Une âme limpide et sensible s’est envolée

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C’est avec une grande tristesse que j’apprends la nouvelle de la disparition de l’ami, du frère et du grand défenseur de notre culture, Mokhtar Boufadène. Je me souviendrai toujours de son intelligence, de sa sensibilité à fleur de peau et de sa vision très limpide pour tout ce qui a trait à la question identitaire du peuple berbère. En 1990, après la fallacieuse ouverture ou brèche démocratique qui suscita chez les jeunes Kabyles, beaucoup d’espoir et d’enthousiasme, je l’ai rencontré dans un café au marché couvert de Souk El Tenine, Bgayet. Nous avions, à tour de rôle, observé avec satisfaction la proclamation du pluralisme politique que le pays accueillait fiévreusement. Alors que pour beaucoup d’entre nous, le but c’est-à-dire la reconnaissance officielle de la langue et la culture berbères, semblait à portée de main, Mokhtar, lui, atténua cette euphorie avec beaucoup de prudence. Il insista sur le fait que l’on ne devrait pas fléchir, car seul le travail, la persévérance et la détermination gratifient. Je lui ai fait part de la volonté des jeunes de Lota, dont je faisais partie, de Souk El Tenine et de Darguina, d’organiser pendant les vacances le premier festival de la culture berbère de la vallée d’Ageryun et de notre difficulté à trouver une salle appropriée pouvant contenir un maximum de monde. Sur-le-champ, Mokhtar me proposa, avec une légère irritation dans sa voix, comme pour énoncer une évidence : la belle étoile, la plage. Evidemment… mais il fallait seulement y penser. L’idée fut agréablement accueillie et aussitôt adoptée par le groupe de préparation du festival. Cette ingénieuse solution était salutaire et le festival eut lieu à quelques mètres de la plage, aux abords d’un mince faisceau de bois séparant la RN 9 des vagues, juste au niveau du virage remontant du littoral vers le centre-ville de Souk El Tenine. De tous les jeunes étudiants de sa génération, il était celui qui nous parlait le plus du mouvement berbériste, de ses contraintes et de ses aspirations. Impliqué dans le MCB, il était scandalisé par l’aveuglement de la classe politique du pays devant l’évidence et l’effervescence de la culture kabyle. De son impressionnante corpulence, gardien de but qu’il fut, sortait une voix douce et rassurante. A la fin de notre rencontre dans ce même café du village, il insista sur le fait qu’il nous fallait à présent faire preuve de beaucoup d’imagination pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous somme engouffrés à travers les âges. C’est cette âme douce et sincère, limpide et sensible qui s’est envolée, ce 7 juillet, dans les aires de l’hexagone après avoir semé les grains de l’espérance. Repose en paix Mokhtar, ton combat vaincra. A sa famille et à ses proches, mes plus sincères condoléances.

Lyazid Abid

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