«La femme est un individu de sexe féminin de l’espèce humaine». Cela est aussi évident que d’affirmer que l’eau mouille. Pourtant, cette évidence n’a été digérée que très tard. Et encore ! La femme, cet individu de l’espèce humaine, n’a conquis des espaces de “liberté’’, de dignité que depuis la prise de conscience de l’inégalité de condition et de statut entre l’homme et la femme.
Dès lors, les sciences sociales ont cherché à relever le pourquoi de l’inégalité et les mouvements féministes à le combattre. Qu’en est-il chez nous, notamment en Kabylie ? Les choses semblent avoir sensiblement évolué dans la société kabyle où la femme ne s’affirme qu’une fois grand-mère. Elle devient alors un individu respecté, écouté, une sorte de amghar azemni au féminin qui décide, à l’échelle de la famille bien sur.
Quoi qu’il en soit, l’image de cette brave femme kabyle qui, les yeux baissés et les épaules rentrées, transpirait sous un fardeau qui fait deux fois son poids tend à disparaître. L’époque où elle n’assurait que la fonction de ‘’seksu d wusu’’ (le couscous et le lit) et était soumise à un esclavagisme paysan imposé par une société masculine plurielle est révolue. Mis à part quelques ‘’poches’’ où elle continue à subir le diktat sociétal, la femme semble en avoir fini avec le temps où faisait tout et ne disait rien, travaillait pour l’homme, dans le champ de l’homme et, le soir venu, assurait la fonction de procréatrice. Fini aussi ce bouillonnant combat féministe pour les droits de la femme qui même s’il a marqué des points, n’aura au final et en gros réussi qu’à suggérer cette idée stupide qui consiste à croire que l’émancipation de la femme se matérialise à travers un jean et une cigarette.
Aujourd’hui, la rurale en veut et se bat. Elle descend, tous les matins, de Takerboust, de Zriba ou de Taghzout pour composer d’égal à égal avec son collègue de la ville.
Elle est médecin, enseignante, ingénieur et même policière ou juge dans un pays où la Constitution la décrète mineure à vie et la société cautionne le «ridjal qawamun âala nnisa (les hommes sont plus ‘’intelligents’’ que les femmes) » Paradoxal ?
Pas si paradoxal que ça, lorsque l’on sait que les considérations économiques, c’est-à-dire l’argent, fait taire toutes les attitudes moyenâgeuses. En fait, cette transmutation spectaculaire de la femme rurale s’explique essentiellement et tout simplement par le fait que la famille rurale a besoin d’une stabilité salariale à même de lui assurer le pain quotidien. L’huile d’olive et les figues sèches ne répondent plus aux besoins allant crescendo de montagnards de plus en plus exigeants. Mais pour travailler, il faut étudier. Cela, les jeunes rurales l’on compris et digéré. D’abord, aller à l’école pour ces jeunes villageoises était une aubaine pour fuir le diktat du frère, du père et même du petit frère. L’école était avant tout autre chose un espace de liberté. Un espace qu’elles apprécieront davantage, puisqu’il leur permettra de s’affirmer et d’exister. Elles prendront consciences très tôt, dès le cycle primaire que si elles ne réussissaient pas, elles rentreraient à la maison aider la mère, avant qu’un inconnu ne vienne demander sa main. Elles s’accrochent. Elle est battante. Primaire, moyen et le bac au terme du cycle secondaire.
C’est leur acharnement à ne pas ressembler à leurs mères et grand-mères qui expliquent leurs réussites dans les études. Elles arrivent à l’université. Et là, tous les rêves et tous les espoirs leurs sont permis. De rurale puis battante, la villageoise devient femme de tête qui sans bruit résiste et refuse de plier l’échine devant le Code de la famille et le ‘’terrogrisme’’.
T. Ould Amar