La fertilité du sol en question

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On estime qu’au niveau mondial, l’on perd chaque année 25 milliards de tonnes de sol, et il faudra 1000 ans pour en reconstituer deux centimètres d’épaisseur. On peut donc considérer que la terre perdue par l’action de l’érosion l’est presque définitivement. Toutes les actions de l’homme tendant à réparer cette calamité ne pourront, dans les meilleurs des cas, que freiner le cours du désastre. De toutes les formes d’érosion, c’est celle des eaux courantes que l’on connaît le mieux. On l’appelle érosion pluviale, provenant de la pluie, ou érosion fluviale, causée par les eaux courantes. L’érosion va du ruisseau d’eau de pluie qui serpente quelques minutes à la surface d’un tas de sable, jusqu’au fleuve qui ronge ses barrages, en passant par le torrent de montagne qui peut arracher à son lit, d’un seul coup, des centaines de mètres cubes de matériaux solides. Le ravinement se produit lors de fortes averses sur les terrains mal protégés ou carrément dénudés. Ce climat agressif devient plus dangereux lorsque des pluies torrentielles atteignent les 30 mm par 24 heures ou bien 20 mm en 2 heures de temps. Ce genre d’averse a déjà occasionné des dégâts dans certains points de la wilaya de Bouira. En septembre 1999, une voie de chemin de fer a été déchaussée à Bechloul au point où les rails étaient restés suspendus entre ciel et terre comme des câbles électriques. Un train de passage se renversa sur le coup. En 1994, la région de Hammam Ksenna, une vieille station thermale aux installations rudimentaires, fut dévastée complètement par des inondations automnales au point où toutes les infrastructures furent rasées. Cependant, les espaces qui souffrent le plus du phénomène d’érosion demeurent sans aucun doute les terrains agricoles situés sur les versants des montagnes, aux piémonts ou sur les collines modérées. Les terrains céréaliers de Ridane, Taguedite et Lakhdaria sont affectés par un ravinement irrémédiable qui porte un coup fatal à leur fertilité par la disparition de la couche arable supposée contenir le maximum d’éléments nutritifs. Ainsi, les rendements, pendant les années où le phénomène de sécheresse n’est pas signalé, ne dépassent guère les 20 à 25 quintaux à l’hectare. Il faut dire ici que l’inadaptation des méthodes culturales a joué un mauvais tour pour les agriculteurs : céréales sur des terrains trop pentus, labours dans le sens perpendiculaire des courbes de niveau,…etc.

Un capital irremplaçable

Le phénomène de l’érosion des sols tend à devenir un problème sérieux. C’est pourquoi des programmes de reboisements et de plantations fruitière sont conçus par les deux grandes administrations de la wilaya concernées par ce phénomène : la Conservation des forêts et la Direction des services agricoles. Cette dernière compte installer sur le front sud de la wilaya une “ceinture oléicole’’ embrassant plusieurs communes des daïras de Sour El Ghozlane et Bordj Okhriss. En tout cas, la perte de plus en plus substantielle d’un capital irremplaçable qu’est le sol fait poser une sérieuse hypothèque sur la vie en zone rurale : terrains agricoles, terres forestières, certaines infrastructures de base et des équipements publics. D’une superficie de 4456 m2, la wilaya de Bouira est écologiquement partagée en trois zones distinctes : l’extrême nord (versant du Djurdjura) avec un climat à variantes humide et sub-humide, la dépression centrale avec un étage bioclimatique semi-aride, et les Hauts Plateaux du sud de la wilaya situés dans les étages semi-aride à aride. Jusqu’au début des années 1990, la “plaie’’ de la wilaya en matière d’érosion des sols et de désertification était localisée au niveau de la dernière zone. Tous les efforts des pouvoirs publics pour lutter contre la désertification étaient concentrés dans cette bande, plus précisément dans sa partie centrale. Des actions d’envergure étaient initiées dans le cadre du Barrage vert (reboisements, arboriculture fruitière, améliorations pastorales, infrastructures de desserte,…). Cependant les résultats sont des plus maigres. Cela est dû à un manque de coordination avec les populations locales dont la sociologie et le mode de vie sont purement pastoraux. Les zones de parcours (pâturages sauvages) sont des espaces “sacrés’’ qu’on ne pouvait pas fermer impunément par la mise en place d’autres cultures qui excluraient l’élevage ovin. Les deux logiques qui se sont affrontées sur le terrain ont fini par avoir raison des efforts des pouvoirs publics tendant à “moderniser’’ l’occupation et l’exploitation des espaces steppiques. Depuis une dizaine d’années, le phénomène des pertes du sol se sont aggravés en touchant des territoires jusque-là épargnées. De proche en proche, des monticules se dénudent, des versants s’offrent à l’action destructrice de l’eau et du vent et des volumes importants de terre arable se retrouvent dans les plaines alluvionnaires ou au…fond de certains ouvrages hydrauliques (retenues, barrages) sous forme de vase. La dégradation de l’environnement est devenue une réalité inquiétante qui risque de neutraliser tous les efforts de la collectivité si une stratégie efficace n’est pas développée pour la stabilisation des sols et la protection des ressources naturelles.

Mais, une véritable politique de protection du patrimoine foncier exige beaucoup plus d’effort et de coordination dans le cadre d’un aménagement rationnel du territoire pour un développement durable. Les plus grands aléas qui pèsent sur le couvert végétal dans ses différentes variantes demeurent les pacages non réglementés et les incendies de forêts. Les surpopulations de bétails élevés en mode extensif non seulement s’attaquent aux jeunes plantations forestières et fruitières, mais elles épuisent et dénudent le sol en lui arrachant les plantes herbacées. À la longue, avec la diminution drastique de l’offre fourragère, c’est l’activité d’élevage elle-même qui sera remise en cause. Le spécialiste Eric Echholm, dans son ouvrage “La Terre sans arbres’’, écrit : «Les scientifiques et les ordinateurs élaborent des modèles de régénération rurale, mais les paysans et les chèvres agissent autrement. Dans de nombreux pays, la détérioration du sol ne sera pas stoppée avant qu’une transformation du système foncier et une redistribution des priorités économiques nationales n’interviennent».

A.N.M.

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