Le paradoxe pour l’Algérie — et pour un grand nombre de pays en développement — est de subir les retombées et les tares du monde moderne sans qu’elle puisse en goûter aux doux fruits : l’urbanisation effrénée et anarchique a déstabilisé le cadre de vie des citoyens, victimes de l’exode rural et du chômage ;les monticules de décharges sauvages font partie l’esthétique nationale ; les cimenteries, dont certaines sont implantées au cœur de la ville et dont la production ne nous dispense pas de l’importation, sont trop polluantes car techniquement mal gérées. Nos ruisseaux et rivières sont reconnaissables, de loin, par la puanteur des eaux usées alors que des dizaines de stations de traitement, payées en devises fortes, sont à l’arrêt dans l’insouciance quasi générale. De même, l’extraction sauvage de sable de ces rivières, fait peser sur les nappes, un grave danger de pollution. Les incendies de forêts, qui ont pris une dimension de catastrophe écologique pendant les chaudes années du terrorisme- et qui continuent à sévir risquant d’hypothéquer même la régénération naturelle des bois-, l’avancée du désert, l’érosion des sols, la pollution des plages, les maladies à transmission hydriques ou liées à un autre facteur de l’environnement comme l’asthme ou certaines affections dermiques… et la liste est malheureusement trop longue. La dégradation du couvert végétal est à l’origine de plusieurs phénomènes en cascade : dérèglement de l’écoulement des eaux (inondations), tarissement des sources de résurgence, diminution de l’offre fourragère dans les pâturages naturels, envasement des barrages d’eau et réduction des produits ligneux (bois et liège) et sous-produits forestiers (plantes médicinales, aromatiques, tanin…). L’Algérie, a pourtant de beaux textes réglementaires et législatifs relatifs au domaine de l’environnement, de même qu’elle a signé toutes les conventions internationales y afférentes. Mais, apparemment, il y a loin de la coupe aux lèvres. Cependant, il y a lieu de souligner les efforts louables de la Direction générale des forêts qui, via le PNR (plan national de reboisement), compte revitaliser à court terme, quelque 60 000 ha/an de terrains incultes ou déboisés pour peu que le feu et le délit de pacage soient réellement conjurés. Cependant, force est de constater que la voie idéale pour la sensibilisation la plus rentable, devant toucher de façon offensive les écoles et les médias, n’est pas encore sérieusement engagée par notre pays.
Fragilité d’un patrimoine
Le patrimoine forestier de la wilaya de Bouira, estimé à quelque 112.000, hectares, subit les aléas naturels liés à la géographie et à la climatologie du milieu dans lequel il évolue, et des aléas anthropiques liés à l’activité des populations locales. Les facteurs naturels qui conditionnent le milieu forestier sont essentiellement : le climat semi-aride qui domine la majorité des massifs de la wilaya et qui se caractérise par une période sèche, très longue, dans l’année et une pluviométrie, moyenne, allant de 250 mm à 500 mm/an, la forte pente qui gêne le dispositif d’intervention dans la lutte contre les incendies et la prédominance des essences résineuses (Pin d’Alep) facilement inflammables.
Les facteurs sociaux et humains qui concourent à la dégradation de la forêt sont, entre autres : la forte présence humaine, autour et à l’intérieur des massifs forestiers, la pauvreté et le chômage qui conduisent les habitants à commettre des délits forestiers pour pouvoir subvenir à leurs besoins primaires (coupe et vente illicites de bois, fabrication de charbon pour les rôtisseries à partir du chêne vert, défrichements pour l’extension des parcelles de céréales, surpâturage…), la présence des carrières d’extraction de pierre et des stations de concassage, à l’intérieur des massifs, les constructions illicites d’immeubles à usage d’habitation ou d’élevage, les incendies liés aux activités agricoles, aux actes criminels et à la lutte anti-terroriste,…
Ces différents facteurs, dans une combinaison qui se retrouve dans la majorité des régions de la wilaya, ont fragilisé davantage l’écosystème forestier et réduit l’étendue du couvert végétal. Des niches écologiques, propres au singe magot et à certains rapaces de montagne, ont été fortement perturbées. Des sources, dans lesquelles s’abreuvaient des perdrix, des lapins de garenne et d’autres animaux se sont taries au point de remettre en cause la vie faunistique en forêt. Les symptômes des effets du rétrécissement du couvert végétal se sont manifestés, d’une façon éclatante, lors de hiver 2004/2005. La presse a rapporté de tous les coins du pays les inondations et les éboulements qui ont touché les villes et les routes. La RN 1 (Blida-Djelfa) a vécu des éboulements historiques, y compris pendant l’hiver dernier, ce qui fut à l’origine de son blocage pendant plusieurs jours. Les beaux versants du Parc de Chréa sont, à ce niveau, dégarnis depuis le début de la décennie. Une étude est menée par un bureau d’études canadien pour la protection du bassin versant du barrage de Koudiat Acerdoune (s’étendant sur presque 3000 km2 entre les wilayas de Bouira et Médéa) bien avant l’achèvement des travaux de construction de cet ouvrage, une pratique fort intéressante qu’il y a lieu de généraliser. Le rôle de la police forestière, échu à la Conservation des forêts, a vu sa marge de manœuvre réduite au cours de ces dernières années pour plusieurs raisons : d’abord, la loi qui régit le secteur des forêts (loi 84-12) est dépassée par les événements au vu de son caractère non dissuasif. Les amendes et les sanctions qui y sont prévues contre les délinquants sont trop faibles par rapport à la nature des dégâts auxquels elles s’appliquent. De ce fait, la récidive ou la consécration du fait accompli sont souvent la règle. Ensuite, cette mission a été longtemps entravée par la situation sécuritaire. Après la survenue des premiers actes terroristes dans la wilaya, les agents forestiers ont été désarmés au même titre que les citoyens. A cela s’ajoute la détérioration de certaines d’infrastructures comme les maisons forestières, situées à l’intérieur même des massifs et qui hébergeaient les gardes forestiers chargés de la protection des massifs contre toutes sortes de délits.
Régression des ressources
Sur les territoires sud de la wilaya, le défi environnemental a été appréhendé par les pouvoirs publics depuis longtemps. Pour preuve, les premières actions de reboisement datent d’avant-l’Indépendance et se sont poursuivies avec le Barrage vert et les campagnes de volontariat. Mais, les données sociologiques de la région et la vocation économique, imprimées à ses territoires semi-arides ont fait connaître aux ressources biologiques, particulièrement le tissu forestier, une régression effarante. Ce qui marque sa présence physique de la manière la plus rituelle c’est bien le cheptel ovin, dont les troupeaux sont disséminés sur toute l’étendue des forêts et des parcours steppiques. Les communes les plus méridionales de la wilaya de Bouira s’étendent comme un croissant steppique de Ridane à l’ouest (frontalière avec la wilaya de Médéa) jusqu’à Taguedite à l’est (frontalière avec les wilayas de BBA et M’sila). Au centre, on rencontre successivement Maâmora, Dirah et Hadjra Zerga. Ce territoire dépend administrativement des daïras de Sour El Ghozlane et Bordj Okhriss. L’économie locale est caractérisée par un élevage intensif d’ovins et la culture des céréales. Ce pastoralisme, auquel s’ajoute un certain semi-nomadisme, s’exerce de la façon la plus anarchique en matière d’exploitation des parcours. La végétation steppique ne cesse de recevoir les coups de boutoir d’une exploitation effrénée du capital végétal, au point de susciter les plus grandes inquiétudes des techniciens en la matière et des pouvoirs publics.
Le problème ne se situe pas au niveau d’une “coquetterie intellectuelle” qui s’appelle la défense de la biodiversité – une préoccupation noble et sérieuse, au demeurant, mais surtout sur le plan de l’offre fourragère qui a dangereusement diminué et sur le plan de la stabilité des sols qui a reçu un terrible coup du fait des surpâturages qui ne font que s’aggraver.
Les éleveurs pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de continuer à faire paître leurs bêtes sur les collines dénudées et les berges chétives de Taïcha, Dhrabnia et M’hezzem. Ils ne se rendent pas compte tout de suite de la menace qui pèse sur leurs propres troupeaux. Quant aux pouvoirs publics, et par l’intermédiaire du HCDS, des services des Forêts et de l’Agriculture, des actions de renforcement et de repeuplement de certaines zones steppiques ont été initiées par le passé. Les résultats ne sont guère brillants. A peine les chantiers de plantations déguerpissent des lieux, que les plantations sont détruites par les troupeaux. Les quelques espaces, plantés par le Service national dans le cadre du barrage vert et les périmètres réalisés par le HCDS, au début de cette décennie, en atriplex et figuier de Barbarie ont connu un sort funeste ; ils ont été broutés bien avant maturité.
Occupations illicites du domaine forestier
Les territoires forestiers recouvrant les zones pré-steppiques (daïras de Bordj Okhriss et Sour El Ghozlane) ont, comme l’ensemble du patrimoine forestier de la wilaya, subi de sérieuses dégradations, particulièrement depuis le début des années 1990. Des anciens concessionnaires de modestes clairières (1ha à 2 ha) ont défriché les espaces alentour pour en faire de véritables exploitations agricoles (céréales). D’autres riverains, enhardis par le reflux de l’administration des Forêts pendant la “décennie rouge’’ se sont accaparés des parcelles forestières incendiées ou défrichées. Certains, parmi les premiers délinquants, ont été verbalisés et présentés devant la justice. Les sentences n’ont jamais été mises à exécution. Cette forme d’impunité à donné des ailes à d’autres “candidats” au massacre de la forêt. Résultat des courses : au moment où, lors de la campagne de plantation 2007/2008, la Conservation des Forêts s’est présentée sur les lieux (particulièrement dans les communes de Mesdour, Bordj Okhriss et Taguedite) pour mettre en application le Programme national de reboisement (PNR), dans son volet Hauts-Plateaux, elle se heurta à de fortes résistances de la part d’indus occupants lesquels ont même saisi les autorités de la wilaya pour…intervenir en leur faveur ! Ainsi, des dizaines d’hectares de terrains forestiers domaniaux ont été pris en otage par des populations qui entendent en faire des parcelles de céréaliculture.
Sur la majorité des parcelles incendiées, pendant les années 1990 et le début des années 2000, une forte régénération a été enregistrée. Les programmes sectoriels et les actions de développement rural ont consacré une partie de leurs budgets aux travaux sylvicoles de façon à bien conduire la croissance des peuplements régénérés. Des actions de reboisement et de repeuplement (2 500 ha) sur les parcelles non régénérées sont programmées, essentiellement dans le cadre du programme Hauts-Plateaux. Ce dernier programme comporte aussi des actions de fixation de berges (reboisement sur les flancs décharnés des oueds ou gabions soutenant ces berges).
Le programme des Hauts Plateaux a été décidé par le président de la République lors du Conseil des ministres du 27 février 2006. Ce programme comprend toutes les actions de développement, de diversification des activités, d’amélioration de niveau de vie et de désenclavement qu’auront à piloter pratiquement toutes les directions de wilaya (travaux publics, agriculture, forêts, éducation nationale, santé, culture…). Notons que pendant les deux campagnes de plantation passées, les cadres de la Conservation des Forêts ont tenu à accompagner et encadrer les entreprises de réalisation auxquelles sont confiés les travaux de reboisement dans ces régions. Près de 3 000 hectares ont été reboisés pour l’ensemble des programmes de la Conservation. C’est un défi quotidien, par lequel, sont menées de pair la restauration de l’autorité de l’administration des Forêts et l’acte pédagogique d’expliquer aux occupants illégaux des terrains forestiers, la gravité et l’ampleur de leur geste. Des contacts ont été pris avec les différentes APC et la daïra de Bordj Okhriss pour contribuer à dénouer la situation par l’application de la réglementation pour la récupération des terrains de l’État auxquels il faudra redonner leur vocation initiale. Il a été convenu avec certains indus-occupants que, à l’intérieur des clairières qu’ils exploitaient légalement avant les grandes extensions anarchiques, que des plantations d’oliviers seraient réalisées par l’administration, à leur profit.
Amar Naït Messaoud
