Interview réalisée par Mohamed Mouloudj
La Dépêche de Kabylie : Peu d’ouvrages ont été consacrés à l’histoire de la Guerre de libération telle qu’elle a été vécue en Kabylie, donc, de ce fait, beaucoup reste à faire. En tant qu’historien, de quelle manière doit-on procéder à l’écriture de cette page de notre Histoire, surtout que l’on sait que la génération qui a fait la Révolution est au crépuscule de sa vie ?
Si Hadj Abdenour : Ces ouvrages sont le fruit de mémoires de militaires français, surtout d’appelés et de témoignages des maquisards de l’ALN. Mais comme vous devez le savoir, dans toute guerre, c’est la puissance administrante, le colonisateur, qui détient l’initiative du terrain et de l’usage de cette information à des fins militaires, ensuite politiques. Un embargo sur le déroulement des opérations a un caractère d’abord stratégique et ensuite politique. C’est ce que nous avons pu remarquer lors de l’agression israélienne dans la Bande de Gaza. L’Algérie a connu une situation similaire pendant la guerre et le rapport de Michel Rocard est, à cet effet, édifiant à plus d’un titre sur cette rétention de l’information. Ce rapport a été, comme vous pouvez le lire dans un ouvrage édité, interdit de diffusion par les chefs militaires. C’est, donc, à partir des mémoires des moudjahidine et aussi de la population civile qui a subi les affres de la répression que l’on peut écrire une partie, et seulement une partie, de cette page de l’Histoire. Vous devez savoir que le conflit qui subsiste encore 47 ans après l’indépendance de l’Algérie est celui de la restitution des archives par la France. Je passe sur la repentance, cette question ne fait pas l’unanimité. En tout cas, je considère que, sous un autre angle, l’historien qui aura à travailler sur la période de 1954 à 1962, devra avoir plusieurs sources. Les sources susceptibles d’alimenter l’historien : les archives du Front de libération nationale, les témoignages oraux et écrits de moudjahidine et d’écrivains révolutionnaires, les photographies et vestiges de destructions, les archives militaires françaises, les mémoires de militaires français (des actifs ou des appelés) qu’il faut valider et expurger de l’idéologie colonialiste schizophrénique. (Amirouche a toujours été dépeint d’un côté comme un sanguinaire, un homme fanatique sans foi ni loi, et comme un homme d’un courage et d’une intelligence hors du commun. et c’est là toute la contradiction de la propagande colonialiste).
Dans mes recherches j’ai relevé un phénomène jusque-là occulté : le nombre important de militaires français tués ou disparus en Kabylie. Pour ne citer que cette région pour y avoir vécu ma jeunesse. Il y avait ceux qui nous parlaient «des vacances algériennes». A titre d’exemple, je citerai des noms de soldats français tués entre 1956 et 1962, dans les oueds, à l’entrée des grottes ou d’abris à quelques centaines de mètres du camp de la 2e compagnie du 6e BCA, alors que l’information était restée cachée jusqu’en 1998 lorsqu’un chasseur alpin s’était mis à écrire ses mémoires.
Le sous-lieutenant Bernard Capelle, le sous-lieutenant François d’Orléans, petit-fils du roi Philipe, l’adjudant Cuvillier, le sous-lieutenant Houssât, l’adjudant Arpin, une autre «icône» de la guerre d’Indochine, avaient été tués à quelques mètres des villages de Tifilkout, de Tourier Ali Oua Acer ou de Aït El-Mansour, d’Aït Adellah et Taghzout sans que la partie algérienne n’en sache absolument rien. Par contre, tout un tapage était fait autour des «fellaghas» mis hors de combat. C’est de bonne guerre. Mais l’Histoire doit restituer la vérité des faits, des chiffres et des conséquences néfastes sur les survivants : enfants traumatisés, harkis abandonnés, enfants de harkis dépersonnalisés…. populations entières irradiées, etc.
Vous êtes sur plusieurs livres d’Histoire, dont l’un est consacré au colonel Amirouche. Peut-on avoir plus d’informations sur cet ouvrage et la date de sa publication ?
Pour les ouvrages édités en France, il y a, d’abord
1- La guerre franco-algérienne dans la poésie populaire kabyle aux éditions publibook- 2007 : Ce recueil de poèmes en kabyle est le fruit de la poésie populaire – la vox populi -. Je n’ai rien ajouté, rien retranché aux textes qui m’ont été rapportés par ma mère, née en 1918. Poèmes chantés par les femmes, mais aussi par les moudjahidine. Ils narrent des faits authentiques de la Révolution. Des faits vécus ; comme le ratissage à Taourirt, comme l’incendie du village Tifilkout ou encore la destruction de la demeure des Ath l’imam… La mort du colonel Amirouche, le général de Gaulle, Robert Lacoste, etc., ont leur place dans l’Histoire, replacés dans leur contexte sociopolitique douloureux et inoubliable.
2 – Fils de fellagha : Le titre est évocateur en ce sens qu’il utilise un vocable très significatif, employé à bon escient. Ce livre raconte la vie de fils de martyr que je suis, éclipsée par la violence des événements. En fait c’est de la guerre dont il s’agit plus que de la vie d’un enfant qui a grandi dans le fracas des armes, au milieu des exactions, des attaques, embuscades, bombardements, tortures, exécutions sommaires. C’est l’œil témoin-innocent de l’enfant de 6 ans que j’étais, à l’arrivée des chasseurs alpins à Iferhounène, mon village, jusqu’ à l’âge de 12 ans, date de l’indépendance, avec cette date marquante : 1959, année de “l’opération Jumelles” qui arracha brutalement, sauvagement, mon père à mon affection. Le contenu intégral de ce livre est absolument la vérité et rien d’autre.
3 – La guerre vécue par un chasseur alpin et un fils de fellagha : C’est une co-édition franco-algérienne. Il raconte dans sa première partie la guerre vécue par un appelé de l’armée française, incorporé dans les rangs de la 2e compagnie du 6e BCA à Iferhounène. La deuxième partie raconte justement la vie d’un fils de fellagha, dans ce même village. Deux façons de voir la guerre opposée mais qui se rejoignent pour la condamner et rejeter tout ce qu’elle a comme visage hideux.
4 – Sous le feu croisé des troupes du colonel Amirouche et des chasseurs alpins, en cours d’édition, ce livre nous fournit avec précison des événements de la guerre avec leur lot de morts et de blessés. Cet ouvrage est soumis au ministère de la Culture dans le cadre des subventions accordées aux ouvrages témoignant des faits de la Révolution. Je dois signaler qu’en plus de la narration des faits, ces ouvrages comportent plusieurs photographies authentiques qui correspondent exactement aux événements rapportés.
5 – Témoins de la guerre de libération : constitué de contributions des mémoires de nos moudjahidine sur la guerre -1954-1962 : à ce titre, les officiers de l’ALN, que j’ai pu contacter, ont bien voulu me confier leurs témoignages, ainsi que des photographies prises durant cette épopée. Il comportera également la liste des moudjahidine tués durant les différentes opérations militaires dans la région de la Kabylie, y compris donc «l’opération Jumelles». Les informations puisées à la source, apportent des précisons sur le grade, la date de sortie au maquis, l’arme utilisée, date et lieu de la bataille, etc. Ce livre peut, je puis dire, constituer une sorte de monument que j’appellerai «Morts pour l’Algérie-1954-1962». D’autres ouvrages suivront bien entendu sur l’Histoire…
Plusieurs événements nous ont été racontés par des militaires algériens, tels M. Yaha Abdelhafid, qui était responsable militaire. A cela s’ajoutent les témoignages d’autres acteurs et témoins.
Plusieurs autres domaines restent peu exploités en Kabylie. Tout comme l’Histoire de la guerre, tout ce qui a trait à la Kabylie reste en marge des préoccupations des initiés, comme les domaines culturel, économique, social, que diriez-vous ?
Vous n’ignorez pas que 90% des archives algériennes ont été “confisqués” par l’ancienne puissance colonisatrice. Ce sont toutes ces preuves de barbarie que la raison d’Etat s’ingénie à cacher non seulement aux victimes algériennes, mais aussi au peuple français et à l’opinion mondiale. Mais il y a aussi l’aspect économique post-indépendance qui vient se greffer dans les relations franco-algériennes.
Une exploration scientifique avait précédé la conquête de l’Algérie. Et les recherches effectuées par les premières missions exploratrices ayant précédé la conquête militaire se sont attelées à faire un inventaire minutieux des richesses disponibles sur les lieux. Dès lors, rien n’est négligé : la chimie, la géographie, la médecine (recherches sur la médecine arabe, la géologie, etc., l’homme indigène n’était qu’un objet d’études au même titre que les plantes, les arbres ou les eaux thermominérales. Les oiseaux, le climat, la mer, l’air marin d’Alger est passé au crible pour donner le bien-être maximum aux pieds noirs et aux Européens qui voudraient s’y rendre pour fuir la crise du monde industriel européen. Vous comprendrez bien l’intérêt de ces archives.
La méconnaissance de l’Algérie en général et de la Kabylie en particulier n’est pas seulement d’ordre historique mais elle l’est dans tous ses aspects et surtout sociologiques, économiques et politiques. Hormis quelques écrits de scientifiques désintéressés tels que Sayad et Bourdieu, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, les écrits datant des années 1854, 1857, 1860 et après, malgré qu’ils contiennent des aspects scientifiques pluridisciplinaires, baignent dans une idéologie colonialiste, impérialiste (un ouvrage ira jusqu’à enseigner aux chefs «le comment coloniser»). A cette méconnaissance des caractéristiques particulières de la Kabylie sombrant progressivement dans une misère socio-économique, est venue se greffer une gestion autocratique, et un verrouillage culturel qui va rendre le cadre de vie jour après jour de plus en plus infernal d’où ce phénomène récurrent fait de vagues d’immigration, d’évangélisation, de suicides, de banditisme, de délinquance ! En effet, aujourd’hui, nous constatons que plus que n’importe quelle autre région, la Kabylie des montagnes est exposée à un danger. Quelque chose ne va pas en Algérie, plus particulièrement en Kabylie. Et ce n’est qu’en 2009 que la question de l’acheminement du gaz de ville est à l’ordre du jour encore que certains tracés semblent compromis. L’eau a toujours fait défaut dans cette région, les incendies compromettent régulièrement les récoltes déjà très limitées d’une agriculture mise à rude épreuve par un climat des plus austères et une configuration géographique des plus escarpées. C’est dire que la vie est devenue un enfer dans nos campagnes de façon générale. L’usage écrit de la langue berbère reste le domaine de quelques intellectuels noyés dans des préoccupations socioculturelles. L’accès à la culture reste le domaine de privilégiés.
L’Etat subventionne les ouvrages traitant de la guerre de Libération, avez-vous bénéficié de ces aides ?
En effet, l’Etat a décidé d’un budget pour encourager la production littéraire. Selon les informations que j’ai pu obtenir, des livres de poésie, des contes pour enfants, etc., peuvent être inscrits à ce programme dans les trois langues couramment utilisées chez nous. Nous attendons la réponse du ministère, pour le quatrième ouvrage, à savoir Sous le feu croisé des troupes du colonel Amirouche et envisager sa traduction en arabe et en tamazight.
Après avoir été la cible de Ben Bella, ensuite d’Ali Kafi, Abane Ramdane était, l’an dernier la cible d’attaques acerbes de la part d’un ancien ministre, Mourad Benachenhou, pour ne pas le nommer, en tant qu’écrivain et féru de l’Histoire de la guerre, que répondriez-vous aux détracteurs de l’architecte du Congrès de la Soummam, et quelles sont, selon vous, les raisons de ces attaques un demi-siècle après son assassinat ?
Il y a eu une rivalité dans la lutte pour le pouvoir la Révolution, qui s’est poursuivie après l’Indépendance. Ce sont, malheureusement, les meilleurs qui vont faire les frais de cette «guéguerre interne» les déterminés à en découdre avec le colonialisme. Cet enthousiasme des uns est interprété par d’autres avec une arrière-pensée. Le cas d’Amirouche est à ce titre édifiant. Ecoutons son compagnon de lutte, Attoumi Djoudi, dans un des ouvrages consacrés à la wilaya III historique : «Une réunion importante fut tenue du 6 au 12 décembre 1958 à Oued Askar dans le massif de Collo, où se rencontrèrent Amirouche pour la wilaya III, le colonel Si Lakhdar pour la wilaya I, le colonel Si M’hamed Bouguerra pour la wilaya 4 et le colonel Houas Benabderrezak pour la wilaya 6. Ce qui était paradoxal, c’est que la réunion s’est tenue à la wilaya 2 et que le chef de cette wilaya n’y avait pas assisté. Nous ne saurions jamais les raisons de l’absence du colonel Ali Kafi, chef de la wilaya 2, personne ne pouvait à l’époque trouver l’origine de cette mésentente entre le chef de la Kabylie et celui du Nord constantinois. Certains parlaient d’une jalousie, puisque Amirouche était pratiquement le responsable des wilayas du Centre et de l’Est, se targuant peut-être d’un titre de chargé de mission du CCE. Et peut-être pour avoir réuni autour de lui la majorité des chefs de wilayas, comme les Aurès, l’Algérois et le Sahara ; il ne manquait plus que le Nord-constantinois. Quant à la wilaya 5, (Oranie) son PC se trouvait déjà au Maroc».
Ali Kafi écrivait dans son livre Mémoires 1842-1962 : «Amirouche avait pour ambition de se hisser à la tête de la Révolution en organisant, du 6 au 12 décembre 1958, une réunion à laquelle ont participé les chefs de wilayas 1, 3, 4 et 6 ; quant à la 2, suivie de la 5, elles ont refusé de participer». Ali Kafi a tort de penser cela d’Amirouche. Pour quelqu’un qui connaît Amirouche, il ne penserait jamais qu’Amirouche était attiré par le pouvoir ! En vérité, il s’agissait d’une simple jalousie, car avoir quatre de ses pairs dans la wilaya et ne pas y assister, constitue, aux yeux des observateurs, un manque d’égard. Il se targuait d’avoir été rejoint par la wilaya 5 dans le refus de participer à une telle réunion, tout en sachant que les frères de cette wilaya ne pouvaient traverser toute l’Algérie pour une telle réunion et qu’ils devaient se trouver à la frontière algéro-marocaine… D’autres verraient une simple incompatibilité d’humeur entre les deux hommes. Concernant les jugements qu’Ali Kafi avait des autres camarades de la Révolution, ils n’étaient pas dénués d’interprétations personnelles, empreintes de sentiments et de préjugés. Il avait cette manière de vouloir trouver à ses coéquipiers des intentions mesquines qui ne cadrent pas avec leur envergure et la portée universelle de leurs idées révolutionnaires et de leur stratégie «de la guérilla» qui s’était avérée payante. Quant à Ben Bella, je passe sur les dernières fracassantes déclarations du président Chadli à son sujet, pour aller droit sur le site Internet Algérie-Watch et découvrir des «révélations» pour le moins intempestives : «Récemment monté au créneau lors d’une émission sur la chaîne de télévision qatarie El-Djazira, en osant accuser Abane Ramdane de trahison et en tirant à boulets rouges sur le Congrès de la Soummam qui, de l’avis de tous les spécialistes de la guerre de Libération, a, non seulement, mis l’Algérie sur la voie irréversible de l’indépendance mais a aussi dessiné les contours du futur Etat algérien : un Etat de droit ou encore Ahmed Ben Bella n’a rien trouvé de mieux que de lancer à la face des téléspectateurs de la chaîne El-Djazira des mensonges caractérisés du type : «L’épouse de Abane Ramdane est Française !». Fin de citation. J’ajouterai à ce propos que le nombre d’épouses étrangères, de cadres dans l’Etat algérien, ne cesse d’augmenter depuis l’Indépendance. Cela ne m’empêchera pas, en ce qui me concerne, de profiter de cette occasion pour rendre un vibrant hommage aux épouses étrangères d’Algériens qui ont suivi leurs maris au maquis, au péril de leur vie. Je cite Michelin et Paulette encore vivantes, d’origine française, qui ont connu les représailles de l’armée coloniale au village Iferhounène durant les années 1958-1959. Le crime, je dirais, de mettre à la vindicte populaire des révolutionnaires de la première heure sur la base d’un critère conjugal, rejoint à mon avis le déni fait aux Français, Italiens, d’Allemands et Marocains… qui ont choisi de s’engager dans les rangs du FLN ou de militer à partir de la métropole, en tant qu’épris de la Révolution algérienne, de justice et de paix. La liste est longue, je citerai Me Vergès, Michel Rocard, Frantz Fanon, etc. «A noter que dans l’esprit fiévreux de Ben Bella, pour ce qui concernait Abane, cela équivaut à une accusation, sinon à une condamnation. En vérité, l’ex-épouse de feu Abane n’est pas Française mais bel et bien Algérienne», ajoute le cite Internet. Ceux qui étaient victimes des conséquences de cette jalousie avaient en fait une envergure nationale et leur crédibilité dépassait nos frontières car, de mon point de vue, accuser Amirouche de vouloir mettre la main sur la Révolution, ne pouvait être lu, interprété, en terme de guérilla qu’un succès fulgurant, car il s’agissait de luttes, d’embuscades, d’attaques, de ratissages et d’opérations tristement célèbres dont la plus meurtrière «jumelles» où le devoir était de s’imposer et où les chefs avec leurs vaillants djounoud prenaient des risques énormes. Nous n’étions pas encore à cette époque de la guerre totale, dans de nombreux palais comme à l’Indépendance : Palais du peuple, Palais du gouvernement, Résidence le mithaq, etc. Ce reproche que l’auteur, en l’occurrence Ali Kafi, voulait faire passer comme une faiblesse, n’était, en fait, pris dans l’esprit d’un véritable patriote, qu’un mérite, une prouesse qu’il convenait d’encourager, de féliciter, de décorer.
Au contraire des affirmations de l’auteur de l’ouvrage Mémoires d’autres militants et non des moindres ont donné d’autres explications qui se rejoignent. En fait, on comprend que c’était le début d’une longue période de lutte pour le pouvoir qui va s’exacerber davantage après l’Indépendance. Les exécutions pour des motifs contre-révolutionnaires vont proliférer, il serait édifiant de lire à ce propos le témoignage de Belaïd Abdeslam qui nous fournit sa vision on ne peut plus claire dans une conférence organisée : «Abane Ramdane dérangeait beaucoup de monde, c’est pour cela qu’il a été assassiné». Sa personnalité et sa persévérance commençaient à l’imposer comme le leader de la Révolution, ce qui n’a pas été du goût de certains. Cette conférence a été également l’occasion pour des moudjahidine et d’anciens ministres de revenir sur deux moments charnières de la Révolution algérienne, à savoir le Congrès de la Soummam, en 1956, et l’attaque du Nord constantinois en 1955. Concernant l’attaque du 20 août 1955, les intervenants ont profité de cette occasion pour vanter les mérites de Zighout Youcef, «le ferronnier devenu héros», tête pensante de cette attaque à travers laquelle il visait plusieurs objectifs.
Le principal objectif était de desserrer l’étau sur la région des Aurès encerclée pendant plusieurs mois par les forces françaises. L’autre but, selon Mohamed-Salah Bousselama, un des compagnons de Zighout, a été d’impliquer le peuple dans la Révolution «pour démontrer à ceux qui doutaient encore que la Révolution était bien celle du peuple et non imposée par l’étranger». Ce dernier a également affirmé que la réaction française a été féroce et sanglante. «Plusieurs Algériens l’ont payé de leur vie», «mais c’était une nécessité pour mettre le peuple devant ses responsabilités». Concernant le Congrès de la Soummam, la conférence a débattu les préparatifs de ce moment historique au cours duquel Abane Ramdane avait réussi le miracle de rassembler tous les dirigeants des partis politiques algériens autour d’un accord qui se transforma en machine de guerre contre le colonialisme français. Les principaux objectifs de ce Congrès étaient de réunir les chefs de régions, d’évaluer la situation de la Révolution, d’organiser l’Armée de libération nationale (ALN) et enfin de désigner un commandement unifié à la Révolution. «Pendant 9 ou 11 jours, les chefs de la Révolution vont se réunir et discuter de la situation dans une maison forestière dans la vallée de la Soummam», «libérée par le colonel Amirouche», a souligné l’ancien ministre et
moudjahid, Abdelhafid Amokrane. La réunion présidée par Larbi Ben M’hidi et rapportée par le secrétaire du Congrès, Abane Ramdane, a abouti à quatre décisions importantes, selon le conférencier : l’adoption de la plate-forme qui contient les objectifs de la Révolution, l’organisation de l’Armée de libération nationale (ALN) avec des grades, des règles de promotion et de conduite et le découpage militaire de l’Algérie en 6 wilayas. Mais la plus importante des décisions de ce Congrès a été la création de deux organes de commandement de la Révolution : le Comité de coordination et d’exécution (CCE), qui est un gouvernement de guerre, et le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), qui est une sorte d’assemblée nationale de 34 personnes. Le CCE était composé de cinq membres, à savoir Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Krim Belkacem, Benyoussef Benkhedda et Saâd Dahleb, le conférencier a déclaré qu’à partir de ce moment, la Révolution algérienne avait franchi un pas vers le renouveau et vers une autre étape de l’Histoire. En effet, les chefs historiques qui ont fait ce grand événement l’ont, tôt ou tard, payé de leur vie, comme ce fut le cas pour Abane Ramdane. Enfin, nous ne pouvons clore cet entretien sans rapporter les quelques remarques suivantes que nous avons nous-mêmes sollicitées de la part de Belaïd Abane, remarques qui seront développées dans un ouvrage à paraître prochainement. Je ne finirai pas mon propos sans évoquer l’apport de Belaïd Abane sur cette question d’actualité. Son intervention apporte des réponses à mes questions : «La question qui se pose est de savoir si ce congrès, qui a fait tant de bien à la Révolution ne lui a pas, en parallèle, beaucoup nui.» Aucun historien, aucun dirigeant de la Révolution, y compris Kafi et Bentobbal (mis à part Ben Bella et Mahsas) ne reprend une telle affirmation. Tous reconnaissent que le Congrès de la Soummam a été une étape capitale de la Révolution, celle qui lui a permis de passer du stade insurrectionnel à la phase révolutionnaire proprement dite. L’historiographie algérienne reconnaît elle-même, également, que le Congrès de la Soummam a été une étape fondatrice de l’Etat algérien moderne. Certains dirigeants pensent, cependant, que la désignation des centralistes Ben Khedda et Dahlab au sommet des instances dirigeantes de la Révolution et l’éviction des dirigeants installés au Caire (les «historiques»), a été un motif de discorde entre le CCE et la Délégation extérieure, notamment entre Abane et Ben Bella. Du reste, cette «erreur» a été corrigée à la session du CNRA qui s’est tenue au Caire en août 1957. Dahlab et Ben Khedda ont été évincés pour isoler Abane mais sont revenus trois ans plus tard par la grande porte. Je rapporte tout cela avec force détails dans mon prochain livre. Après avoir rapporté les attaques de Ben Bella, il serait juste et légitime de donner l’avis contraire et de citer le jugement de Ben Khedda sur Abane. C’est une question d’équilibre. Voici ce qu’écrivait, en réaction à l’attaque de Ali Kafi, l’ancien président du GPRA, dont l’honnêteté intellectuelle et révolutionnaire n’a jamais été prise en défaut : «Quelle motivation a poussé Kafi, secrétaire de l’Organisation nationale des moudjahiddine à diffamer et à calomnier un symbole de la Révolution, connu pour son œuvre historique d’unification des forces nationales qui a permis la libération de l’Algérie. Il a poussé l’outrecuidance jusqu’à s’attaquer à un mort et salir sa mémoire, jouant par là un rôle peu glorieux et peu digne… Dans les reproches faits au Congrès adressés à la direction du FLN par certains membres de la Délégation extérieure, c’est surtout la présence au CCE de Ben Khedda et Dahlab qui est visée, «centralistes», accusés d’avoir combattu le déclenchement armé du 1er Novembre 1954. Des «centralistes» devenus membres du CCE, habilités, en outre, à «contrôler les activités de nos organismes à l’intérieur et à l’extérieur», cela était insupportable pour les «chefs historiques» qui estimaient qu’eux seuls avaient le droit de diriger le FLN et la Révolution. En réalité, c’était Abane qui était ciblé et dont la montée fulgurante donnait des cauchemars à certains ? S’il y avait des reproches à faire contre la désignation au CCE des deux «centralistes», ce n’était pas uniquement à Abane à les adresser mais aux 4 ou 5 colonels de wilayas présents au Congrès et qui avaient ratifié ce choix. 5 ans après, c’est à ce même Ben Khedda et à ce même Dahlab qu’il est fait appel en 1961, l’un pour être le deuxième président du GPRA, l’autre pour mener à bien les négociations avec la France. Je confirme cependant que Abane a été marié une seule fois avec une Algérienne «pur jus». C’était sa secrétaire et agent de liaison. C’est elle qui a tapé les textes du Congrès de la Soummam en septembre 1956. Ben Bella a été, comme souvent, une espèce de «bûcheron de nuit» (hattab llil) qui sait faire feu de tout bois.»
Interview réalisée par : Mohamed Mouloudj