“Il y a de plus en plus de personnes qui donnent un sens à mes chansons”

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Il aborde dans cet entretien, les embûches et les difficultés qui se dressent devant les artistes. Les problèmes liés à la promotion, les spectacles et aussi les moyens financiers afin d’y parvenir…

Zimu n’a pas surtout omis de parler de ses textes, ses adaptations et sa manière de travailler.

La Dépêche de Kabylie : Vous avez apporté un nouveau style à la musique kabyle. Votre style de rapproche de celui de Brassens, Moustaki, Renaud… comment êtes-vous venu à ce style ?

Mourad Zimu : Je ne suis pas trop à l’aise pour parler d’un style propre à moi qui ressemblerait à celui des Grands : Brassens, Moustaki et Renaud … Je crois que le petit bout de chemin que j’ai emprunté dans la chanson porte en lui tous les ingrédients que j’ai intériorisés lors de mon apprentissage de la chanson. En somme, ma chanson, s’inspire de toutes les chansons que j’ai eues le plaisir d’écouter jusque-là. Ma chanson est aussi le résultat de tout ce que j’ai lu, ce que j’ai appris à l’école ou chez mes amis et dans ma famille, des influences de mon entourage en général… Il suffit de savoir que j’ai appris la guitare en jouant les chansons d’Aït Menguellet et de Idir pour se rendre compte qu’on ne vient pas de nulle part à la chanson mais qu’on vient toujours de quelque part. Pour répondre à votre question, on se retrouve par hasard dans un style mais ce hasard trouve ses explications dans notre vie.

Si nous abordons vos années d’études à l’université de Tizi Ouzou, elles semblent revenir dans vos trois albums, quels souvenirs gardez-vous de ces années, et quel est leur apport à votre personnalité artistique ?

Avant l’université de Tizi-Ouzou, j’ai aussi été étudiant à l’université d’Alger. Comme vous le dites, il est clair qu’on ne sort pas « indemne », au sens artistique du terme, quand on passe une dizaine d’année à l’université. Vous savez à l’université, comme à l’armée, avec ma foi, moins de violence et de médiocrité et plus de liberté, on tisse des amitiés intéressantes, on apprend à écouter les autres, on apprend à aimer et à détester aussi, on apprend à débattre, à triompher mais aussi à ingurgiter amèrement nos défaites … si vous voulez, on se découvre une personnalité à part entière. Il y a comme un souffle de liberté qui fait sauter les verrous de notre éducation. C’est là qu’on se découvre poète, artiste, peintre, malade, pervers, scientifique, chercheur ou meneur d’hommes, etc.

Zimu est un jeune artiste qui a su et pu se frayer un chemin en si peu de temps, peut-on en connaître le secret ?

« Se frayer un chemin en si peu de temps » ça dépend du sens que vous donnez à cette phrase. Je ne négocie toujours pas la sortie de mes albums. Je suis toujours à la merci des « éditeurs ». Je vends toujours à perte mes œuvres. Je prends toujours en charge mes frais d’enregistrements. Je n’ai pas encore reçu un centime de notre chère Onda. Si se frayer un chemin dans la chanson ne ressemble pas à tout ça ; je suis à quelques années lumière de le faire.

Si, par contre, « se frayer un chemin » est de voir des personnes anonymes vous dire qu’elles aiment vos chansons, d’entendre parler d’un couple qui s’est réconcilié en écoutant Ughald- kan, de voir un militant des Archs, les larmes aux yeux en écoutant D Tafsut kan d Taberkant, de voir un ami vous appeler après 8 ans d’absence en écoutant Ay ameddakel … si c’est ça « se frayer un chemin dans la chanson » alors là je vous dis : « Oui ça commence à fonctionner.  » Il y a de plus en plus de personnes qui donnent un sens à mes chansons.

Sinon parlez-nous de votre manière de travailler, notamment l’écriture du texte ?

Pour les adaptations, il faut d’abord que le texte me plaise et que je puisse l’imaginer en kabyle. Si j’arrive à le concevoir dans ma tête, je commence à travailler sur le texte originel. Vers après vers, je me mets à chercher les expressions kabyles qui rendent bien compte du sens tel que je le comprends. Là, j’appelle à ce stade mon travail « un chantier ». J’ai des dizaines de chantiers d’ailleurs. Pour les terminer, il faut ajouter au travail de traduction un peu de création pour avoir des strophes cohérentes et un texte vraiment kabyle. Lors de cette dernière phase on oublie un peu le texte originel. Pour les autres textes, je démarre des fois d’une expression lue ou entendue chez un ami, des fois je démarre d’un enchaînement d’accords ou d’une musique, des fois encore je démarre d’un texte mais sans tenter une adaptation, je saute toutes les étapes pour arriver au stade de création comme c’est le cas dans Les charognards et Si t’es mon pote de Renaud.

Voilà, reste une petite partie de textes dont on n’expliquera pas la venue, pour faire durer le suspense dans la tradition poétique kabyle ; c’est aussi un secret professionnel pour que le métier ne change pas de main. Évidemment, je dis ça pour plaisanter.

Vous avez abordé aussi l’immigration ou l’exil, mais d’un côté fataliste, pourquoi cet angle de tir ?

Voici finalement un thème qu’on ne traitera jamais assez dans la chanson kabyle. J’avais envie de parler d’immigration en évitant un discours moralisant. C’était difficile à faire. Comment témoigner de ce qu’est de nos jours l’exil pour une jeunesse qui ne rêvent que de s’exiler. Le discours nostalgique sonnerait en déphasage avec la réalité mais parler aussi de la douleur de s’éloigner de sa patrie est entachée de morale. C’est de ce dilemme qu’est née la chanson Amexbut composée avec Ameziane Kezzar.

Par rapport à la situation de la chanson kabyle d’aujourd’hui, dominée par le rythmé, que pensez-vous de cette « évolution », si évolution il y a ?

Tout le monde critique la chanson rythmée, à voix robotique. Votre journal consacre à cette mouvance bien des entretiens et des articles à la sortie de leurs albums. Mais je suis devenu un peu sage, contrairement à mes débuts, où j’avais consacré à ce fléau une chanson composée en 1997 Muhuc sortie en 2001 dans l’album Salupri.

Ce n’est pas que je suis, à présent, indifférent, mais, je me suis rendu compte que la chanson robotique est imposée par tout un système. Ces chanteurs qui s’y investissent le font souvent par choix. Malgré toute la critique et le ras le bol du non-stop qui s’exprime un peu partout, disons-le tout court, ces chanteurs trouvent quand même un chemin vers l’enregistrement de leurs albums, ils trouvent souvent des sponsors, des éditeurs, des médias pour les soutenir (les radios diffusent leurs chansons à longueur de journée, ils ont des clips à l’ENTV et à BRTV…) et même pire que ça… leurs albums se vendent par milliers donc on a des consommateurs de ce genre de chansons dans nos maisons, chez nos voisins… Alors il est de notre devoir de cesser cette hypocrisie. Cette chanson rythmée est là parce qu’elle répond à un besoin et parce qu’elle constitue un marché. Mais hélas, pour ma part, je me garde le droit d’exprimer mon avis ; elle reflète l’état de décomposition avancée du cadavre de notre musique assassinée pour faire plaisir à ces asticots qui se nourrissent de la médiocrité. Tout ce que nous pouvons faire à notre niveau (moi et mes amis Djamel Kaloun, Nacer Ouaret, Elyas…) est de continuer à faire la chanson que nous aimons. C’est tout. À nos auditeurs de juger de ce qui est urgent à faire à leur niveau pour nous aider à résister.

Zimu est connu du grand public, mais souvent absent des concerts et des salles de spectacles, peut-on s’attendre à une tournée en Kabylie ?

Pour faire une tournée, il faut être disponible et payer des musiciens, louer des salles, obtenir des autorisations, s’occuper de la promotion. Pour l’instant les conditions et les moyens financiers ne sont pas réunis pour monter ce genre de projets. J’espère qu’on parviendra un jour à le faire.

D’autres projets dans le domaine ?

Après la sortie du troisième album Apipri kan cette année, je suis déjà en phase de préparation du quatrième qui sera enregistré au courant de l’année 2009. Je prépare aussi l’édition d’un recueil de nouvelles après la sortie de Tikli édité dans la collection Idlissen-nnegh du HCA.

Un dernier mot peut-être ?

Merci aux amis qui me soutiennent et m’encouragent sur Internet : www.zimou.fr www.dailymotion.com/zimu

Entretien réalisé par Mohamed Mouloudj.

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