“C’est avec le “nif” que nous avions réussi nos exploits”

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Rubrique animée par Hamid Oukaci

La Dépêche de Kabylie : Vous avez intégré la JSK très jeune n’est-ce pas ?

Tout d’abord, il faut que vous sachiez que j’ai grandi à la cité des Genêts à Tizi-Ouzou, car après avoir perdu mon père qui était chahid, mon grand-père maternel nous a récupérés, pour vivre avec lui en ville, cela ne m’a pas empêché de garder toujours des contacts avec ma famille à Beni Douala. Tout de même, j’avoue que le fait de grandir en ville m’a beaucoup aidé à intégrer la JSK, très jeune, soit en 1965. A l’époque, j’avais 13 ans et j’ai signé ma première licence en benjamin avec ce club où j’ai passé pratiquement 29 ans entre joueur, entraîneur et dirigeant.

Vous souvenez-vous de votre première match en senior ?

Je crois que c’était face au Mouloudia d’Alger à Bouloghine, j’avais alors à peine 17 ans. Après avoir fait les catégories, benjamin, minime et cadet, je n’ai pas joué en juniors, j’étais promu directement en senior et je me souviens que cela s’est fait durant la saison 1970/1971.

Vous avez gagné beaucoup de titres avec la JSK : quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ?

Je crois qu’il y avait trois titres qui m’ont vraiment marqué : le premier championnat, la première Coupe d’Algérie et la première Coupe d’Afrique, mais les moments qui me sont restés en tête, c’est incontestablement notre accueil, ici à Tizi Ouzou, après notre arrivée et avec nous le 1er triomphe de la Coupe d’Afrique. Je vous dirais que c’est la première fois de ma vie que j’ai vu autant de monde à Tizi Ouzou. Sans me vanter, je dirais qu’il y avait

1 million de personnes pour nous accueillir. Avant, il y avait aussi la finale de la Coupe d’Algérie qui fut aussi un moment fort, devant 80 000 spectateurs et devant le président de la République. C’était vraiment extraordinaire !

A cette époque-là, la JSK était la cible de tous vos adversaires : comment avez-vous vécu ces attaques et toute cette pression en tant que joueur ?

Si vous voulez, tous nos adversaires nous attendaient de pied ferme et le match face à la JSK est considéré, pour eux, comme un match de coupe qu’il fallait remporter à tout prix. Il y a eu même des méthodes extra-sportives, des insultes insupportables que tout le monde connaît, mais on était conscient et on gérait la situation. Tout le monde sait que la JSK était un club particulier, donc on se donnait à fond sur le terrain en défendant les couleurs du club sans relâche, on savait, aussi que tout le monde nous attendait, donc on n’avait pas droit à l’erreur. On jouait seulement au football, mais on représentait une région, on défendait une identité. Malgré les fortes individualités de certains clubs de l’époque, on s’en sortait car on jouait pour le “nif”. On était condamnés à gagner pour que l’image de marque de la Kabylie soit toujours au firmament, telle est la mission de tous les joueurs de cette époque.

Depuis 1976, vous étiez promu capitaine d’équipe, comment viviez-vous justement cette pression en tant que responsable?

Il faut que vous sachiez que je suis un enfant du club et je suis le plus ancien par rapport à mes coéquipiers de l’époque et aussi, je suis l’un des rares joueurs de la JSK qui ait vu passer trois présidents durant sa carrière : Abtouche, Kahlef et Ben Kaci. Donc, je connaissais très bien la maison. Pour ma mission, je suis le meneur, l’entraîneur sur le terrain, l’éducateur, j’étais un intermédiaire entre l’entraîneur et les joueurs, et aussi j’étais toujours à l’écoute des supporters, donc ma mission, si vous voulez, ne résidait pas seulement sur le terrain, mon rôle aussi était d’inculquer certaines valeurs aux joueurs en leur disant qu’aujourd’hui il n’y a pas que le football, il faut mettre quelque chose à cœur, il faut avoir le nif. Je me souviens même qu’en 1979, alors qu’on s’apprêtait à rentrer sur le terrain du 19 Juin à Oran, il y avait 40 000 spectateurs qui nous ont insultés. J’ai constaté qu’il y avait certains joueurs, jeunes, qui venaient de commencer, alors pour les encourager, je leur ai dit : «Ecoutez, celui qui a peur n’a qu’à rester ici, je peux les affronter seul», et Dieu merci, on a réussi à tenir en échec le MCO dans son fief malgré les conditions avec lesquelles on a joué.

La JSK a joué avec les anciennes couleurs nationales vert et rouge pour passer ensuite au Jaune et Vert, pourquoi ce changement brusque de couleurs ?

Effectivement, je suis l’un des rares joueurs de mon époque à avoir joué en vert et rouge et en suite en jaune et vert. La seule chose que je peux vous dire pour le moment, c’est que le premier match qu’on a joué avec les couleurs nationale jaune et vert était contre le Vita Club en 1981 ici même à Tizi Ouzou. D’ailleurs tout le monde était surpris par cette nouvelle tenue y compris les joueurs.

Lors de votre carrière vous avez connu beaucoup d’entraîneurs, quel est celui qui vous a le plus marqué ?

C’est Popescu, bien qu’il soit resté seulement qu’une saison. J’ai appris beaucoup de choses avec lui, je garde toujours son image de gentleman, souvent avec un costume-cravate. J’étais très impressionné par son comportement, non seulement il nous a appris à jouer au football, mais il nous a aussi inculqué une discipline dans notre comportement même en dehors du terrain ; il nous a appris comment on devrait se comporter dans un hôtel, à avoir une tenue correcte, à ne jamais jouer avec un semblant de barbe, toutes ces choses m’ont vraiment marqué. Pour moi, Popescu est un vrai éducateur.

En quelle année avez-vous cessé de jouer ?

J’ai mis fin à ma carrière de footballeur en 1984. Bien que physiquement j’étais prêt à continuer, j’ai préféré me retirer, pour deux raisons essentielles : la première, c’est que j’ai préféré céder ma place aux jeunes de l’époque qui réclamaient souvent de jouer à l’image de Adghigh et Haffaf. Et si je devais rester, je pense que je vais les bloquer ; la deuxième raison, c’est par rapport aux supporteurs, je voulais laisser ma place propre et je voulais que les gens me disent que tu es parti tôt et que tu as traîné une année de plus.

Après votre retrait comme joueur, pourquoi n’avez-vous pas entamé une carrière d’entraîneur, comme l’ont fait la plupart des anciens joueurs ?

J’étais bien parti pour faire une grande carrière d’entraîneur. Tout d’abord quand il y avait Zyvotko, j’étais indirectement capitaine d’équipe et son adjoint direct, j’étais entraîneur des espoirs pendant trois ans et je faisais parti du staff qui avait gagné le doublé en 1986. Jai été prédisposé à être un bon éducateur, en tout cas je laisse le soin aux gens d’en juger. Malheureusement, le destin et le comportement de certains ont fait que je ne sois pas de la partie. Donc, j’ai quitté la JSK en 1987 pour y revenir en 1989 comme vice-président. Par la suite, je me suis retiré après le limogeage de Fergani. Le dernier poste que j’ai occupé a été en 1993 comme président.

Quels sont les liens que vous avez avec les supporteurs ?

Nous avons de très bons rapports avec les supporteurs. Il y avait toujours le respect et surtout l’amour du club. Aujourd’hui, c’est le contraire et je pense que c’est l’argent qui a creusé le fossé entre les deux partis. Je dirais même qu’il y a des supporteurs qui ne connaissent même pas leurs joueurs contrairement à nous.

Peut-on espèrer revoir un jour Iboud à la JSK ?

La JSK est mon club. J’ai toujours dit que la JSK, m’a donné le nom. C’est grâce à elle que je suis connu. Je veux lui rendre, la pareille, mais ils ne m’ont pas donné l’occasion.

Ne pensez-vous pas que les choses ont changé depuis votre retrait ?

Les mentalités ont changé. Le milieu sportif s’est métamorphosé. Quand quelqu’un reste en dehors du milieu pendant un certain temps et qu’il revient il trouvera un autre monde qui ne parle que d’argent et de voitures. Ce n’est pas une chose facile à accepter. Par exemple, quand Khalef est revenu, il était impressionné par le comportement des joueurs, même au restaurant. A notre époque, on mangeait ensemble à table et les dirigeants étaient au petit soin. Actuellement, à la fin de l’entraînement, le joueur mange son sandwich au volant de sa voiture et encore il doit faire 100 km pour rentrer chez lui. Comment voulez-vous avoir un rendement ou une équipe disciplinée ? En toute sincérité, les joueurs d’aujourd’hui sont incontrôlables. C’est pour ça qu’on hésite à réintégrer le club, mais si l’occasion m’est donnée, j’assume et je pose mes conditions, et le meilleur exemple c’est Menad

On vous laisse le soin de conclure.

Je remercie votre journal d’avoir pensé à nous, les anciens joueurs de la JSK. Je rends un vibrant hommage à tous les dirigeants, joueurs et supporteurs de la JSK qui ne sont plus de ce monde. Je remercie également tous nos supporters qui nous ont soutenus tout au long de notre parcours.

H. O.

Pour vos contactes [email protected]

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