Elle aurait pu, par le fait de l’érosion, tomber dans la désuétude mais la légende est encore tenace. Sa longévité dans la mémoire populaire tient de sa supposée pertinence.
Ainsi, raconte-t-on toujours dans les chaumières, un maire d’une localité de Kabylie, célèbre parce que particulièrement sulfureux, aurait tenu ce discours à ses “électeurs” à l’orée d’un deuxième mandat qu’il se préparait à briguer : “ J’ai consacré cinq ans à travailler pour moi en me mettant à l’abri du besoin. Si vous voulez que je m’occupe désormais de vos problèmes, vous n’avez qu’à me renouveler votre confiance. Sinon vous élirez un nouveau maire qui fera comme moi et vos soucis seront reportés encore aux calendes grèques”. On ne sait pas s’il a un jour existé mais notre maire, même virtuel, ne manque pas de popularité, une vieille certitude ayant décidé que les pauvres sont “ logiquement” incapables de se consacrer à l’intérêt général, et pour cause… C’est tellement évident qu’on peut leur pardonner de “se mettre à l’abri du besoin” en puisant dans les deniers publics avant de penser à leurs administrés. Même les partis politiques ont fini par le comprendre, eux qui ouvrent boutiques à chaque échéance électorale. En plus des rétributions sonnantes et trébuchantes qu’ils tirent des places de choix sur leurs listes, un nanti a toujours plus de chances d’être élu qu’un candidat démuni, quand bien même il serait plus compétent et plus probe. Pourtant, tout ceci n’a pas réussi à décomplexer les politiques par rapport à l’argent. Aux discours programmatiques creux et populistes, les candidats se croient obligés de greffer une dose de misérabilisme destinée à tromper l’opinion sur des biens à l’origine douteuse. Comme il est “acquis” que la prospérité ne peut venir ni de l’effort, ni du savoir-faire, ni du sens de l’entreprise, il vaut mieux jouer au sans-le-sou. C’est d’autant plus commode que personne n’a encore rendu de comptes sur une fortune accumulée pendant l’exercice de ses responsabilités. Et quand on sait, en plus, que chez nous on ne va à la responsabilité que pour y rester, c’est l’assurance tous risques contre l’inquiétude. A quoi pourraient bien servir alors les “déclarations de patrimoine”? De toutes les façons, c’est toujours une maison ou un appartement acquis sur les biens vacants ou construits grâce à un crédit CNEP et une vieille voiture. Et quand il y a une autre maison qu’on ne peut pas cacher, elle vient toujours d’un héritage ou elle est déjà “ léguée aux enfants”. Les temps sont durs pour tout le monde, vous savez ! Il sont tellement durs pour certains qu’il ont déjà songé à loger des enfants de moins de dix ans.
Ça a l’avantage de les “mettre à l’abri” et de permettre au paternel d’aller dans de “meilleures conditions de transparence” à d’autres conquêtes. Les autres enfants, ceux dont l’avenir est incertain, qui n’ont pas eu de legs et n’attendent pas d’autres conquêtes, peuvent toujours se consoler du fait qu’ils sont aussi moins nantis que “leurs” candidats. Ce sont eux qui le leur disent. Si, à Dieu ne plaise, ces derniers reviennent un jour de leur mission, personne ne leur rappellera comment ils sont partis.
S. L.
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