Inhabituelle aussi bien dans la gestion des structures culturelles officielles que dans la prise en charge par le monde associatif des activités relevant de la mémoire collective, du patrimoine et de l’activité culturelle en général.
Sur le plan des programmes gouvernementaux liés aux infrastructures culturelles et à la conservation du patrimoine, les actions programmées ne manquent pas de pertinence. Il n’y a qu’à citer, à titre d’exemple, la réhabilitation du tombeau de Takfarinas, dans la commune d’El Hakimia et des remparts de la ville de Sour El Ghozlane, en plus du projet de restauration du Bordj turc de la ville de Bouira.
Ce qui est plus prégnant en la matière, c’est sans aucun doute ces activités liées au patrimoine culturel immatériel qui commence dont l’intérêt s’accroit un peu plus chaque jour. En l’espace de deux semaines, le chef-lieu de la wilaya a eu à vivre deux événements d’importance majeure : l’évocation, jeudi passé, de la mémoire et de l’œuvre de Djamal Amrani, un poète de langue française et un militant de la cause nationale né à Sour El Ghozlane et qui a laissé une œuvre littéraire très étoffée ; et un séminaire sur la chanteuse kabyle Bahia Farah (femme du peintre miniaturiste Temmam) à partir de mardi prochain, regroupement auquel vont assister des noms prestigieux de la chanson kabyle qui ont connu ou côtoyé Bahia Farah.
Généralement, c’est en dehors des grandes fêtes officielles et des redondants festivals que se font- quand bien même ce serait parfois dans le quasi anonymat- les efforts les plus méritoires pour la réhabilitation des valeurs culturelles du pays. N’est-ce pas que l’on peut remonter la pente des chemins de l’indifférence et de la médiocrité par des gestes qui paraîtraient d’une courante banalité pour des rustres trop longtemps engoncés dans un inquiétant fatalisme ?
Que les efforts de la société civile et de l’élite culturelle fassent momentanément jonction avec une bonne volonté venant des pouvoirs publics ne peut être que loué et encouragé. Cependant, tel n’est la cas qu’exceptionnellement.
Loin du style des hommages sans lendemain auxquels nous ont habitués les pouvoirs publics chargés du domaine de la culture, la Kabylie a su, particulièrement au cours de ces dernières années, manifester à l’endroit de ses hommes et de ses femmes de culture, vivants ou ayant quitté ce monde, le plus grand intérêt et la plus généreuse sollicitude. Si, dans un passé récent, ce genre d’hommages sincères et de fixation de la mémoire collective n’étaient pas bien visibles- même si de beaux et estimables gestes furent accomplis dans ce sens-, cela est surtout dû au brouillard politique et aux luttes intestines rendus possibles par la déliquescence de la classe politique et l’exacerbation de la cupidité des affairistes de tous bords. Dans le domaine de l’art et de la culture, comme d’ailleurs dans la sphère politique, s’est mise en place, à qui mieux mieux, une faune de faussaires et d’activistes par “défaut’’ qui, momentanément, avaient occulté les vrais créateurs, les esthètes accomplis et, en général, les libres penseurs.
En ayant fait, par exemple, de l’année 2006 une halte pour revisiter l’œuvre et revivifier la mémoire du démiurge de la modernité kabyle, Si Moh U M’hand, ceux qui activent dans le domaine de la culture en de Kabylie ont décidé de se donner les références du mythe fondateur de la grande geste de la renaissance culturelle. Si l’intérêt et le besoin de revisiter la mémoire collective doivent passer par le recul ou l’étiolement d’activités politiques factices et même vénéneuses, alors que cela se fasse au grand bonheur d’une jeunesse déboussolée par le nouvel environnement où il y a place à tout sauf à ses préoccupations, désenchantée par de fumeuses promesses évanescentes et servant toujours de généreux alibis à des bureaucrates suintant l’hypocrisie.
Ce n’est pas sans un sentiment d’amertume et d’impuissance que des jeunes kabyles ont revisité l’œuvre de Mohia dont on ne détient, matériellement parlant, presque aucune œuvre.
Les cassettes audio qu’il enregistrait dans des locaux de fortune à Paris et qui n’ont jamais connu de circuit commercial ont fait le tour des chaumières et des hameaux de la montagne pendant plus de vingt ans. Il n’avait, pour développer sa philosophie de la vie avec le support linguistique de nos ancêtres, que ces bandes amochées et éreintées d’avoir été copiées des milliers de fois.
Le retour régulier sur la mémoire et le legs de Matoub Lounès est un autre signe- qui ne trompe pas- de la disponibilité de la jeunesse kabyle à se forger des repères sur la base d’un continuum historique qui hèle perpétuellement notre être collectif et individuel.
Cette même jeunesse n’a pas omis de se retrouver autour des idées et des espoirs nourris par Ali Zamoum, un militant des causes justes, et l’association “Tagmats’’ qu’il a fondée.
Dans le contexte d’un environnement où les repères identitaires, culturels et sociaux sont malmenés et brouillés, et face à une factice modernité où le strass s’échine toujours chasser le joyau, une telle communion entre la nouvelle génération et les œuvres culturelles majeures constitutives de la mémoire kabyle doit être appréhendée comme une volonté d’identification, de ressourcement, de continuité et de renaissance.
Amar Naït Messaoud