Les damnés de la capitale

Partager

Ces malheureux sont considérés comme des marginaux par la société. Ces oubliés de l’Algérie sont condamnés à vivre dehors sept jours sur sept. Nuit et jour ; ils doivent lutter contre la canicule, le froid glacial, la faim, ceci sans aucune perspective d’avenir. Ce sont des personnes en détresse psychologique car ayant perdu tout moyen de réintégrer la société. Le SAMU intervient pour accomplir sa mission salutaire : tenter de secourir les misérables qu’hébergent les rues d’Alger. Ainsi, le SAMU a une double mission. Les interventions dans la rue effectuées quotidiennement par les équipes mobiles, et le secours psychologique, social et médical, dans le cas où ces personnes se trouveraient en détresse sociale, mais aussi en cas d’urgence médicale. Ils sont placés dans ce cas dans un centre, ou ramenées dans leurs familles quand cela est possible. Le SAMU social a pour rôle d’aider les SDF à affronter l’adversité. Il accompagne ces malheureux aux centres de transit qui recueillent les sans-abri durant quatre à cinq jours avant de les ramener chez eux s’il y a lieu, ou encore les casent dans des centres d’accueil. « Hommes, femmes, et de plus en plus d’enfants occupent les rues d’Alger, il est difficile de les dénombrer », nous dira Mustapha Alilat, directeur du SAMU social de Dely Ibrahim avant d’ajouter : « Il y a plus de 1 000 personnes à Alger, 80% viennent d’autres wilayas. » Les jeunes viennent dans la capitale pour y rechercher du travail, malheureusement ils se retrouvent piégés : pas de travail bien sûr et plus de toit. C’est le cas de Adnane. un jeune de 20 ans, natif de Aïn Defla qui est à la rue depuis plus de trois mois. Les rues d’Alger accueillent ces vagabonds d’un nouveau genre, de tous âges et des deux sexes. « L’année dernière il a été enregistré 1 364 sans-abri ». Ce chiffre témoigne, à lui seul, de l’ampleur de ce drame qui dévoile la face cachée de l’Algérie.

Virée dans les rues d’Alger avec le SAMU social de Dely Ibahim

Dimanche soir, on a tenu à accompagner le SAMU dans sa tournée quotidienne dans les rues d’Alger. Il est 20h30. Trois fourgons du SAMU s’occupent de la distribution de repas chauds composés de lentilles, viande, pain, dattes et d’une orange. Nous sommes dans le groupe de Zoubir, Djamel, Samir et Fazia. Bab El Oued est notre première destination. Le stade Ferhani est notre première halte. On devait y retrouver un groupe de six jeunes squattant les lieux, mais ils ne sont pas là. Nous avons toutefois eu le temps de voir l’abri en tôles et sachets qui leur sert de toit.

Deuxième halte à la place des Martyrs où on fait la connaissance de Aissa, 44 ans. Un peu plus loin, un homme blotti sous une couverture peut à peine être distingué des ordures entassées à quelques mètres de lui. L’équipe du SAMU le réveille pour lui offrir un plat chaud, un sourire éclaire le visage ravagé par les années de Omar qui n’a pourtant que 35 ans. Il est venu de Tizi Ouzou pour s’installer chez son frère le temps de trouver du travail, son frère l’a chassé et depuis 10 ans il est à la rue. Ahmed de Annaba, 55 ans nous parlera de ses deux garçons qu’il n’a pas revus depuis 20 ans. Tayeb 40 ans de Tizi Ouzou, a un handicap mental, il a fui le domicile familial pour se retrouver à Alger.

22h15. La tournée du SAMU se poursuit, l’équipe de Zoubir a servi plus de 40 plats. Aïcha la quarantaine est sur un carton, une couverture sur les épaules, elle est heureuse de nous voir. Elle nous raconte qu’elle s’est disputé avec ses compagnons, qui sont un peu plus loin. Un groupe de femmes nous hèle. L’équipe de Zoubir les rejoint pour leur offrir à manger. Six femmes sont blotties les unes contre les autres, un muret les cache aux regards et leur sert de toit la nuit. Fatma 46 ans de Chlef, Lila 35 ans de Bouira, Meriem 38 ans avec son enfant de 15 ans, cette mère célibataire originaire de Relizane, se confie à nous : « j’avais 21 ans quand j’ai quitté le domicile familial, j’étais maltraitée par mon père, pour mettre fin à cela j’ai fugué. Je suis venue à Alger, j’y ai rencontré un homme avec lequel je suis resté trois mois, quand il a su que j’étais enceinte, il m’a quitté, j’ai eu une fille que j’ai laissée dans une famille d’accueil, j’ai rencontré ensuite un autre homme avec lequel je suis restée quatre ans, c’est le père de mon garçon qui est avec moi. Je suis à la rue depuis 22 ans ». Ainsi, la rue réunit ces femmes devenues camarades de misère.

23h05. L’équipe du SAMU arrive à la rue Hassiba, après avoir servi plus de 60 plats. Trois jeunes s’abritent à l’aide de cartons récupérés dans les poubelles, l’unique chauffage pour Mohamed, Abdallah et Hichem, ces derniers ont coupé les ponts avec leurs familles depuis des années. A quelques mètres d’eux, nous abordons Sofiane un jeune de 19 ans, originaire de Annaba, niveau 9e, diplômé en informatique, il est venu à Alger pour y chercher du travail, mais peine perdue. Nos regards sont attirés par un livre 400 devinettes et jeux. “Il est à moi. C’est pour y apprendre le français et me distraire”, nous dira fièrement Sofiane qui essaye de déchiffrer difficilement quelques mots. Un passant s’exclame : « Je suis passé par plusieurs pays et c’est la première fois que je vois ça, quelqu’un qui s’occupe de ces pauvres malheureux. » La tournée continue, avec de nouveaux visages Nassim, Kamel, Fatiha, Nadia et ses trois filles Ouahiba, Wafa, Naïma, ainsi que Saïd, un vieil homme de 70 ans qui nous agresse après le flash de l’appareil photo de notre collègue. A minuit, mission accomplie pour le SAMU, mais avant de rentrer, l’équipe de Zoubir décide de revenir au stade Ferhani. Mais le groupe n’est toujours pas là. L’équipe laissera le repas des trois jeunes après l’avoir bien couvert. 00h20. La tournée prend fin, chacun rentre chez lui le cœur lourd avec à l’esprit l’image terrible de ces laissés-pour-compte.

Ouerdia Sait

Partager