Les élus du FFS ont marché à Alger

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Avec un léger retard, la réunion nationale des élus a commencé peu après 11 heures. Mais quelques minutes auparavant, tout indiquait que quelque chose allait se passer. Il y a d’abord le nombre d’élus qui se sont présentés au siège national du FFS. Ils étaient 798 sur les 823 que compte le parti, notamment en Kabylie et dans l’algérois. Leurs mouvements renseignaient sur un état d’esprit totalement tendu au sein du parti et de ses militants élus, pour qui il ne reste pas beaucoup du temps à la tête d’assemblées déjà éprouvées par la misère. L’autre indice qui ne trompait pas sur les véritables intentions des responsables nationaux du parti de Hocine Aït Ahmed était le lieu réservé à l’accueil des élus. La table qui devait servir de perchoir était installée dans la petite cour du siège national du parti, qui ne pouvait d’ailleurs pas contenir toute cette foule. Tout indiquait que la réunion allait être expéditive. Le restant du mandat des élus aussi.A peine entassés devant les quelques responsables du parti, les élus et les quelques militants présents, au même titre d’ailleurs que les quelques journalistes qui ont sacrifié leur week-end, ont eu droit au traditionnel discours enflammé du secrétaire national chargé à la communication. Karim Tabbou annonce la couleur. « Cette décision est arbitraire. Elle vise à neutraliser la Kabylie » a-t-il lancé à l’adresse d’une assistance surchauffée avant de laisser la parole à son premier secrétaire, Ali Laskri. Le ton est donc donné avec un « vous êtes l’espoir » lancé par ce dernier à l’assistance qui répond par des applaudissement nourris. Parmi l’assistance, on retrouve d’anciens cadres à l’image de Ikhlef Bouaïche, mais surtout de Ahmed Djeddaï qui s’était fait très discret. Jusque là tout est normal. La plupart des élus croient toujours qu’ils sont là pour des instructions. Le temps d’une introduction de Laskri. « J’annonce une marche des élus du FFS vers la Présidence de la République ». La phrase est de Ali Laskri qui a surpris plus d’un, y compris les services de sécurité qui s’attendaient à une réunion organique. Pourquoi une telle action ? Laskri est catégorique : « Nous voulons dénoncer le coup de force du pouvoir contre le FFS et l’Algérie. » Il fallait donc sortir. Mais pour marcher, il ne fallait surtout pas s’aventurer. Karim Tabbou se saisit encore une fois du micro. Pas pour un discours, mais pour des instructions. « Il est hors de question, pour nous, d’utiliser la violence. Vous vous mettez par terre dès que vous êtes devant les services de sécurité », dit Tabbou aux militants, déjà prêts à défendre leurs sièges.Les banderoles sortent de partout. On peut y lire : « la dissolution des assemblées est un coup de force du groupe de Oujda contre la wilaya III historique », ou encore « la dissolution des assemblées est un acte raciste ». Les slogans aussi fusent de partout. « Ulac rwah ulac. Ulac smah Ulac » commencent à retentir. Les premiers carrés quittent le siège du parti pour l’avenue Souidani Boudjemaâ. La destination est connue. Proche même. La présidence de la République est à moins de deux kilomètres du siège du FFS. Tout le long du parcours, il n’y avait, à tout casser, qu’une dizaine de policiers. Tous sont des agents de circulation. C’est la preuve que même les autorités sont surprises. Elles n’ont pas pensé à une marche ou toute autre manifestation publique. « Nous allons casser le régime de territoires occupés imposé à la capitale », avait averti, quelques minutes avant le début de la marche, Karim Tabbou. Midi moins le quart, tous les marcheurs sont déjà dans la rue. Les élus sont appuyés par des militants. Les responsables du parti sont en tête de la marche. A une centaine de mètres plus loin, les militants du FFS n’ont pas encore trouvé de résistance de la part des services de sécurité. Seuls les quelques agents d’ordre public ont tenté de faire un barrage. En vain. Ils n’ont pas tenu plus de deux minutes. Ils ont été submergés par les manifestants, beaucoup plus nombreux et plus déterminés. »Pouvoir assassin », “Bouteflika, Ouyahia, Houkouma Irhabia », ou encore » Si l’Hocine, mazalna mouaâridhine… », sont des slogans scandés à gorges déployées par les manifestants. Ce n’est qu’au moment où les manifestants sont arrivés au carrefour entre les avenues de Souidani et de Pékin, à quelques 200 mètres du siège, que le premier « bataillon » de CNS est arrivé. Les policiers ont immédiatement dressé un barrage. Il n’y a pas eu d’hostilité. Juste des cris de « pouvoir assassin ». Le millier de présents (la police disait qu’il y avait entre 800 et 1000 personnes), ont appliqué les consignes des dirigeants. Ils se sont arrêtés. Karim Tabbou tente de chauffer ses militants déjà chauffés par le soleil brûlant de midi. « Il faut respecter la frontière qui sépare le pouvoir arbitraire, en faisant signe aux policiers, et les démocrates », dit-il aux militants qui applaudissent et crient un slogan particulièrement hostile à Ouyahia. Les policiers n’ont pas bougé. Même leurs boucliers sont discrets. L’attitude est certainement réfléchie. Elle vise à ne pas créer de heurts tant que les manifestants n’ont pas tenté de forcer le barrage. De toute façon, ils ne sont pas nombreux. Pas autant que les années de la protesta en tout cas. Et pour ne pas rater l’occasion, les responsables et les militants du vieux parti, ont profité pour évoquer l’Histoire. Abane Ramdane était sur toutes les lèvres. La marche et le sit in auront duré environ une heure et demie. La chaleur et la détermination des policiers ont eu raison des marcheurs. C’est vers 13 heures que Karim Tabbou et Ali Laskri sont montés sur un mur pour prononcer des discours et mettre fin à la protestation. « Nous avons administré une leçon de pacifisme et d’organisation au pouvoir. Nous sommes des citoyens civilisés et nationalistes », a martelé Tabbou avec une voix presque éteinte, avant de lancer à l’adresse des policiers : « vous allez avoir beaucoup de travail ». Une phrase qui s’annonce comme un défi pour les pouvoirs publics. Un cri de détresse d’un parti qui va être obligé de quitter des assemblées où il est majoritaire. Ce sera dans quelques jours. Laskri aussi a parlé aux policiers. Mais pour évoquer les manifestations réprimées dans d’autres régions du pays. « Le pouvoir vous utilise, mes frères, pour frapper d’autres Algériens », leur dira-t-il. Les deux responsables demandent à la foule de se disperser. Dans le calme. La police les accompagne même jusqu’au siège. Les derniers slogans fusent. Tout le monde rentre. Sauf quelques élus qui restent encore sur Alger. Des militants préparent la fin de la manif. Karim Tabbou et Ali Laskri se préparent à s’adresser aux journalistes. La marche est terminée. C’est l’heure du bilan.

Ali Boukhlef

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