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L’efficacité de l’action législative en question

Que dire de la dernière révision du Code pénal, effectuée au milieu du mois en cours, qui vise à criminaliser les harragas ? Le garde des sceaux a tenté vainement d’expliquer que ce sont plutôt les réseaux qui organisent de tels voyages fatidiques qui sont ciblés, il ne persuade pas grand monde, surtout pas les harragas eux-mêmes. Quelques mois auparavant, les députés ont tiré à la hausse leurs propres salaires, les rapprochant d’un montant équivalant à vingt fois le SMIG, ce qui a légitimement choqué une partie de l’opinion et particulièrement la jeunesse désemparée.

On peut néanmoins observer un aspect positif de l’amendement apporté à la loi domaniale qui sécurise un peu mieux les détenteurs de titres d’exploitants d’EAC ou EAI. Le bail est prolongé à 99 ans renouvelable avec, en plus, la transmission de la jouissance par héritage. De même, les amendements ayant touché le Code des marchés publics ont cet avantage de débureaucratiser légèrement le décret de juillet 2002 et de faciliter aux entreprises et fournisseurs les procédures d’accès à la commande publique.

La loi de Finances 2009, signée par le Président de la République le 31 décembre 2008, n’a pas subi de grandes modifications par les députés malgré la conjoncture de crise financière mondiale dans laquelle elle a été élaborée.

En dehors de certaines observations superficielles, quel député, partie ou autre instance, y compris les secteurs les plus concernés des pouvoirs publics se sont avisés, dix-neuf mois après des élections législatives d’avril 2007, de présenter un bilan partiel critique, ne serait-ce que sommaire, de l’action législative au moment de la clôture d’une session parlementaire ? Cette halte aurait permis aux citoyens-électeurs de jauger du chemin parcouru, des dossiers traités et des insuffisances qu’il y a lieu, le cas échéant, de combler ou de rattraper aux prochaines sessions? Nous n’avons pas connaissance d’un tel souci chez nos élus ou chez les départements de l’Exécutif qui sont censés suivre les propositions des projets de lois soumises aux députés pour examen et adoption. Pour toutes les peines que le pays s’est donné pour asseoir une ‘’mécanique’’ institutionnelle à façade démocratique, ce déficit de suivi et de présentation de bilan devrait inquiéter à plus d’un titre. L’on ne peut pas, en tout cas, se contenter de ce qui est appelé habituellement la sanction populaire qui, soutient-on, pourrait faire barrage à des députés de se représenter ou au parti auxquelles ils appartiennent de réaliser de bon scores. La complexité des jeux institutionnels et la débandade de la classe politique jettent un tel brouillard sur les missions de l’APN et du Sénat qu’une telle éventualité, c’est-à-dire la sanction populaire, demeure un vœu pieux, voire une virtualité. Seule une vie institutionnelle stable et dégagée des interférences parasitaires pourra un jour, si le pays s’engage résolument dans la voie démocratique, faire valoir les choix citoyens et leurs corollaires obligés : la sanction par les urnes et l’alternance au pouvoir.

Une image à redorer

Nul besoin de cacher les évidences ou d’oublier les griefs faits au fonctionnement de l’Assemblée populaire nationale par certains partis politiques et par des personnalités indépendantes. Ces griefs se résument probablement dans ce verdict peu glorieux qui fait de cette noble institution une ‘’caisse de résonance’’ du pouvoir politique allant jusqu’à déclarer la confusion entre l’exécutif et le législatif théoriquement et constitutionnellement séparés.

En effet, que valent, sur le plan technique et sur le plan de légitimité politique, des ordonnances proposées à l’Assemblée pour une adoption en bloc à main levée sans aucun débat sur les détails (articles et alinéas) ? Il est fort possible que, globalement et dans leurs objectifs et esprit, ces ordonnances soient d’une importance capitale dans la vie de la Nation. Il n’est pas non plus à exclure qu’elles émanent d’une réelle volonté de l’exécutif de mettre de l’ordre dans un secteur donné et de le doter ainsi d’une réglementation salutaire. Néanmoins, les départements ministériels initiateurs des projets d’ordonnance et même les services de la présidence-lorsque de telles initiatives en émanent-ne sont pas infaillibles.

Les débats institués au sein de l’Assemblée et du Sénat sont justement conçus pour corriger le tir, amender, enrichir ou annuler des articles ou des paragraphes du texte proposé.

Dans les situations ou des débats sont ouverts dans l’Hémicycle pour discuter d’un projet de loi, ou bien encore lors des séances de questions orales au gouvernement, l’on sait quelle tournure ont pris les interventions face aux caméras de la télévision. Devant des problèmes nationaux d’importance capitale, certains députés préfèrent s’adresser à leurs douars, en les citant nommément, histoire de justifier leur présence à l’Assemblée et d’envoyer un message à leurs électeurs en leur disant ‘’nous travaillons pour vous ; on ne vous a pas oubliés’’. Tacitement, cela équivaut, dans la tête du député, à un pré-bilan (positif, s’entend) qui ne dit pas son nom et un appel à renouveler la confiance des siens pour un nouveau mandat. Si bilan il y a, c’est celui-là.

Lorsque le feed-back fait défaut

Dans le domaine économique, l’annonce de la baisse du taux de chômage à 11,8 % en l’espace de quelques mois d’une ‘’politique de l’emploi plus judicieuse’’ n’a suscité aucune remarque ou contestation de la part des membres de l’Assemblée alors que tous ceux qui suivent le dossier de l’emploi savent que la précarité et la non pérennité des emplois crées-particulièrement ceux financés par les dispositifs du pré-emploi, du Filet social et de l’Emploi de jeunes- sont des données qui relativisent grandement l’optimisme du gouvernement. Lorsqu’on sait que les augmentation des salaires des fonctionnaires, sur lesquelles beaucoup de parties, dont le FMI, ne sont pas encore réellement validées pour plusieurs secteurs du fait que leurs statuts particuliers ne sont pas encore adoptés, on imagine un peu la difficulté du sujet. Les députés sont, au moins moralement, interpellés pour hâter de telles procédures. Quant aux grèves des secteurs de la Santé et de l’Éducation, on n’a entendu parler d’une séance parlementaire consacrée au sujet alors que, sur le terrain, la situation ne fait que pourrir par défaut de vrais interlocuteurs. Qui est fondé à remettre en cause les chiffres officiels de l’inflation (moins de 4,2%) face aux démentis du marché qu quartier? N’est-ce pas que l’un des critères de la stabilité macroéconomique, à savoir la maîtrise du taux d’inflation, dont se sont targuées les autorités des années durant commence à être battu en brèche ?

Sur le plan social, outre la mendicité, le développement des maladies chroniques et la consommation de stupéfiants, les deux dernières années se sont fait remarquer par deux phénomènes majeurs : les harragas et le suicide. À aucune époque de l’histoire algérienne, ces deux calamités n’ont atteint le degré de gravité atteint depuis le début de ce siècle. Sous d’autres cieux, les élus du peuples sont censés consacrer des séances spéciales pour étudier le mal qui ronge la jeunesse algérienne et proposer des solutions pour en atténuer la douleur et offrir de nouveaux horizons à la nouvelle génération. Le même silence radio est enregistré par les députés lors des grandes émeutes qui ont émaillé le territoire nationale. La hasard a même voulu que Berriane flambe une nouvelle fois une journée avant la clôture de la session parlementaire.

Saisine et auto-saisine

En raisonnant par le procédé des contrastes, l’on peut légitimement se poser la question de savoir pourquoi des forums et d’autres réunions coûteuses et harassantes sont organisés par les pouvoirs publics lorsque le contenu peut et doit être le ‘’menu’’ normal, voir banal, de l’Assemblée populaire nationale. L’allusion est ici faite à ces fameuses rencontres gouvernement-wali, ou bien encore aux auditions des ministres par le président tout au long des soirées de Ramadan. Les commissions parlementaires spécialisées et la plénière, lorsque la session arrive à échéance ou lorsque la nécessité se fait sentir, sont censées prendre en charge l’ensemble des questions et des problèmes qui se posent à la collectivités dans tous les secteurs d’activité. Ces procédures qui consistent à mettre directement en contact les décideurs et les agents d’exécution, même si elles sont nourries de la bonne foi et du souci de faire avancer les choses, n’en comportent pas moins un style et une méthode dépassés par le temps. La cohérence, le souci d’efficacité et la gestion démocratique des grands dossiers de la Nation ne peuvent faire l’économie d’une mise en conformité des grands principes constitutionnels-issus des efforts graduels de la démocratisation de la société-avec l’ossature institutionnelle mise en place. C’est incontestablement de cette manière que l’un des attributs essentiels de l’alternance au pouvoir peut jouer son rôle d’une manière efficiente.

Pour ces raisons et pour bien d’autres encore plus saillantes, les citoyens-électeurs accordent difficilement du crédit à cette noble institution qu’est l’Assemblée populaire nationale. Cette confiance est d’autant plus frêle et vacillante qu’elle ne se voit pas confortée par un quelconque bilan des législatures passées. Car, il faut bien qu’un jour les vérités soient dites et que gouvernants et gouvernés se regardent droit dans les yeux : la logique voudrait qu’on accorde sa confiance à l’institution d’abord avant de l’accorder aux partis se proposant à y siéger. Et il semble que sur ce point, la prise en charge des prérogatives constitutionnelles de l’Assemblée par les élus qui la composent et le déficit en communication qui jette un voile opaque sur les bilans de la législature ne sont pas faits pour rassurer complètement les électeurs sur le rôle et l’efficacité de l’APN, pierre angulaire de l’édifice institutionnel d’un pays qui a pour ambition de donner des fondements solides à la démocratie naissante.

La gênante et grave question qui risque de découler de cet important malentendu est connue d’avance : pourquoi voter ? Allons-nous blâmer ou vouer aux gémonies ceux qui seraient tentés par une telle interrogation ? La logique et la raison voudraient qu’ils soient rassurés sur l’efficacité de l’acte de voter et sur son importance dans la vie institutionnelle, économique et sociale du pays. C’est le rôle des partis d’aller au charbon pour en expliquer les enjeux, mais aussi pour faire prendre, par leurs représentants élus, complètement possession de leurs prérogatives que leur accorde la loi. En outre, la campagne électorale et même la prise de fonction dans l’Hémicycle ne peuvent être sérieusement assurées sans l’établissement du bilan de l’ancienne législature (actif et passif, insuffisances et moyens d’y remédier). On saura sans doute à l’occasion que les séances des questions au gouvernement manquent d’à-propos et de punch, que la procédure d’auto-saisine dans des dossiers capitaux de la vie de la Nation ne sont pas utilisés et que le procédé de médiatisation des débats en plénière par la télévision tel qu’il est conçu est souvent contre-productif du fait qu’il se transforme en plaidoyer pro domo face aux électeurs des chaumières algériennes.

Regard particulier sur l’argent public

Les observateurs ont pu remarquer un sursaut de dignité de la part des représentants du peuple qui ont tenu à revendiquer, dans la précédente législature, le pouvoir de contrôler l’usage qui est fait de l’argent public injecté dans la loi de Finances. Ce qui est un droit qui obéit à des dispositifs et des règlements par ailleurs établis depuis longtemps s’apparente ici à une timide et tardive demande de reconquête de leurs prérogatives par les députés. Mieux vaut tard que jamais, répliqueront les plus pragmatiques parmi les citoyens et les membres de la société civile. Ainsi, soit-il ! Cependant, si les occupants de l’Hémicycle sont à ce point préoccupés de l’usage qui est fait de l’agent du peuple et des comptes de la Nation, pourquoi s’éternisent-ils dans de fumeuses péroraisons lors de leurs interventions au point de noyer les vrais problèmes dans des généralités où l’inquisition dispute la vedette à la médiocrité ? Pourquoi certains d’entre eux- profitant du direct de la télévision qui était la règle alors- n’ont pour seul souci que de jouer le ‘’télégénique’’ face aux électeurs de leur région? Espérer avoir un droit de regard sur la dépense de l’argent public, c’est inévitablement s’investir dans la compréhension des grands enjeux économiques et sociaux du pays et dans l’établissement du véritable diagnostic des problèmes des Algériens. C’est cet effort qui est exigé de nos futurs députés et non des récriminations à tout va et sans lendemain qu’assure le siège douillet du boulevard Zighout.

La prérogative de contrôler l’argent public par les députés aurait pu faire éviter l’affaire Khalifa ou, du moins, en atténuer les effets. Car, l’écrasant montant de l’argent dilapidé ou détourné dans des agences de Khalifa se trouve être celui de l’argent public : caisses sociales, caisses d’assurance, œuvres sociales et autres fonds publics lesquels, par maladresse ou par malveillance, ont été déposés à la hâte par des agents de l’État dans cette nouvelle banque privée sans grand souci d’assurance ou de garantie. Les députés de l’APN auraient pu s’auto-saisir à temps pour se pencher sur cette mésaventure avant que l’irréparable ne soit commis. Car, il s’agit bien de suivre et de contrôler, comme ils le revendiquent, l’utilisation de l’argent de la Collectivité. Il n’en fut pas ainsi. Et rien ne présage que cette velléité, exprimée à l’époque plus par acquit de conscience que par profonde conviction, aille jusqu’au bout.

Que ce soit à l’échelle locale ou à l’échelle de toute la Collectivité, l’Algérie n’a pas encore développé la culture des missions de la gestion publique ni, a fortiori, la culture de la société civile qui auraient permis une cogestion et un partenariat dont la finalité serait une démocratisation graduelle de la société et une protection efficace des biens de la Collectivité nationale.

Amar Naït Messaoud

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