Ni gaz butane ni denrées alimentaires. A tout ce sombre décor s’ajoutent les coupures récurrentes d’électricité, privant ainsi des dizaines de familles du rudimentaire chauffage.
Située à plus de 800 mètres d’altitude, Tifilkout à Illilten, à l’instar des dix autres villages de la commune, souffre le martyre à chaque saison hivernale. Froid paralysant, chute de neige, routes fermées, manque de moyens, tel est le quotidien des At Yellilten pendant plus de trois mois par an. Pris entre le marteau d’une nature féroce et l’enclume d’un Etat défaillant, ces citoyennes et citoyens crient à qui veut les entendre leur désarroi. “En 2005, c’est tout le village qui s’est mobilisé à 2 heures du matin, pour déplacer une parturiente à la clinique située à plus de 14 km”, témoigne un jeune du village Tifilkout. Et d’ajouter : “Heureusement que l’esprit de fraternité existe toujours sinon nous ne nous pourrions jamais faire face à ce genre de situation.” La poudreuse et le froid qui semblent “mettre le grappin” sur cette région, ne sont pas près de la relâcher. En effet, même si les routes sont dégagées, une épaisse couche de verglas recouvre la chaussée notamment dans les coins humides. Une situation des plus délicates pour les automobilistes qui empruntent ces routes quotidiennement, surtout les transporteurs, qu’il soit de marchandises ou de voyageurs. “La dernière fois, un jeune s’en est sorti miraculeusement indemne après un dérapage sur cette même route”, témoignent les jeunes de la région.
“Fin comme gribouille”, disait l’expression consacrée à la grenouille qui saute dans l’eau lorsqu’il pleut, les citoyens d’Illilten ne veulent pas y aller de plein badin. Aucune démarche commune n’est entreprise pour solutionner le problème d’enclavement à chaque hiver, hormis les actions menées par les élus et quelques comités de village. Région montagneuse par excellence, pour atteindre le bout de la commune, il faut slalomer une bonne partie de la matinée, sur les routes délabrées et étroites menant de Iferhounène vers Illilten, située à quelque 70 km au sud-ouest de Tizi Ouzou. Cette région réputée pour son nombre de martyrs ne cesse de pleurer sur son sort. Un sort que l’Algérie indépendante a réservé aux descendants de braves maquisards. “Illilten n’en peut plus devant l’atrocité du climat et l’absence de l’Etat”, clament les At Yellilten. Cet état de fait leur court sur le haricot. Même avec les efforts de l’exécutif communal, “le retard enregistré est difficilement récupérable”, déplorent-ils.
Lorsque l’enclavement devient habitude !
Située à mi-chemin entre Vgayet et Tizi Ouzou, Illilten occupe le cœur de la Kabylie, mais sans l’être réellement. Les onze villages de la commune sont parmi les plus déshérités de la wilaya. Elle n’est pas éveillée sur ces questions qui relèvent, pourtant, de sa survie. Tout le monde à Tifilkout, où ailleurs à Illilten s’accorde à dire que sans une pression sur les autorités, avec l’aide des élus locaux, la commune demeurera otage d’interminables nuits glaciales, de routes coupées et des lendemains, fatalement incertains.
“Les autorités concernées doivent agir et non pas réagir !” lance Massinissa.
Ce dernier raconte que même dans les pays du nord de l’Europe, où l’hiver dur deux fois plus longtemps que celui de chez nous, “jamais les routes ne sont bloquées pendant plus de deux heures.” Et d’ajouter que “même les pays comme la Norvège, la lumière du jour ne dure que quatre heures et cela sans avoir les routes verglaçantes.”
“On craint souvent cette saison”, lâche amèrement un vieux, avant qu’un autre n’enchaîne : « Cette situation était jadis acceptable vu le manque de moyens durant la guerre, mais plus de quarante ans après, la même misère persiste, cela est inacceptable.”
Lejva, la seule desserte menant à Akbou, où tous les commerces s’approvisionnent, la neige bloque la route pendant plusieurs jours. “Ici la neige atteint deux mètres de hauteur par endroit.”
Ce que nous avons constaté à plusieurs reprises. D’ailleurs, les jours de soleil, des dizaines de famille y viennent prendre l’air et des photos sur la neige, qui, avait résisté jusqu’au mois de mai en 2005, tellement l’hiver était rude. L’unique route pouvant servir de fenêtre à la région est celle qui mène vers Aïn El Hammam, ex-Michelet, mais elle subit les affres de Dame nature à chaque hiver. La neige qui recouvre la chaussée et le verglas, notamment à Tiferdoud, rendent la circulation très dangereuse. Elle met, en même temps, la sécurité des personnes et des biens en danger permanent.
Par endroits, il est même difficile de se déplacer, tellement la neige ou la pluie occasionne souvent des désagréments. A Ait Adellah, par exemple, un village perché sur le flanc de la montagne où le froid ankylosant souffle du contre-bas du village, la couche importante de neige immobilise tout le village. Même topo à Tizit, Taourirt Amrous ou à Iguefilen. Les journées d’hiver sont stressantes et la vue ne croise que la couleur blanche du burnous emmitouflant l’entourage.
Fuyant le regard chaud des garçons, les mains givrées des femmes et le regard inquiet des hommes, l’hiver à Illilten défie l’existence des moyens modernes. Avec le peu de matériel dont dispose la municipalité (le chasse-neige, acquis après le rude hiver de 2005, les véhicules à traction multiple (4×4), un tracteur, mais aussi l’adhésion des citoyens après chaque sollicitation) le rêve du désenclavement est, peut être, définitivement trahi.
De Illoula vers Azazga, l’unique issue… mal conçue !
Illilten est mitoyenne de la commune d’Illoula Oumalou, relevant de la daïra de Bouzeguène.
A Tagzout, le village-frontière, une rivière sépare les deux communes, mais l’enclavement et la misère les unissent.
Un projet d’une route reliant la commune d’Illilten à Souk Lexmis, en contre-bas d’Illoula est engagé depuis presque quatre ans. C’est après plus d’une vingtaine d’années de démarches que le projet commençait enfin à voir le jour. C’est un vrai parcours du combattant qu’ont dû entreprendre les responsables de la région pour décrocher le projet auprès de la wilaya. Une société de travaux publics prenait en charge les travaux. Le lancement des travaux fut fixé aux abords de la rivière afin que les importantes chutes de neige n’atteignent pas la rivière, mais d’autres problèmes, de même complication, surgissent subitement. Ainsi, la route, mal goudronnée et mal entretenue ressemble à un champ de cailloux.
Ainsi, les travaux ont été réalisés avec célébrité, afin, dit-on, d’épargner un autre hiver “en isolement” aux citoyens.
Pour cet hiver, affaissement de terrain, glissement des abords de la chaussée ont contraint les responsables à fermer cette “unique” issue. La route étant nouvelle, la terre s’affaisse à chaque pluie. Même topo à l’ancienne route menant vers Michelet. Au lieu dit Soumeur, une grande partie de la route s’est affaissée, causant le rétrécissement de la chaussée, sur une route où le trafic est très important. Même danger guette les usagers de la même route au lieu dit Xensus. L’affaissement risque de couper toute la route. Les intempéries de cette année ont provoqué un avilissement dangereux de la route qui sera, immanquablement, coupée dans les jours à venir si les pluies s’abattrent encore sur la région.
“L’Etat n’est présent qu’à travers la Sonelgaz. Et encore
Des expressions lourdes de sens, surtout lorsqu’on comprend que l’unique présence de l’Etat se réduit à une société nationale de production et de distribution de l’énergie électrique. Les coupures sont fréquentes en hiver. Les citoyens d’Illilten sont catégoriques. “Nous sommes oubliés par l’Algérie depuis 1962.” Et d’ajouter que “les sacrifices de nos aînés sont-ils vains ?” hormis le bureau de poste, le siège de l’APC, et celui de la Garde communale, Illilten est un no man’s land.
“Pourtant nous payons les vignettes automobiles, les impôts…pourquoi nos pistes sont elles impraticables en hiver ?”, se demandent les citoyens.
L’APC, l’unique autorité existante ne se peut rien dans cet immense “désert.”
“Habiller pour l’hiver” dit-on dans la langue de Molière pour dire du mal de quelqu’un. En effet, à Illilten, les gens s’habillent pour l’hiver à chaque hiver en ciblant les responsables locaux.
Ces derniers, et à tous les échelons, sont pris pour cible par ces citoyens, qui ne savent pas à quelle autorité se plaindre, si ce n’est de prier pour les saints de la région.
Mohamed Mouloudj
