Une stratégie et des résultats

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Les réserves d’eau ainsi constituées sont dues aux efforts du ministère des Ressources en eau déployés dans la construction de grands ouvrages hydrauliques, rattrapant ainsi les retards des décennies écoulées. Ces retards ont pourtant été identifiés à temps par les spécialistes algériens chargés des secteurs de l’hydraulique, de l’agriculture et de l’aménagement du territoire. Mais, le “magnétisme’’ de la rente pétrolière avait relégué au second plan l’élaboration d’une vraie politique de mobilisation des ressources hydriques et a fait choisir aux décideurs de l’époque les solutions de facilité matérialisées par le “tout importation”. Les difficultés intrinsèques à la transition économique du pays et les effets de la crise mondiale ont, peu à peu, rappelé les pouvoirs publics à leur devoir de concevoir une stratégie de sécurisation du pays en ressources hydriques aussi bien pour l’utilisation domestique, que pour l’industrie et l’agriculture.

Le climat méditerranéen auquel appartient l’Algérie étant ce qu’il est, c’est-à-dire capricieux et fort irrégulier, la plupart des pays de ses rives Sud et Nord ont conçu des politiques hydrauliques spécifiques tendant à gérer de plus près une ressource mal répartie dans le temps et dans l’espace mais disponible lorsque l’imagination et la rationalité sont aux commandes.

Sur les 12 milliards de mètres cubes de pluviométrie annuelle sur le Nord d’Algérie, il n’était récupéré que 3,8 milliards à la fin du siècle passé. Le reste de l’eau se déversait dans la mer ou, pour les réseaux endoréiques, vers les chotts (Hodna, Melghigh,…). Ce n’est qu’avec les dernières réalisations que la mobilisation des eaux de surface commence à connaître une nette progression (barrages de Tilesdit et Kouditat Acerdoune à Bouira, Taksebt à Tizi Ouzou, Koudiat Medouar à Batna, Tichy-Haf à Béjaïa, Beni Haroun à Mila…). D’ailleurs, le ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, a envisagé dernièrement un projet de transfert d’eau de certaines ouvrages des montagnes du Tell (Erraguène et Ighil Telmada) sur les Hauts Plateaux de Sétif et M’sila pour l’AEP et pour l’irrigation. Le barrage de Koudiat Acerdoune, quant à lui, desservira dès sa phase opérationnelle, outre Alger, Boumerdès et la vallée de l’Isser, la région de Boughezoul (wilaya de Médéa) où un projet de ville nouvelle est inscrit.

Des potentialités longtemps laissées en friche.

Le mythique barrage de Beni Haroun, bâti sur l’Oued El Kebir dans la wilaya de Mila et ayant une capacité de 920 millions de m3, est déjà opérationnel sur plusieurs communes ciblées. C’est un projet qui remonte à la fin des année 60 et qui est couplé, dans la stratégie de développement régionale, à la zone industrielle de Bellara qui n’a pas pu voir le jour, au port de Djendjen et au chemin de fer Djendjen-Ramdane Djamel.

C’est le plus grand ouvrage hydraulique du pays censé fournir de l’eau aux villes et terres des Hauts Plateaux de l’Est (Oum Labouaghi, Batna, Khenchela). Dans les nouvelles techniques de transfert, le vieux barrage d’Irraguène (au piémont des Babors, wilaya de Djidjel) servira aussi à l’irrigation des terres de Sétif et du nord de M’sila. Le barrage de Koudiat Acerdoune, dans la wilaya de Bouira (640 millions de m3), verra une partie de son volume transférée sur les wilayas de Boumerdès, Médéa, Alger et Tizi Ouzou. Cette dernière wilaya, située dans les étages bioclimatiques humide et subhumide, n’a pu mobiliser ces énormes potentialités en eau qu’au début du nouveau siècle, ce qui se concrétisa par la construction du barrage de Taksebt (175 millions de m3). L’autre versant du Djurdjura, dans la wilaya de Bouira, un autre ouvrage ayant presque les mêmes capacités (barrage de Tilsdit) est théoriquement fonctionnel. Les adductions vers les territoires à desservir sont en voie de réalisation.

Au cours de ces dernières années, la petite hydraulique (retenues collinaires, forages, puits, captage de sources résurgentes) a eu aussi les faveurs de la stratégie des pouvoirs publics dans le cadre de la politique du développement rural. Plus d’une dizaine de retenues collinaires seront réalisées sur les territoires de six wilayas du Centre et Centre-ouest (Chlef, Aïn Defla, Tiaret, Tissemsilt, Bouira, Médéa) dans le cadre du Projet d’Emploi Rural cofinancé par la Banque Mondiale (BIRD). Ces retenues vont s’ajouter à un vaste programme de captage de sources disséminées sur les piémonts.

Des crises et des leçons

Même si les changements climatiques qui s’opèrent au niveau planétaire n’ont pas manqué d’avoir des effets sur le territoire de notre pays, il n’en demeure pas moins que le problème de la gestion de l’eau en Algérie est plus “terre-à-terre”, relevant plutôt d’une planification approximative dont ont fait l’objet jusqu’à ces dernières années ces deux secteurs stratégiques : l’eau et l’agriculture.

L’historique sécheresse de l’année 2002 a fait brutalement réveiller les pouvoirs publics à leurs devoirs de gestionnaires d’une ressource qui, même sous des cieux plus généreux, fait l’objet d’une rigoureuse politique de rationalisation et d’investissement. On ne peut pas claironner un développement durable dans les séminaires et réunions internationales sans se pencher sur le premier élément qui en sert de soubassement. L’extrême gravité de la situation hydrique du pays en 2002 a poussé, dans une évidente précipitation, le gouvernement à envisager d’importer de l’eau à partir de l’Europe par bateaux-citernes. On ajouta, pour bien emballer cette curieuse solution, l’argument que les bateaux servant à l’exportation de pétrole seraient ainsi rentabilisés puisque, à leur retour, ils ramèneraient de l’eau de Marseille ou de Barcelone. Une solution extrême qui ne manque pas de paradoxe en somme pour un pays dont les potentialités ont été sous-exploitées et parfois même dilapidées. À défaut de pouvoir poursuivre cette logique un peu surréelle, le gouvernement se résolut à une solution technique, coûteuse certes, mais très pratique : l’installation de stations monoblocs de dessalement de l’eau de mer sur les principales villes côtières du pays. La ville qui présente un déficit légendaire en matière d’approvisionnement en eau est la capitale de l’Ouest, Oran. Deux raisons principales à cela : l’eau potable servie à Oran n’a de potable que le nom. Son taux de salinité rend sa consommation presque impossible. Même pour la lessive, elle présente le fâcheux inconvénient de ne pas pouvoir mousser. En second lieu, la consommation de l’eau au niveau de la zone industrielle d’Arzew est devenue exorbitante à tel point qu’aucune source proche (barrages, forages, retenues) ne peut y satisfaire. Les transferts conçus ces dernières années à partir du barrage de Beni Bahdel (Tlemcen) et du barrage de Gargar (Relizane) seront destinés pour l’AEP et l’agriculture. On imagine mal une ville de l’envergure d’Oran qui ferait fuir des touristes à cause d’établissements hôteliers dépourvus d’eau.

Regard critique de la Banque mondiale

En 2008, un rapport a été élaboré par la Banque mondiale au sujet de la gestion des ressources hydriques en Algérie. Il y est fait état de la rareté de la ressource et de l’irrégularité de sa répartition sur le territoire. Comme pour l’ensemble des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, l’Algérie fait face à de grandes difficultés pour assurer l’autosuffisance en matière hydrique, souligne le rapport. Le secteur agricole consomme, à lui seul, quelque 65% du volume d’eau mobilisé. Cela n’exonère pourtant pas le pays de l’importation des produits alimentaires. L’institution financière internationale fait remarquer que les techniques d’irrigation ne sont pas encore efficientes et n’arrivent pas à utiliser les dernières inventions propres à cette activité. On apprend dans le document de la BIRD que, par le truchement de l’importation des produits alimentaires, l’Algérie importe du même coup 40% de l’eau dont elle a besoin.

Parallèlement à la politique de la mobilisation maximale des ressources en eau par le moyen d’ouvrages et de lourdes infrastructures (barrages, retenues, grands transferts,…), la Banque mondiale suggère de prendre sérieusement en charge un autre moyen de production de l’eau, à savoir le recyclage des eaux usées.

Concernant les prix de cession de l’eau, la BIRD rappelle qu’en Algérie ce produit de la nature est subventionné par le gouvernement pour des raisons… politiques. Quant au taux de raccordement à l’AEP, il est de 89% pour l’ensemble du pays. Ce taux ne montre pas les disparités régionales. L’on apprend plus loin que 2,5 millions de ruraux n’ont pas accès aux prestations en AEP et ne bénéficient pas de réseaux d’assainissement des eaux usées. 72% de foyers situés en milieu urbain reçoivent de l’eau d’une manière régulière. Quant au taux d’assainissement, la moyenne nationale est 85% des foyers.

Le rapport souligne que la surexploitation de certaines gisements d’eau a conduit à l’altération de la qualité du produit et au rabattement des nappes comme dans la Mitidja. En matière de capacité de stockage de l’eau (barrages, retenues collinaires,…), la BIRD souligne que l’Algérien a à sa disposition 190 m3 en moyenne. Cette capacité de stockage par habitant est estimée à 5000 m3 aux USA et en Australie, 2200 m3 en Chine, 500 m3 au Maroc et 360 m3 en Tunisie. Le rapport rappelle que pour parvenir à des capacité de stockage de l’eau en Algérie de l’ordre de 9 milliards de m3, le gouvernement a mobilisé, depuis 2005, une somme de 10,3 milliards de dollars visant à construire 80 barrages et établir des transferts d’eau qui toucheront 60 ouvrages hydrauliques.

Le cap de la reconversion

Outre les techniques d’irrigation dont fait mention le rapport de la BIRD, un autre aspect du problème de l’irrigation surgit dès qu’il s’agit de traiter de ce qui est appelé l’agriculture pluviale. En Algérie, les céréales- mise à part une expérience trop coûteuse menée à Adrar – sont cultivées en sec. Leur développement végétatif dépend totalement des pluies de mars et avril. Et comme la répartition des pluies est trop aléatoire pour espérer la manne du ciel en ces deux mois précisément, les rendements en blé, orge et fourrages sont soumis complètement aux caprices du ciel. Pour diminuer l’hypothèque qui pèse sur la production céréalière, le ministère de l’Agriculture a initié depuis 1999 la politique de reconversion des systèmes de culture pour amener nos agricultures à s’investir dans l’arboriculture, particulièrement l’arboriculture rustique. Cela s’est traduit par des aides et soutiens par le truchement de plusieurs fonds et plus spécialement du FNRDA. Cette politique commence à donner quelques résultats non encore bien évalués. Dans certaines filières, il y a même surproduction comme a eu à s’en plaindre l’ancien ministre de l’Agriculture. Et là, deux autres segments de l’économie interviennent : il s’agit de l’industrie agroalimentaire qui n’est qu’à ses premiers balbutiements en Algérie et de la stratégie d’exportation qui n’est pas encore au top de son développement.

Amar Naït Messaoud

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