Arrêter la désertification des esprits

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Les aspects folkloriques qui ont mis cette culture ancestrale au contact des gens du Nord étaient au départ de véritables valeurs criant l’authenticité et même l’universalité d’un message humaniste transmis par les habitants de ces vastes espaces qui n’ont de désertiques que le nom et l’idée que veulent bien leur coller les gens en rupture de ban avec les racines profondes de l’Algérie.

L’imzad, Othmane Bali, Adel M’zab, Djibril (le légendaire guide touristique qui a été à l’origine de la célébrité dont jouissent Henri Lhote et les gravures rupestres du Tassili) et d’autres figures ou rites –comme le Moussem de la Sibaba- souffrent d’un déficit de « contextualisation » et de mise en perspective qui en feraient de véritables valeurs culturelles et historiques issues d’un monde riche et grouillant d’images, de vie et de spiritualité ; un monde qui n’aurait jamais dû cesser d’être nôtre.

Les images actuelles qui nous parviennent de ces territoires à la fois proches et lointains sont malheureusement brouillées par nos prismes déformants et nos visions stéréotypées. On n’est pas loin d’un certain exotisme de pacotille développé par le tourisme de bas étage. Est-ce que le nouvel élan touristique que le département de Cherif Rahmani compte impulser pour la direction du Sud permettra de faire valoir les vraies richesses de la région ? Il faut l’espérer pour ces populations qui en ont tant besoin.

Les oasis qui sertissent les océans de sable du Sahara pourront-elles, dans un futur proche, vivre des prestations d’un secteur que l’on a, par la grâce de la rente pétrolière, scandaleusement marginalisé ?. Dans la seule oasis de Bordj Omar Driss (ex-Fort Flatters), dans la wilaya d’Iliizi, il nous a été donné d’entendre des témoignages sur les marées humaines d’Européens qui venaient passer les deux Réveillons (Noël et Saint-Sylvestre) dans cette bourgade de 2500 habitants éloignée du chef-lieu de wilaya de quelque 700 km.

Il faut dire que jusqu’à la fin des années 1960, l’aéroport de la ville desservait… Paris. La piste de vol et les chenets de balisage sont toujours là pour témoigner d’un passé déchu. Aujourd’hui, il n’y a aucun transport public pour rallier cette belle oasis hormis les 4×4 des sociétés pétrolières ou un improbable bus hebdomadaire à partir de Ouargla.

Valoriser l’authenticité des lieux et des hommes

Notre pays participe régulièrement au Festival des cultures et civilisations des peuples des Déserts du monde. Le dernier rendez-vous s’est tenu à Alger en 2007. Avant, c’était Dubaï (en 2003) et Timimoun (Algérie) qui accueillirent cette manifestation un peu originale à laquelle ses initiateurs ont fixé des objectifs aussi bien culturels-échanges et interactions entre les communautés des contrées concernées- qu’écologiques de façon à pouvoir dégager les voies les plus rationnelles et les moyens les plus appropriés pour contribuer à la lutte contre la désertification.

Les données de la géographie physique placent l’Algérie parmi les pays les plus touchés par cette notion de désert. Sur l’ensemble de sa superficie, une proportion de quatre cinquièmes représente les zones arides, soit environ deux millions de kilomètres carrés. Bien qu’il dispose de 1200 km de littoral, notre pays-comme ont eu à l’analyser des historiens de la culture-est plutôt orienté vers l’intérieur, mis à part les intermèdes phénicien et turc où la mer avait eu ses lettres de noblesse en matière de défense, d’échanges commerciaux et d’ambiance culturelle et sociologique. Saint Augustin écrivait : « Nous qui sommes nés et qui avons passé notre adolescence au milieu des terres, nous nous sommes faits une idée de la mer à la seule vue d’un peu d’eau dans une coupe ».

Sur l’ensemble des pays qui assistent régulièrement à ce festival, une grande partie possède des terres désertiques plus ou moins importantes. Si ces espaces se trouvent aujourd’hui désertés par les populations en raison de la rudesse des conditions de vie qui y prévalent, il n’en a pas toujours été ainsi. Pour preuve, les cultures profondes et ancestrales de ces pays portent l’empreinte d’une vie, certes marquée par l’effort et le labeur, mais riche, dense, voire même parfois exubérante.

Pour le cas de l’Algérie, deux ères de l’histoire proche et lointaine confirment une activité débordante des espaces sahariens où, malgré l’adversité, les populations ont su évoluer dans un équilibre qu’elles ont ingénieusement entretenu. La période de l’industrie néolithique a vu, au Tassili des Ajjers, l’une des civilisations les plus florissantes de l’époque s’établir au sud du pays, phénomène qui, depuis les explorations de Henri Lhote et Théodor Monod au milieu du XXe siècle, n’a cessé de surprendre et d’intriguer les chercheurs par sa profondeur et son étendue. Malika Hached, Nadia Mecheri Saâda, Mouloud Mammeri, Slimane Hachi- chacun selon son profil ou spécialité- ont investi à leur tour, par leurs recherches et investigation, une partie de ces territoires.

La région, déclarée Parc national- le plus grand musée à ciel ouvert du monde-, s’étend de Djanet jusqu’aux confins de Tamanrasset. L’autre grand moment de l’histoire de ces territoires est sans aucun doute le grand mouvement commercial ayant établi les routes sahariennes et les caravansérails de Tombouctou à Ouargla et de Sijilmassa à Tlemcen. À la même occasion, les échanges culturels et les brassages ethniques ont assis l’aire culturelle sahélo-saharienne faite de berbérité, d’islam et d’africanité.

L’un des meilleurs systèmes communautaires sahariens, impliquant organisation sociale solidaire, équilibre environnemental et domestication de la nature au profit de l’homme (ce qu’on appelle aujourd’hui développement durable), a été fondé il y a mille ans à El Ateuf, une des Pentapoles de la vallée du M’zab. L’un des principes de la Fondation des Déserts est justement de réhabiliter, de promouvoir et d’élargir ce genre de patrimoine (matériel et immatériel) pour faire garder aux espaces désertiques leur dimension humaine. Car, en fait, la grande rupture historique qui a conduit à l’abandon de ces terres maternelles et à l’exacerbation de l’hostilité des éléments de la nature par un déséquilibre écologique de plus en plus compromettant, c’est bien la colonisation et le grand triomphe du capital qui ont fondé les grandes villes et même déplacé certains centres de gravité de l’activité humaine.

Le défi qui se pose à des pays comme l’Algérie est de savoir comment rendre justice-par des actions de développement durable- à ces espaces qui constituent aujourd’hui la première source de rente de la collectivité. En tout cas, il semble-comme l’a si bien caractérisé un savant-que la première action de lutte contre désertification à mener est celle relative à la « désertification des esprits » !

Amar Naït Messaoud

iguerifri@yahoo.fr

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