“Il ne changera pas et personne ne pourra le changer”

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La Dépêche de Kabylie ; Vous avez connu Lounes depuis les années 70, que direz vous de cet homme et quel souvenir gardez vous de lui ?

Malika Domrane : Je n’ai pas connu Matoub dans les années 1970. Par contre, je l’ai rencontré pour la première fois durant l’année scolaire 1968 -1969 alors que j’étais en classe de 6e au collège d’At-Douala. Il était également en 6e dans une autre classe. Jusque-là je ne le connaissais pas car moi-même je fréquentais l’école primaire chez les Sœurs et lui chez les Pères-Blancs. C’était un garçon gentil, agréable de contact. Il allait vers les autres et engageait facilement la conversation, en particulier sur ses sujets de prédilection, comme par exemple la chasse aux oiseaux : il aimait tendre les pièges aux étourneaux et revenait satisfait de la bonne prise. Je me rappelle qu’il donnait dans la cour de récréation les coups de boule aux garçons qui cherchaient la bagarre. Maintenant, je peux dire qu’il n’y a pas que Zidane qui est connu pour ses coups de boule. Je ne conteste ni l’attitude de l’un ni celle de l’autre, bien au contraire j’approuve si cela est leur manière de se défendre contre les insultes et les invectives.

A la fin de l’année scolaire de ladite classe de sixième, je fus choisie par les professeurs pour chanter, la porte était ouverte aux autres élèves venus m’écouter et m’applaudir : Matoub, le petit garçon était présent.

Malgré sa disparition tragique, Lounès demeure à travers son œuvre et son combat, selon vous, quel est le secret de cette longévité?

Matoub était généreux, sincère, naïf, sensible, entier, attachant, orgueilleux, sage, méticuleux, convaincu et visionnaire.

Matoub était un militant. Matoub était poète. Matoub était artiste. Matoub c’était tout ça, et ce sera tout ça. Quiconque voudrait changer quelque chose ne changera que lui même. Matoub ne changera pas et personne ne pourra le changer. Matoub n’est pas mort. Il ne mourra pas. Nul ne pourra le tu-es, ni le tu-hais.

Avez-vous déjà pensé à faire un duo avec lui, et si oui, pourquoi vous ne l’avez pas réalisé ?

Même si l’intention y était tant de son côté que du mien, nous n’avons pas chanté dans un vrai duo, bien que parfois nous nous soyons adonnés à chanter ensemble dans des occasions spéciales. Nous nous sommes donné la réplique lors d’un gala à la salle du Zénith de Paris en janvier 1995. De plus, de mon côté, j’étais sous contrat avec mon producteur, je ne pouvais donc me produire librement. Et enfin Matoub et moi-même, nous chantions dans des registres différents et dans des styles de musiques différentes. Donc nous ne pouvions nous rencontrer dans un duo. Ceci n’excuse pas celà, je pense que nous aurions pu, et même dû chanter en duo si les circonstances étaient favorables et si nous nous étions accordés pour donner l’importance et la valeur qu’aurait aujourd’hui une telle initiative. Je ne savais pas que ses jours étaient comptés. Je pensais qu’un jour je chanterai avec lui en duo et en réplique, des chansons nouvelles et des chansons anciennes dans une reprise de certains beaux chefs-d’œuvre. Malheureusement, le temps nous a contrariés. Je le regrette aujourd’hui et j’en suis la première désolée car en plus de la satisfaction personnelle, nous aurions satisfaits également les fans de la belle chanson kabyle.

Peut-être une anecdote ?

Lors d’un interrogatoire de police, présente, j’ai entendu Matoub répondre au commissaire:

«Connaissez-vous Kahina?

– Oui

– Qui est-elle?

– Une belle jeune femme.

– Que fait-elle?

– Elle combat les ennemis. C’est la grande reine des Berbères. Je l’ai rencontrée dans l’Histoire de mon pays. Depuis, je l’aime et je ne la quitte plus. » Le commissaire s’emporta et présenta un stylo pour la signature du PV. Matoub s’en saisit et signa son nom en lettres amazighs. Le policier fut fou de rage.

Propos recueillis par Mohamed Mouloudj

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