Au cœur de la vie publique

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Malgré le nombre limité d’heures de diffusion, les citoyens commencent à se familiariser avec un média pourtant technologiquement assez vieux. Après l’émotion suscitée des jours durant par l’attaque de Ghaza où la radio a ouvert son antenne aux interventions des habitants des quatre coins de la wilaya, l’heure est sans doute à la vie domestique. Les problèmes quotidiens des citoyens (routes, approvisionnement en gaz, intempéries…) ont réellement besoin d’être répercutés par ce média populaire, présent partout, de la cuisine de la ménagère jusqu’à l’automobile en passant part le téléphone portable.

La politique du Secrétariat d’État à l’Information, héritée de la dynamique enclenchée depuis une décennie dans ce domaine, confère une importance accrue à la radio, un des plus vieux médias des temps modernes, remettant ainsi sur le tapis la nature et la valeur d’un moyen de communication qui a eu ses heures de gloire pendant plus d’un demi-siècle et qui continue à jouer un rôle primordial dans les pays occidentaux malgré la fascinante offensive des télévisions satellitaires et des technologies multimédia. Mieux, ces derniers assurent désormais, via la Toile et du terminal numérique, la diffusion des chaînes de radio à travers toute la planète. Actuellement, même une catégorie de téléphones portables est dotée de l’option radio, ce qui permet de miniaturiser le récepteur et de combiner plusieurs fonctions utilitaires dans un même outil. C’est paradoxalement dans les pays du tiers-monde, à l’image de l’Algérie, que ce moyen d’information, de culture et de divertissement a perdu du terrain face à l’hégémonie de la télévision. L’expérience des radios régionales devrait, selon les autorités en charge de ce secteur, s’étendre pour toucher les 48 wilayas d’Algérie. En tout cas, les premiers bilans, en matière d’audimat et de soutien de proximité à la vie publique, sont encourageants.

Certes, par rapport à certains pays africains (comme le Sénégal) et maghrébins ( le Maroc), l’Algérie est en retard dans le domaine de l’investissement dans le domaine de la radio. La légalisation de notre pays-contrairement à la brèche qu’elle a ouverte dans le mode de la presse écrite, reste encore frileuse à l’ouverture sur l’investissement privé dans l’audiovisuel et demeure prisonnière des schémas classiques d’une information monopolisée par le pouvoir politique en place.

En France, le boom des radios libres- ainsi que la montée en flèche du mouvement associatif — qui a accompagné l’accession des socialistes au pouvoir en mai 1981 — est considéré comme une véritable révolution dans un pays pourtant ouvert depuis les années 40 à la radio privée.

Dans notre pays, les trois chaînes de radio, regroupées dans un organisme public, l’ENRS, constituent un héritage de l’ancienne antenne de l’ORTF de Radio Alger. Le travail des radios régionales commence à porter ses fruits pour les auditeurs des villes et villages d’Algérie, cela aussi bien sur le plan de la vie pratique de tous les jours (conseils juridiques, médicaux ; météo, état des routes, publicité utilitaire…) que dans le domaine de la culture générale et de l’information. Au cours des inondations de Bab El-Oued de novembre 2003, beaucoup d’automobilistes interrogés par la radio ont reproché à…la radio de ne pas avoir fait correctement son travail d’information pendant la fatidique matinée qui a vu des centaines de personnes ensevelies sous la boue. À ce moment-là, Radio El Behdja était allumée dans la plupart des véhicules personnels et même dans les bus de transport des travailleurs. Un conseil ou un avertissement sur l’état de la route de Frais Vallon aurait pu sauver des vies humaines.

Le transistor refuse de rentrer au musée

Chez nous, dans la littérature algérienne des années 50, les informations de la radio ont trouvé un terrain d’expression dans le Journal de Mouloud Feraoun (1955-1962). Beaucoup de témoignages, de faits et événements consignés dans ce livre ont eu pour source la radio, en plus des nouvelles tirées de la presse écrite et des événements que l’auteur a vécu ou auxquels il a assisté directement.

À l’époque, l’Algérie coloniale était rattachée, dans le domaine de la radio, à la RTF, puis au nouvel organisme qui a pris le nom d’ORTF (Office de la radio et de la télévision françaises) avec des studios à Alger. Malgré cette dépendance vis-à-vis de la Métropole et les pressions qui en résultèrent sur les activités des producteurs et hommes de culture algériens ayant eu affaire à ce média en plein essor, plusieurs émissions culturelles, chansons et pièces de théâtre faisant connaître la culture et la société algériennes étaient diffusées sur les ondes de la radio. Bachtarzi, Mohamed Touri, Cheikh Nordine et d’autres artistes de renommé se sont produits à cette époque dans les salons de la radio et ont donné la pleine mesure de leur talent. La romancière Taos Amrouche s’était fait connaître sur les ondes par ses émissions sur le patrimoine culturel et le statut de la femme. Son frère, Jean Amrouche, s’était imposé par ses émissions philosophiques et de critique littéraire en invitant dans les studios de la radio des écrivains et penseurs célèbres comme Paul Claudel, François Mauriac et André Gide. L’enregistrement sur disques et la transcription de ces entretiens dans des revues comme la “NRF” constituent aujourd’hui des références littéraires indéniables pour ce qui est de la production littéraire du milieu du XXe siècle. C’est aussi à cette période que des noms comme El Boudali Safir, spécialiste de la musique algérienne, se sont imposés par la radio.

À l’Indépendance, l’Algérie a hérité des infrastructures coloniales qui comprenaient aussi des studios régionaux comme ceux de Radio Batna et Radio Tizi Ouzou, qui ne tardèrent pas à être fermés quelques années après dans le sillage de la nouvelle politique de la monopolisation de tous les pouvoirs par le Parti-Etat. Les trois chaînes de la radio publique ont essayé tant bien que mal, sous l’empire de la pensée unique, de maintenir la flamme et la passion pour ce merveilleux moyen et ce, grâce à quelques animateurs amoureux des ondes et du travail de la radio. Sur ce plan, le travail accompli par Leïla Boutaleb, Jean Sénac, Djamel Amrani, Cherif Kheddam, Cheikh Nordine, Benmohamed est d’une ampleur qui relève presque d’un défi lancé à la médiocrité et à la pensée unique.

Nonobstant un environnement peu favorable à la nouvelle éclosion de ce média fétiche, des signes d’optimisme commencent à poindre à l’horizon. D’abord par le nouvel intérêt que les auditeurs accordent à la radio- et particulièrement aux stations régionales- en sa qualité de premier média de proximité en Algérie. Les appels téléphoniques des auditeurs et leur participation aux différentes émissions culturelles, ludiques et sociales en sont une preuve.

En second lieu, par la nouvelle politique du département de l’Information qui tend à mailler, à court terme, le territoire national de radios régionales. Reste cette frilosité des pouvoirs publics à ouvrir le pays à l’investissement privé dans le domaine de l’audiovisuel. La marche de la société vers le progrès et les exigences de la citoyenneté imposeront, tôt ou tard, leurs médias et leur culture dans une nouvelle optique managériale qui ne pourra souffrir ni entraves ni injonctions.

Amar Naït Messaoud

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