La Dépêche de Kabylie : Vous êtes ancien membre du groupe Syphax, pouvez-vous nous raconter l’aventure de ce groupe?
Oui, j’étais un membre du groupe Syphax. La rencontre et la naissance du groupe Syphax date de 1978. Trois musiciens Chabane, Mahdi, et Makhlouf voulaient créer un groupe, mais il leur manquait un quatrième musicien, un chanteur qui puisse jouer aussi d’un instrument de musique. Les répétitions commencèrent dans le sous-sol d’un restaurant où la mise au point de 27 chansons nous prîmes deux années consécutives. Notre collaboration était très simple et bon enfant : nous répétions et nous nous éclations. Nous travaillions dans une très bonne ambiance. Un producteur de chez nous vînt nous voir pour nous produire l’album. Hélas, en 1978, les producteurs de chez nous s’intéressant à la musique moderne n’étaient pas nombreux.
Enfin, le premier album fut enregistré sur les chapeaux de roues et à la va-vite : en effet, il nous a été accordé trois (3) jours environ seulement au lieu d’un mois minimum, pour enregistrer un album de neuf titres. Avec si peu de temps, il n’est pas possible de peaufiner le travail, et la qualité sonore s’en ressent nécessairement.
Vous avez enregistré un seul album mais malheureusement le public n’a pas eu cette chance de le voir sur les étals. Peut-on connaître les raisons ?
Cet album est passé incognito parce que : nos chers soi-disant producteurs manquent cruellement de compétences ; ils ne connaissent pas le métier de producteur, et voudraient propulser des artistes et gagner des millions en un temps record. Comme tous les métiers, c’est un métier qui ne s’invente pas, n’est pas producteur qui veut. Si vous me permettez maintenant de parler un peu des chanteurs de chez nous, chanteurs traditionnels bien entendu, je dirais que je suis agacé voire même outré de constater à quel point il semble facile pour ces personnes apparemment sans gêne, de créer et commercialiser un nouvel album tous les six mois. Ces gens semblent être des surdoués de la création, battant Beethoven à plate couture pour la quantité de travail effectué. Je leur tirerais avec plaisir ma révérence, si je ne savais pas que tout cet étal de musique toujours plus ou moins identique ne leur rapporte même pas de quoi assurer leur subsistance. Mais je reste confiant pour l’avenir, car la roue tourne, et de nombreuses personnes prennent conscience qu’il faut varier un peu le registre pour pouvoir évoluer, et que le travail de production d’un artiste doit se faire dans les règles de l’art avec une qualité de produit final irréprochable. Je m’explique: pour véhiculer un message au-delà des frontières, et en particulier, pour ce qui nous touche de près, véhiculer notre culture kabyle, je crois qu’il est indispensable de toucher les auditeurs avec de la musique de qualité ainsi qu’avec une interprétation de qualité de prime abord, avant de chercher à les toucher avec la signification des textes eux même. C’est toujours la musique qui nous interpelle la première fois que l’on entend une chanson, et l’appréciation première, accompagnée du désir de comprendre le sens des paroles, passe d’abord, par le plaisir que nous a apporté l’écoute musicale. Je pense par exemple à une personne américaine ou anglaise qui entendrait une chanson kabyle ; cette personne ne cherchera à comprendre les paroles qui ne sont pas dans sa langue natale que si la musique lui a procuré du plaisir. Ajoutons à la reconnaissance des efforts fournis, le travail exemplaire de la chaîne de télévision BRTV (Berbère Télévision) qui œuvre avec constance et dévouement pour promouvoir la culture kabyle dans le monde entier. Bravo !
Sinon, votre groupe a complètement disparu, pourquoi ?
Les problèmes familiaux, la démotivation issue des orientations personnelles différentes du moment, la vie en somme, a amené le groupe à cesser d’exister.
Plusieurs années après, vous revenez à la chanson, mais en solo, pourquoi ce choix ?
Oui, quelques années après, je reviens en solo, car, dans ce groupe, je suis le seul qui ait conservé un contact avec le milieu musical. Il n’était pas question d’enregistrer quoi que ce soit ces dernières années, mais j’ai toujours eu besoin de continuer à évoluer dans ce milieu. Je continuais pourtant à composer, paroles et musiques, mais, ne voulant rien enregistrer, car j’étais désabusé de tous mes espoirs après ce parcours, je reste un musicien débordant d’idées et de pouvoir de création. Mes tiroirs sont pleins d’une cinquantaine de titres déposés à la Sacem (Société des auteurs compositeurs et interprètes). Je me produisais aussi régulièrement dans des thés dansants, interprétant tour à tour des chansons que tout le monde connaît, en espagnol aussi bien qu’en italien ou en français, et ceci, dans Paris et toute la région parisienne.
Mes amis, constatant à travers divers occasions de soirées kabyles, dans lesquelles j’ai interprété mes propres morceaux, que mon répertoire valait certainement la peine d’être enregistré me poussèrent petit à petit à revenir sur le devant de la scène, et à enregistrer un album, un album qui, et j’en profite pour dire à mes amis que j’ai tenu parole, sortira prochainement, probablement à la fin 2009.
Pouvez-vous nous donner un petit aperçu des thèmes que vous avez traité dans l’album ?
Dans cet album, je parle bien sûr de ce que j’ai vécu. Je parle de ce que je vois, de ce que j’entends autour de moi ; je parle d’amour, d’exil, de détresse, et j’insiste aussi beaucoup sur la confiance, confiance qui fait cruellement défaut à notre époque. J’ai l’impression que nous sommes dans un chaos où on ne sait plus à qui se fier; on a du mal à trouver des personnes vers qui se tourner, sans avoir peur de se faire poignarder dans le dos. L’amitié est galvaudée, on change d’ami comme on change de chemise, on est trop souvent trop seul. Où est le respect dont nous aurions dû hériter de nos anciens, quand quelqu’un vous tape dans la paume de la main, et qu’il vous dit en kabyle : » Gmâa liman da yilzem » ?
Sera-t-il édité en Algérie ?
L’album sortira dans un premier temps en France. Il sera présenté aux points de vente ainsi que sur Internet. Dans un futur proche, l’album se trouvera sur les étals en Algérie.
Un dernier mot sur la chanson kabyle d’aujourd’hui ?
La musique kabyle est en perpétuelle stagnation. Elle fait preuve d’un immobilisme récurrent, qui vient du manque d’inspiration et de recherche de la part de tous ses acteurs : compositeurs et interprètes. Lorsque j’écoute un chanteur traditionnel, non seulement toutes les chansons et les voix se ressemblent, mais au sein d’une même chanson, j’ai des difficultés à distinguer le refrain du couplet, tant les deux sont sensiblement identiques. Toute critique doit en principe être assimilée à un souci d’évolution, c’est pourquoi j’insiste sur le fait que mes paroles ne sont qu’aspiration à une progression positive de la culture kabyle. Un travail inspiré cultivé propre et bien fait, est garant d’une promotion optimale de notre culture. Je remercie le journal » La Dépêche de Kabylie « , de m’avoir donné cette merveilleuse occasion de pouvoir m’exprimer, et de pouvoir dire tout ce que j’avais à dire.
Propos recueillis par Mohamed Mouloudj