Ironique, le citoyen Lambda ne retient que l’immense chantier du pénitencier d’Oued-Ghir comme contribution de l’Etat au développement de la wilaya. Un ouvrage bétonné implanté bien en vue sur une route passante comme un argument psychologique de répression, là où on pouvait espérer un CHU pour des étudiants d’Aboudaou qui vont atteindre la 4ème année sans jamais avoir vu un seul malade en situation….
En fait une véritable politique d’asphyxie semble avoir été mise à l’œuvre. Elle est telle que des acteurs théoriquement tenus par un certain devoir de réserve en arrivent à s’en émouvoir bruyamment à l’image du P-DG du Port qui ne cesse de râler contre l’hypothèque que fait peser le non démarrage de la pénétrante autoroutière sur son entreprise qui, avec les avancées de l’autoroute Est-ouest, se voit éloignée d’une voie d’échanges privilégiée.
Le chef-lieu de wilaya dont la gestion échoit, pour la deuxième fois consécutive au FLN, fait peine à voir. Routes défoncées, circulation anarchique, amoncellement d’immondices, etc. Le tout agrémenté d’un cinéma de mauvais goût : Le jet d’eau du rond-point Douadji s’est miraculeusement remis à fonctionner pour « accompagner » le meeting présidentiel pour s’assécher dés le lendemain !
Les Bougiotes qui reviennent de Sétif ou de Jijel savent que l’incurie n’est pas une fatalité mais bien une option sciemment entretenue. En annonçant un plan de mise à niveau de la wilaya, Bouteflika prend du même coup à contre-pied ses propres soutiens qui n’ont cessé de gloser sur l’importance des crédits alloués par les pouvoirs publics. Abdelaziz Belkhadem est de ceux-là qui, à la veille de l’ouverture de la campagne électorale, proclamait pompeusement que « la wilaya de Béjaïa a bénéficié de 110 milliards DA de crédit depuis 1999 », en suggérant que c’est là un montant mirobolant. Et, suprême trait de culture anti-démocratique, que ce sont les élus du peuple – dont une appréciable quote-part est FLN – qui n’ont pas accompagné une telle manne ainsi qu’accessoirement l’administration locale, simple démembrement du gouvernement central s’il en est.
Or, quelques jours plus tard et depuis Larbaa, Ahmed Ouyahia révélait que Tonic-Emballage « a coûté à l’Etat 70 MDA » ! Il prodiguait ainsi, à son corps défendant, un cinglant démenti à la démagogie de son allié de la coalition. Ainsi donc, une seule et même entreprise, privée de surcroit, a bénéficié, d’une seule et même traite, de plus de 70 fois le budget annuel, tous concours confondus, d’une wilaya de plus d’un million d’âmes !
Abdelaziz Bouteflika souligne aussi qu’il s’informe à d’autres sources et qu’il n’est pas dupe du baragouin de ses thuriféraires. Il semble fini le temps où il s’en allait assister à une conférence africaine sur le Sida alors que le feu étrennait toute la Kabylie. Révolu ce temps où quelques proconsuls locaux, aux culs bien épanouies, lui susurrait que les revendications de la région ne sont qu’un « ballon de baudruche » qu’il convenait de crever. Mais la marque de l’ordre ancien perdure comme une rémanence. En demandant à l’assistance si la wilaya possédait des entreprises capables de donner suite au programme spécial, Bouteflika rappelle combien demeure prégnante la théorie mortifère de l’ancienne administration wilayale. Cette dernière claironnait, durant dix ans, que Béjaïa n’a ni surface foncière ni entreprise capable de prendre en charge de grands projets ! Qu’il fallait donc croiser les bras et se la fermer pour de bon !
Renversement d’alliances
Les nouvelles dispositions « kabyles » de Bouteflika viennent parallèlement au durcissement de son discours à l’égard des islamistes radicaux. Or en esquissant ainsi une rupture avec la politique de composition avec les islamistes, Bouteflika ne peut que chercher un nouveau deal avec le mouvement démocratique essentiellement portée par la Kabylie. Amazighité, promotion des droits de la femme et Etat de droit ont été des thèmes largement évoqué par le président-candidat bien avant qu’il n’atterrisse en Kabylie où, pour la première fois, il s’est incliné à la mémoire des martyrs du Printemps noir dans une inédite posture de repentance officielle. Assiste-t-on à un renversement d’alliance stratégique ou s’agit-il d’un simple captage électoraliste des voix du camp démocratique qui, pour cette élection-ci, n’a pas de candidat labellisé ? L’ex-émir national de l’AIS est, lui, bien catégorique.
Il estime que « Bouteflika a enterré la réconciliation nationale ».
Bouteflika a-t-il brusquement viré sa cuti ?
Abdelmalek Sellal, qui est, comme chacun le sait, dans le secret des dieux, en est convaincu. « Maintenant que le Président a une meilleure ouverture d’esprit, il va mener le pays le plus loin et le plus haut possible », dit-il. Il insiste, assez énigmatiquement, sur ce que « la fierté Kabyle doit prévaloir ». Quand Bouteflika dit qu’il veut ouvrir une nouvelle page avec la Kabylie, il faut peut-être entendre qu’il entend passer à un cap nouveau pour tout le pays et notamment en matière de démocratisation.
M. Bessa
