Une vie exubérante, une mort solitaire

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De l’avoir tant chérie et chantée d’avoir tant combattu pour cette terre d’Algérie, il fallait bien qu’un jour Djamel Amrani la retrouve par une immersion charnelle intégrale en y étant planté pour l’éternité et même pour après. Djamel Amrani est mort seul, mais la foule qui l’a accompagné à sa dernière demeure s’est rattrapée, qui en levant par la parole un dernier vers, qui en racontant une anecdote, qui en gardant un silence qui en disait long sur les images qui se bousculaient dans la tête.Djamel Amrani était un moudjahid qui a gardé les séquelles de la torture, et un grand poète qui a autant écrit qu’encouragé et fait connaître la jeune poésie. Mais le réduire à ces deux valeurs humaines, même si elles sont les plus nobles, entre autres, ce serait désincarner sa mémoire et en soustraire sa charge vivante qu’on ne pouvait glaner et recueillir que dans sa vie de tous les jours. C’est que Djamel Amrani, le poète et l’homme de tous les instants, était indissociable un et indivisible, le premier se prolongeant sans escale de convenances dans le second qui en retour, exhibait le premier dans un festival permanent d’exubérance et d’entorses aux bonnes manières.Réciter le poète sans dire l’homme serait occulter, ce que lui a osé ne jamais occulter, en allant parfois aux limites de la provocation, mais avec un tel naturel, une telle aisance qu’on ne devinait plus que, justement, il était en train d’oser. C’est avec le même naturel et la même harmonie que sa voix chaude et basse, c’est-à-dire virile, se conjuguait et s’imbriquait avec une gestuelle qui tenait plus du raffinement d’une Vénus que de la force d’un Apollon. S’il avait écrit et décrit ne serait-ce qu’une seule journée de sa vie tumultueuse et tourmentée, là où s’entrechoquent ses déchirements camouflés et ses éclats de rire tonitruants, il aurait rempli au moins autant de pages que n’en contiennent tous ses recueils réunis. Rarement, on aura vu un artiste vivre sa vie aussi intensément, aussi passionnément, aussi violemment, mais d’une violence assumée de telle façon à ce qu’on n’y détecte nulle trace d’agressivité. Il a vécu en soleil, pour se faire inhumer un jour de pluie. Même avec la météo, il a bouclé la boucle, après une vie belle à peu agitée.

Nadjib Stambouli

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