L’écho que notre confrère Smail Merzouk a rapporté, la semaine passée, de Tazmalt en faisant part d’une réaction primesautière et instinctive, d’un sexagénaire exprimée en ces termes : “Abrid-a Teddad !” (cette fois, Elle y est), illustre à lui seule l’immense attente et l’inénarrable soif du lectorat kabylophone pour sa propre langue. “Elle’’, c’est cette langue. Parmi les lecteurs des nouvelles pages de la Dépêche de Kabylie en… Kabyle, il s’en trouvera sans doute qui ignorent que ce projet remonte aux premiers jours de la fondation du journal en 2002. La gestation est trop longue ? Lorsqu’on est, sur les plans technique et professionnel, proche du milieu de la presse, particulièrement de la presse quotidienne, on évalue à sa juste valeur les efforts à déployer au niveau strictement technique (PAO) et surtout dans le semaine de la mobilisation de la ressource humaine pour réussir des pages régulières et de qualité en tamazight.
Pour nous en tenir seulement au deuxième point, force est de constater que les meilleures énergies qui se sont investies depuis l’ouverture démocratique dans ce créneau —écrire en tamazight dans la presse — ont fait face à des difficultés quasi insurmontables, quand bien même certains animateurs ont fait carrément dans le bénévolat. Des périodiques comme Izuran, Asalu, L’Hebdo n’Tmurt, Rivages sont passés comme des éclairs qui ont eu quand même le mérite de nous apprendre qu’avec notre langue, la communication est non seulement possible mais aussi agréable.
C’est presque une thérapie désaliénante qui nous réconcilie avec nous-mêmes. En exprimant certaines réalités intimes de notre société avec le “butin de guerre” qu’est la langue française, nous courons le risque, comme nous le signale avec une belle clairvoyance Mouloud Mammeri, de devenir des rapporteurs “plus pervertis qu’avertis’’. Pour se permettre les pages en tamazight, le “noyau dur’’ de la Dépêche de Kabylie a fait montre d’un trésor de patience nourrie par une passion sans limites pour la diffusion de notre langue sur un support médiatique très prisé. Un des animateurs de ces pages nous apprend qu’il tient surtout qu’on écrive en tamazight et non sur tamazight. La différence est de taille. Si la militance a conduit des rédacteurs à écrire des textes sur le mode de l’épopée — ravalant certains d’entre eux à une médiocrité digne de la langue de bois des kasmas FLN —, le travail pédagogique que réclame la revalorisation de cette langue aujourd’hui et le souci didactique d’accumuler des corpus exploitables pour les élèves et les étudiants font que tamazight doit être déclinée dans son expressivité la plus directe et la moins ennuyeuse. S’étant assuré de cette orientation, il demeure évident que toute forme de recherche sérieuse, pratique et innovante sur la langue est la bienvenue. D’autres rubriques pourront lui être dédiées. Avec ce nouvel acquis, la “Dépêche de Kabylie’’ se donne une autre dimension, élargit son lectorat et contribue grandement au travail de réhabilitation de la langue amazighe.
Amar Naït Messaoud
