Hormis quelques commerces que l’on peut compter sur les doigts d’une seule main et qui arrivent à se maintenir vaille que vaille, beaucoup ferment et il ne se passe pas un mois sans que n’apparaisse maladroitement peinte sur les rideaux de fer la mention “à vendre”. Des établissements, il n’y a pas si longtemps prospères et bien achalandés, baissent ainsi définitivement rideauxPeu à peu, cette partie, le cœur de Bgayet se dépeuple et délocalisation oblige, plus personne en vérité n’est prêt à tenter la gageure d’activer dans ces quartiers dénaturés en lambeaux, qui ne sont plus que le pâle reflet des îlots rupins, fleurant bon l’opulence, le goût des bonnes choses et un certain art de vivre. La population mise à rude épreuve a perdu de sa superbe dans le même temps où son pouvoir d’achat a entrepris une dégringolade qui semble ne plus pouvoir s’arrêter. Pourtant, la partie haute de la ville offre des avantages indéniables : la propreté (toute relative), le calme, l’absence d’immondices à chaque coin de rue… Cela côté cour. Côté jardin, si une forte inflation a touché le foncier (existe-t-il encore aujourd’hui ?), l’immobilier en l’état ne vaut pas un clou. Les immeubles, notamment ceux de la rue pompeusement appelée piétonnière, en fait une venelle-parking sordide, qui, il n’y a pourtant pas si longtemps, était la rue principale de la cité où le Tout-Bgayet se bousculait, histoire de se montrer et d’échanger potins et nouvelles fraîches, menacent de tomber en ruines.Les commerces qui tiennent encore le sont par la grâce et les efforts de leurs propriétaires qui se plient en quatre pour maintenir vivace une réputation, une qualité qui remonte aux années d’avant-l’indépendance. C’est le cas d’un certain pâtissier, d’un libraire bien connu et d’autres qui assistent impuissants à la détérioration de leur bâti et de leurs chiffres d’affaires. Il en est jusqu’aux pavés à se faire la malle !Ce qui est important à souligner, c’est que depuis l’indépendance aucune opération de restauration du vieux bâti n’a eu lieu. Et ce ne sont sûrement pas le ravalement des façades et leur badigeonnage en bleu et blanc qui vont occulter l’état avancé de délabrement des bâtisses.A Bgayet, dans cette partie haute de la cité, ceux qui sont chargés de la gestion de la cité se moquent superbement de la préservation du patrimoine immobilier, constitué pour l’essentiel de legs français, et de sa valeur architecturale. Pis, ils poussent l’incurie jusqu’à abandonner ce dont la ville devrait s’enorgueillir. Il en est ainsi de l’imposant tribunal que les couches successives et épaisses de peinture finiront bien un jour par ensevelir, de La Casbah rongée par les cactus et qui s’effrite par pans entiers, de Bordj Moussa… Même la collection de toiles de maître de l’ex-galerie Aubert y est remisée dans une cave !C’est dire les goûts éclectiques et la recherche continuelle du beau, de l’art chez nos décideurs, dont les choix auxquels personne par ailleurs n’est associé sont discutables quand ils ne sont pas tout simplement la preuve par l’absurde de ce qui ne devrait pas se faire. A Bgayet, il n’y a pas que les vieilles pierres à pâtir de l’inconscience des hommes. Les constructions érigées hier seulement à coups de milliards partent en quenille, montrant l’exemple à ne pas suivre en matière de derniers publics jetés par les fenêtres. Du motel des Cimes, il ne reste qu’un mini-village fantôme livré au peuple macaque et l’hôtel des Oliviers, sa carcasse, juchée sur une butte avec vue imprenable sur la mer ne trouve pas preneur… Les limites de l’intolérable sont ainsi atteintes par ceux-là même qui pérorent à longueur d’année sur la vocation touristique non seulement surfaite, mais totalement aberrante d’irréalité d’une région, dont le développement irréfléchi, anarchique le dispute aux prédations à répétition. Là où le bât blesse, c’est qu’ils, les maîtres de la cité, investissent le ministère de la parole, s’inventant des bilans positifs servis par une sémantique savamment choisie pour son opacité. La tendance est toujours aux descriptions dythirambiques d’une nature, certes généreuses, mais malmenée plutôt deux fois qu’une… C’est cette même suffisance qui fait que certains s’extasient de ce que des étrangers viennent nettoyer notre m… et toute la saleté qui supplante le couvert végétal du PNG. Et cette plaie au-dessus de Sidi Ouali, œuvre de pyromanes… Pour le reboisement, acte citoyen, on verra plus tard, peut être à l’occasion de la venue d’autres étrangers. Beaucoup à Bgayet parlent le langage des dépliants touristiques et décrivent dans le plus pur style carte-postale une nature malade. Parmi les plus beaux spécimens de la faune et de la flore, il faudrait peut-être ajouter les canettes et bouteilles de bière, les berlingots de vin et le roi des forêts, sa majesté “sachet noir”…Y a-t-il meilleur exemple de la culture du tout béton que la disparition des jardins public des sardines oubliés. La vieille ville en verdure propice au repos, à la détente et au farniente. Disparus, rayés de la carte les espaces verts : ils ont été transformés en buvettes. Même la porte sarrazine n’a pas été épargnée puisque les marchands des ruines l’ont investie : une cafétéria sous la monumentale arche marine et un camion à casse-croûte à proximité immédiate sont là, comme autant d’épines dans l’œil. Avec la construction de boutiques à la place de la poste au marché Philippe, à la place Ifri, sur l’esplanade de Bordj Moussa, on se dirige tout droit vers une situation ubuesque où l’offre d’échoppes sera plus importante que la demande des commerçants. Résultat, seuls quelque-uns tiendront le coup. Le reste va se spécialiser dans la chasse aux marches ! Une ville, c’est un tout, et les espaces verts y tiennent une place de choix. Ce sont tous ces facteurs, endogènes et oxogènes, où la main de l’homme est omniprésente qui font que l’avenir de Bgayet, son devenir immédiat sont fortement hypothéqués.La ville a besoin d’actes forts, de décisions courageuses prises après des consultations aussi larges que possible, des priorités à définir. Il faut aussi et surtout se départir de l’esprit “les trottoirs avant tout”.Histoire de mettre, dans le bon sens, charrues et bœufs !Quant à la vieille ville, sa prise en charge intelligente, focalisée sur l’essentiel et non sur l’accessoire s’avère plus qu’une nécessité. Elle est prioritaire en ce sens qu’il y a véritablement péril en la demeure. Quant à la prétendue manne extérieure, espagnole pour retaper le Fort Gouraya et Onusienne (UNESCO) pour remettre en état La Casbah, elle demeure encore à l’état de simple vue de l’esprit, de ritournelle tout juste à même de calmer quelque velléité d’opposition. De toute façon, vaut mieux ne pas y compter. Il n’y aura à coups sûrs pas d’Heraclés pour nettoyer nos écuries !
Mustapha R.
