaincre.

Et elle n’est évidement pas la bienvenue pour une tutelle plus encline à entretenir le statu quo qu’à douter de sa politique quand elle vient à être interpellée. S’il lui arrive de concéder quelques moments et espaces de concertation quand la crise est à son paroxysme, elle n’en fait jamais une philosophie qui permette d’appréhender les conflits avec la volonté et la sérénité indispensables à leur résolution. Reste alors la démonstration de force dont les syndicats ne sont pas toujours capables eu égard à leurs propres limites organiques, mais aussi aux pressions et répressions qui ne sont jamais loin quand ils se voient obligés de passer aux ultimes méthodes de revendication. Cela amène ces syndicats à parfois revoir les ambitions de leur déploiement et envisager des actions sans éclat et donc souvent sans débouchés. Comme des grèves de trois jours destinées à la fois à avertir les dirigeants qu’il y a toujours quelques braises sous la cendre et surtout tester leurs propres capacités de nuisance après une rentrée dont ils n’ont rien dit de bien significatif. La tutelle, elle, n’a pas encore de raison de céder quoi que ce soit. A ce stade de contrainte, elle n’a pas l’habitude de le faire.

S. L

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