“Le kabyle est une évolution du berbère

Partager

La Dépêche de Kabylie : Lors du colloque du HCA, vous avez rejeté le fait que l’on puisse classer la langue tamazight comme faisant partie du patrimoine. Pourquoi ?Mohand Akli Haddadou : Quand on parle de patrimoine, la première idée qui vient à l’esprit, c’est le patrimoine, c’est ce que les ancêtres ont légué. C’est généralement quelque chose de figé, qui n’évolue pas et qui, reste comme un souvenir du passé. Ce qui m’a frappé, c’est qu’on ne considère pas la langue arabe comme un patrimoine. On ne dit pas par exemple que la langue arabe est le patrimoine de tous les Algériens pour la simple raison que l’arabe est une langue vivante, c’est une pratique sociale, un instrument de communication et d’apprentissage. La même conception doit naturellement être valable pour la langue berbère. Cette dernière est une langue utilisée dans la vie quotidienne. C’est une langue d’enseignement depuis une dizaine d’années. C’est aussi une langue du savoir. Le berbère est un instrument de communication réel et actuel.

Quand est-ce qu’on doit parler alors de patrimoine berbère ?ll On parlera de patrimoine linguistique amazigh pour toutes les régions d’Algérie et du Maghreb où le berbère n’existe plus où tamazight n’est plus un système de communication. Bien sûr le berbère est patrimoine des régions arabophones. Il est patrimoine parce qu’il est resté dans les noms de lieux, dans les noms de personnes et comme une marque dans la langue arabe dialectal. Vous savez que quand on change de langue, la langue première ne disparaît jamais. Il y a toujours un substrat, un point de départ sur lequel va s’ajouter la langue qui arrive. Dans l’arabe dialectal, il y a des traces du berbère. Tout cela peut constituer un patrimoine. Mais pour les gens qui ont tamazight comme langue maternelle, le berbère n’est pas un patrimoine.

Ce colloque a été l’occasion de relancer le débat sur l’enseignement de tamazight, qui, dix ans après, reste confronté à une multitude de problèmes. Pourquoi selon vous ?ll Il y a une contradiction fondamentale. D’un côté, on a les intentions de l’Etat d’améliorer la situation, de faire de tamazight une langue de la modernité par son enseignement pour son entrée dans les médias. De l’autre côté, il y a la réalité de l’application des textes gouvernementaux. Les textes disent que dans toute école où les enfants formulent la demande de l’enseignement de tamazight, quand ils atteignent un certain quorum, l’école est obligé de fournir un enseignant de tamazight et d’établir un emploi du temps de cette langue. Malheureusement, cette volonté est souvent restée lettre morte. Parfois ce sont les autorités communales qui bloquent, parfois, ce sont les autorités de l’Education nationale et des fois c’est carrément l’intervention du chef d’établissement qui freine cet enseignement. On dresse des barricades, et on met plein d’handicaps pour empêcher ces textes d’être pratiqués. En outre, il y a une disposition qu’il faut absolument abroger, qui dit que l’enfant doit avoir l’autorisation de ses parents pour recevoir l’enseignement de Tamazighe. Est-ce qu’on demande l’autorisation des parents pour enseigner les mathématiques, la géographie ou l’arabe ? On ne le demande pas. Donc, il y a cette mauvaise volonté dans l’application des textes gouvernementaux concernant Tamazight qui sont une réelle avancée dans l’enseignement de cette langue.

Que préconisez-vous pour parer à cette situation ?ll Il faut que les autorités soient vigilantes pour vérifier que les textes qui existent sont bien appliqués. Il est impératif de lever les obstacles à cet enseignement. Il ne faut pas s’étonner que cet enseignement recule.

Le débat sur le choix des caractères de transcription de tamazight s’éternise. Votre point de vue sur la question ?ll Le choix du système d’écriture est d’abord un choix de société. C’est vrai que c’est aussi un choix politique. Mais si ce choix politique est contre la volonté de la société, ça va poser problème car la société rejettera le choix politique. Ce choix est une question d’équilibre contre les attentes de la société.

Mais on a souvent dit que le choix des caractères est l’affaire des scientifiques…ll Du point de vue de la science, n’importe quel système d’écriture peut transcrire toute langue. La preuve est que des trois systèmes d’écriture qu’on utilise pour tamazight, aucun ne lui convient parfaitement. Chacun de ces systèmes d’écriture doit être adapté au berbère actuel, du moins au kabyle. Pourquoi ? Parce que le système tifinagh, à l’origine a été conçu pour transcrire le targui qui est un dialecte berbère certes, mais qui est différent du kabyle. Le système arabe aussi demande des adaptations. Le système latin, également, demande des adaptations.

Concernant la variante kabyle, depuis des décennies, la langue est transcrite en latin et toute la production, notamment livresque s’est faite en caractères latins, ne serait-il absurde de tout remettre en cause et de tout refaire à zéro ?ll Ce que vous venez de dire constitue de fait un choix de société, les gens choisissent d’écrire leur langue en caractère latin. J’écris moi-même en caractère latin. Il faut voir la tendance qui l’emporterait au sein de la société. En principe, quand le choix politique sera tranché, il ne doit pas aller à l’encontre des tendances de la société. Les scientifiques, eux, interviendront lorsque le choix sera fait. Le spécialiste est un locuteur comme un autre et il n’a pas le droit d’imposer sa volonté. Je vous l’ai dit, on pense transcrire le berbère même en caractères grecs. Il suffit d’adapter ce caractère pour le faire. Les caractères latins eux-même, transcrivent des centaines de langue qui ne sont pas européennes. Le vietnamien est, par exemple, transcrit en latin. Un grand nombre de langues africaines est aussi transcrit en latin. C’est le cas aussi des caractères arabes. L’iranien moderne et les langues indo-européennes sont transcrites en caractères arabes. Le choix idéologique et politique est déterminant. Le turc, par ailleurs, a abandonné les caractères arabes en 1920 pour des raisons politiques. Kamal Ataturk a imposé le système d’écriture latine, pour le turc, il voulait rompre avec l’Orient. Il a eu des visées entièrement européennes. Donc, il a changé son système d’une façon draconienne.

En plus de la transcription, il y a un deuxième problème qui risque de s’inscrire dans la durée. C’est l’existence de plusieurs variantes. Est-ce que le kabyle peut être considéré comme une langue à part entière ou faut-il travailler pour l’édification d’un tamazight standardisé ?ll C’est vrai qu’on peut toujours démontrer l’unité de la langue berbère. On peut montrer qu’au niveau linguistique, il y a des structures communes, il y a des structures morphologiques communes, et un vocabulaire commun. Ceci donne l’idée que cette langue a été unie à l’origine. La réalités d’aujourd’hui, c’est que les dialectes berbères sont séparés les uns des autres. La preuve, lors du colloque du HCA, quand le collègue de Khenchela avait lu son texte, la salle avait demandé qu’on traduise.Il lui aura fallu qu’il le lise en arabe pour que l’assistance le comprenne. Ce qui veut dire que l’intercompréhension est réelle. Dès qu’il n’y a plus d’intercompréhension, on est devant deux langues différentes. Je crois qu’il faut aller vers cette réalité. Les différences entre les dialectes berbères sont telles qu’il faut envisager les dialectes comme des réalités séparées. On ne peut pas faire le même manuel scolaire pour les enfants kabyles et les enfants targuis. Les variantes sont tellement différentes. Il faut aménager chaque dialecte séparément en fonction de la volonté des locuteurs de ce dialecte de développer tamazight. On ne peut pas imposer l’enseignement du berbère à une région qui n’en veut pas. Il faut respecter le choix des citoyens.

Est-ce que cette option ne risque pas de remettre en cause le fait que tamazight est la culture de tout ce Maghreb ?ll Non, parce qu’il y a plusieurs façons de procéder. Au plan culturel symbolique et historique, il y a une unité fondamentale que personne ne peut remettre en cause. On peut même dire que tamazight est le ciment du Maghreb. Les pays du Maghreb sont tous Berbères. Ils partagent une histoire commune. Mais au niveau linguistique, c’est différent. La langue est un moyen d’expression. Si je parle avec vous et que vous ne compreniez pas, il n’y a plus de langue commune. Le kabyle, c’est l’évolution du berbère, dans une région précise sur une longue période. Pour arriver au kabyle actuel, il a fallu des siècles d’évolution du berbère.Et ces siècles d’évolution, on ne peut pas les effacer, aussi facilement. Vous allez faire par exemple le même manuel pour la Kabylie et pour le Hoggar, on ne comprendra pas. A quoi ça sert alors ? C’est une question de réalisme. La Constitution affirme que tamazight est langue nationale et c’est vrai. Tamazight a un caractère national et non régional. Dans l’enseignement, on ne peut enseigner que des variétés que les gens comprennent. La convergence des dialectes peut se faire mais naturellement. Je peux dire que dans 300 ans, ou plus, si les hommes existeraient toujours, il se peut qu’on ait cette convergence, grâce aux médias, au travail commun, à la radio. C’est le cas de la Turquie qui a favorisé la convergence des dialectes dès les années vingt. En utilisant la radio et la presse, on a commencé par aller vers un turc moyen.

Que pensez-vous de la nouvelle méthode de diffusion de la chaîne II, avec intégration de plusieurs variantes ?ll Tout dépend de la façon avec laquelle on voit les choses. Dans la situation actuelle, je pense que c’est un partage de la chaîne II, entre les différentes variantes. D’ailleurs, on dit la chaîne amazighe. C’est un partage du temps. Pour qu’il y est convergence de dialectes, il faudrait développer des émissions qui soient en contact. Par exemple, une émission où on parlera en kabyle, en chaoui, en mozabite… Pour le moment, ce n’est qu’une division du temps d’émission de la radio.

Entretien réalisé par Aomar Mohellebi

Partager