Briser le silence

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En lisant ces termes, il vient à l’esprit le mot «hogra», qui signifie en dialecte algérien «prise de quelqu’un sur quelqu’un d’autre» et qui induit implicitement le concept de violence, de maltraitance, et d’injustice que subit la femme au quotidien. Cependant, cette femme n’est autre que la mère, la sœur, la fille ou l’épouse. La violence verbale ou physique est son lot où qu’elle soit ; dans la rue, à l’université, au travail où chez elle. Le rêve de chaque femme de s’offrir la stabilité en ayant un toit, un mari des enfants s’évaporent au fur et à mesure que les années de sa tendre et naïve jeunesse s’égrène …. Hélas ! Ce n’est pas le cas pour toutes les femmes. Désormais, l’homme qui lui a juré respect et amour afin de s’unir pour le meilleur et le pire se métamorphose en bourreau et la vie devient insipide, même la vie conjugale rencontre beaucoup de problèmes. Les beaux sentiments n’ont, alors, plus de place, la haine, la rancoeur y prennent place du jour au lendemain. Les tâches ménagères, au lieu de se faire avec plaisir et dans la chaleur deviennent une corvée. Tout cela dans une atmosphère insulte et de méchanceté de la part son mari. Ainsi une seule et unique idée trottine dans sa tête : c’est partir Mais où aller ? Chez ses parents ? Avec ou sans ses enfants ? Au centre S.O.S ? dans la rue ? Et puis…Toutes ces questions vont foisonner dans sa tête avec la peur du qu’en dira-t-on. Au sein d’une société qui ne pardonne pas la moindre erreur à la femme, toujours considérée fautive et à plaindre. Comme si l’homme a tous les droits. Ainsi, des millions de femmes décident de se taire de «s’engouffrer» dans l’anonymat, alors que d’autres préfèrent rompre les chaînes du silence.

Des chiffres terribles !

Les statistiques fournies par la police judiciaire pour l’année 2008 parlent d’eux-mêmes : 9 500 cas de femmes victimes de violence, dont 6180 cas de violence physique, 280 cas de violence sexuelle, 2 805 femmes maltraitées, 226 cas de harcèlement et 9 cas d’homicide. Concernant les cas de violence conjugale : 1505 cas sont enregistrés, dont 78 cas émanant du père, 360 du frère, 287 du fils, et 305 des amants et 6965 autres cas. Ce qui est intolérable, c’est que la société fait tourner la quasi-totalité des cas à la médisance et souvent on charge la femme comme étant à l’origine de tous les maux. Et ce en le traitant de tous les noms : Diablesse, mégère….

Les Associations et les centres d’écoute au secours…

Cependant, ces dernières années, face à la multiplication des cas de violence, de nombreuses femmes ont pu se constituer en associations ou en réseaux, avec les nouveaux dispositifs juridiques mis en place. Des centres d’écoutes sont à la disposition de la femme à travers des centres d’appel

Réseau Wassila, à titre d’exemple, qui existe depuis l’an 2000. C’est un réseau de réflexion et d’action en faveur des femmes et des enfants victime de violence ; un réseau indépendant de toute organisation politique syndicale ou religieuse et qui vise à promouvoir et à sauvegarder par un travail de sensibilisation de l’opinion publique quant aux conséquences de la violence.

L’âge des appelantes mariées au taux de 60%, leur âge varie entre 21 et 40 ans. Il y a des femmes qui subissent la violence même à partir de 50 ans. Cependant 30% des femmes mariées, dont 12 % sont soit séparées, sont répudiées ou divorcées et la moitié d’entre elles ont 2 ou 3 enfants. Par ailleurs, 57% des femmes ne travaillent pas, donc elles ne sont pas autonomes sur le plan matériel. Elles dépendent soit du mari ou de la famille.

A fond la pression….

47% des appels enregistrés ont pour demande une aide psychologique, c’est-à-dire que la personne qui ose appeler n’est pas encore prête pour passer à une autre étape. 21% de femmes réclament une aide juridique et des informations sur ce qu’elles peuvent faire (en pensant au divorce, ou à déposer plainte), comme elles demandent, aussi, des informations sur la reconnaissance de paternité, les problème d’héritage et la garde des enfants. 12% des femmes demandent une aide sociale, c’est-à-dire elles se retrouvent carrément dans la rue. Mme Dalila Djerbal, membre du réseau Wassila, nous confie : «C‘est un sujet très difficile, soit elles n’en parlent pas ou très peu…il y a celles qui subissent des violences sexuelles, pendant plus de 20 ans. C’est horrible surtout quand cela génère des handicaps pour la femme.La société a perdu ses repères et c’est douloureux. C’est pour cela qu’on a recours à la fugue et à la drogue».

Quand les femmes violentées se confessent

Amel, 32 ans, deuxième d’une fratrie de 5 enfants, universitaire et très dynamique. Ayant toujours vécu avec sa mère, ses parents ont divorcé lorsqu’elle n’avait que 6ans, elle ne garde que de vagues souvenirs de son père.

« …J’ai connu mon mari alors que ma vie familiale n’était qu’instabilité et incertitude. Il était mon espoir, mon bonheur et tout avait l’air de marcher à merveille, comme je l’avais toujours souhaité et rêvé. petit à petit, il se transformait en monstre, ne voyait en moi qu’un objet sexuel tout juste bon à satisfaire ses désirs les plus vils. il me prenait tout mon argent et sans me donner aucune explication… Il n’arrête pas de me menacer de divorcer, sachant tout ce que le divorce représente pour moi. Aujourd’hui, je suis réduite a un objet sexuel, une machine à fournir de l’argent ; je me sens vidée de l’intérieur, lasse, très lasse !»

Zahira, 35 ans : «Je suis mère de 4 enfants, mon mari travaillait. J’étais secrétaire du maire de la ville. Mon mari m’a demandé de renoncer à mon travail pour rester au foyer. Quelques mois plus tard, il se retrouve en chômage et depuis mon cauchemar commence. Violence à mon égard et ses enfants…. sans espoir ! Il recommence de plus belle. Aujourd’hui lasse, je veux le quitter. Mais où aller ? je n’ai aucun revenu je n’ai plus de famille ».

Depuis, plusieurs associations à l’image de l’association «Tharwa n fatma n’soumer», «SOS femme en détresse» s’affairent à venir au secours de ses malheureuses, et elles sont de plus en plus nombreuses. Les associations apportent un soutien effectif, que ce soit sur le plan psychologique ou juridique à ses femmes devenues du jour au lendemain des «loques». Parfois, elles leur viennent en aide en leurs offrant un toit et de quoi subsister, elles et leurs progéniture. Elles tentent tant bien que mal d’apporter une bouffée d’oxygène à ces êtres sensibles, désarmés et otages d’une situation fort embarrassante. Tout comme, les membres des associations font de leur mieux, lorsque cela est possible, pour accompagner les deux époux jusqu’à retrouver l’entente et «sauver» le couple. Mais quand la situation s’avère impossible des aides sont apportées à ces victimes violentées par leur conjoint ainsi que pour leurs enfants qui seront pris en charge et scolarisés et resteront avec leur mère jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée.

Des séquelles… et les enfants dans le collimateur !

La violence physique sur les femmes se traduit régulièrement par des contusions, ecchymoses, hématomes et fractures, le plus souvent dues à des coups portés à main nue et touchant principalement le visage, le crâne, le cou et les extrémités. Dans près de 70 % des cas, ces actes de violence se déroulent devant les enfants, et ils les concernent directement dans 10 % des cas, avec des séquelles physiques et psychologiques comparables à celles observées chez leur mère. Comme le précisent les rapporteurs, « la violence dont l’enfant est témoin à les mêmes effets sur lui que s’il en était victime. Ainsi, ces enfants sont susceptibles de reproduire la violence, seul modèle de communication qu’ils connaissent » cependant les statistiques montrent que prés «d’une femme mariée sur dix, dont l’âge varie entre 19 et 64 ans, fait l’objet de violence physique»

Lania Dwawda, psychologue au C.H.U Mustapha Bacha, Nous fait part de l’état des femmes qu’elle prend en charge « ces dernières sont dépourvues de leur dignité et du respect, elles ne vivront plus en harmonie dans leur vie sociale…elles vivront toujours dans la honte», un enfant qui a subi pendant son enfance des violences physiques ou autres, va devenir violent… l’enfant qui vit et assiste, impuissant à des moments difficiles avec la violence comme facteur prédominant au sein du couple de ses parents… il aura des troubles de comportement et sera toujours réservé, il ne donne rien, il commettra des fugues régulièrement… il ressemblera à son père un jour ou l’autre !

Que prévoit la loi ?

Au plan pénal, il faut rappeler les différentes peines prévues par le code en vigueur. Ainsi, si la femme dépose plainte suivie d’une réquisition du procureur ou de l’officier de police judiciaire, elle est suivie d’une admission aux urgences et d’une consultation médico-légale. Que prévoit la loi ? En vertu de l’article 36 de l’ordonnance 05-02 du 27 février 2005, la loi définit les obligations des deux époux comme étant la cohabitation en harmonie et le respect mutuel et dans la mansuétude et la concertation mutuelle dans la gestion des affaires familiales. L’article 266 stipule : « lorsque les blessures ou les coups, ou autres violences… n’ayant pas occasionné une maladie ou incapacité totale de travail excédant quinze jours, ont lieu avec préméditation, guet-apens ou port d’arme, le coupable est puni d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende de 200.000 à 1.000.000 de DA». Quant à l’article 264, il définit la violence conjugale comme suit : « quiconque, volontairement fait des blessures ou porte des coups à autrui ou commet tout autre violence… s’il résulte de ces sortes de violences une maladie ou une ITT pendant plus de 15 jours, il est puni d’un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 100.000 à 500.000 DA… » Une réalité amère qui s’explique par la mentalité souvent rétrograde des Algériens. Nombreux sont ceux qui croient que le mari a un droit de vie et de mort sur son épouse,Les agressions psychologiques représentent un vingtième des cas de violences à l’égard des femmes en Algérie, tout comme les violences sexuelles dont la moitié sont des viols. Mais ces données sont très loin de refléter la réalité. Elles ne représentent que le nombre des femmes qui ont déposé plainte. Ce sont les victimes ayant un niveau d’instruction supérieur et celles qui affichent une indépendance financière. Rares sont celles qui portent l’affaire devant les tribunaux. Ainsi, la meilleure solution qui reste pour arrêter la progression de ce phénomène est celui d’inciter les victimes à dénoncer leur situation en un mot «briser le silence».

Enquête réalisée par Kahina Idjis

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