»Tamazight n’est pas un élément de destruction de l’identité nationale »

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La Dépêche de Kabylie : C’est votre quatrième colloque scientifique sur tamazight. Qu’attendez-vous de ce colloque?

Abderezak Dourari : C’est notre quatrième colloque depuis la création du centre. C’est le deuxième colloque dans le domaine des multimédias et des hypermédias et de l’utilisation de la technologie de l’information et de la communication appliquée à l’éducation et plus particulièrement à la langue tamazight. Bien évidement, nous sommes des gens qui sont modestes, nous savons que tamazight connaît des problèmes. Le meilleur moyen d’attirer l’attention sur ces problèmes de normalisation et de standardisation de la langue, c’est bien précisément de la confronter aux expériences qui ont été faites, par exemple, au Liban, en Corée en France, au Maroc, en Tunisie et en Espagne, la confronter au travail qui est fait par des équipes de spécialistes notamment. Ce sont des travaux collectifs de linguistes, de pédagogues, d’ingénieurs en informatique et des spécialistes en hypermédias… Et c’est en travaillant sur les expériences des autres, qu’on révélera toutes les carences qu’il y a dans la langue tamazight, ce qu’il y a comme problème à prendre en charge pour la recherche au lieu que la recherche s’occupe de questions trop théoriques, ou trop éloignée des questions de modernisation de la langue tamazight. Donc, on attire l’attention des chercheurs sur les carences c’est tout ce travail qui doit être accompli par tous les chercheurs pour avancer dans la prise en charge de la normalisation de la langue.

Sinon, sur un autre plan, tamazight, en tant que langue, at-il suffisamment de supports, pour affronter par exemple les demandes sur le web ?

Toutes les langues ont leurs propres expériences. Elles ont leurs passé, un savoir à transmettre, un savoir ancestral, aussi un savoir de la vie moderne. C’est ce savoir-là, que les sociologues doivent faire apparaître d’une manière très claire, que les sociolinguisties doivent montrer aussi, mais aussi les pédagogues. On est obligé de mettre en place des équipes pluridisciplinaires, donc c’est un travail d’équipe qui va permettre à tamazight de se connaître et de s’obliger à avancer dans les formes, qu’impose aujourd’hui, la modernité, c’est-à-dire le Web. Le Web est maintenant une réalité virtuelle qui est beaucoup plus réelle que la réalité elle-même. On est obligé de mettre en valeur notre langue qui est une langue africaine qui date de plus de trois mille ans. On est obligé aujourd’hui de faire des efforts nécessaires, intellectuels, des efforts scientifiques et des recherches nécessaires sur cette langue pour la mettre en valeur et la rendre visible sur le web.

Dans votre exposé, vous avez parlé des étapes qu’a vécues tamazight pour qu’il soit aujourd’hui institutionnalisé, mais cela, sans citer le combat qui a été mené pour que certains objectifs aboutissent. Pourquoi?

Il est clair que pour nous, nous sommes un centre de recherches, donc je vous parle probablement en tant que sociolinguiste. A ce moment-là, vous comprendrez très bien que toute question sociale et culturelle est nécessairement d’abord une question de société. Il faut que la société fasse la demande d’une chose pour que cette chose puisse venir à travers bien évidemment les Etats. Ces derniers se réorganisent en fait, compte tenu de la demande sociale. Ce qui est intéressant pour l’Etat algérien, qui a eu l’intelligence, même si ça a pris du temps de récupérer les problèmes de la société pour les mettre dans des institutions spécialisées. Je crois que c’est cette façon d’agir qui serait la meilleure, même à l’avenir. Donc, au départ, les questions de tamazight étaient taboues. On voit qu’aujourd’hui, elle est une langue nationale et le pays n’a fait que gagner en apaisement des questions identitaires. Le pays n’a fait qu’avancer dans son unité identitaire, culturelle et même linguistique. On a aussi des institutions qui ont été créées à cet effet et nous avons gagné en apaisement également par rapport à la demande d’apprentissage de cette langue.

Justement, que voulez-vous dire par apaisement ?

Je veux dire que les tensions étaient liées à la demande elle-même. La demande sociale de tamazight, qui a été frappée de tabou, était interdite, carrément. On avait peur avant les années 1990, que la société éclate parce qu’on reconnaîtrait officiellement tamazight. Maintenant, il est reconnu. On a vu qu’on s’était trompé ! Au fait, tamazight n’est pas un élément de destruction de l’identité nationale, c’est un ciment indéfectible, très solide, de l’identité nationale, et même de son unité linguistique. Nous avons, pour une fois, rétabli l’identité algérienne dans son parcours historique. Donc la berbérité est un ciment national mais aussi maghrébin. A l’échelle du Maghreb, nous avons un pays. Un pays anthropologiquement uni. Plus de 90% de la population du Maghreb est d’origine berbère, même si elle n’est pas berbérophone, elle n’est berbérophone qu’à 30%. La reconnaissance de cette berbérité n’a fait que raffermir les liens naturels qui existent dans notre société et notre population, mais aussi au-delà, au Maghreb.

Sinon, quel sera le rôle de votre centre (CNPLET) pour ce qui est de la révision de la nomenclature des prénoms, afin d’y intégrer des prénoms amazighs, tout en sachant que, récemment, après l’APC de Tizi-Ouzou, celle d’El Harrach a refusé de porter un nouveau- né sous le nom de Syphax sur le registre des naissances ?

Le centre n’a pas de statut politique, c’est un centre de recherches dans le domaine. Dans toutes les sociétés, chacun a le droit d’appeler son fils ou sa fille comme il l’entend. On peut l’appeler comme on voudra. Chez nous, il y avait, une très forte préoccupation et obsession identitaire, à tel point qu’on a été jusqu’à normaliser l’acte de dénomination des enfants. C’est un excès idéologique et c’est très clair. Ce lexique des prénoms, que je connais parfaitement devrait, non pas seulement être réformé dans un premier temps pour intégrer le patrimoine identitaire, culturel et linguistique algérien, qui est berbère, ainsi ne pas intégrer Syphax est une aberration. Mais il ne faut pas oublier non plus, que la plupart de ces noms ont été latinisés. Ce sont les Romains qui avaient fait cela, à l’époque. C’est comme cela qu’on a la consonance romaine et latine de ces noms et on n’a pas la consonance berbère de ces noms. Appeler Tanina, c’est très bien et c’est même beau ! Il faut peut-être le reberbériser et le ramener à sa source. Cela est un travail de recherche sur les noms propres.

Propos recueillis par Mohamed Mouloudj

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