Le pouvoir d’achat en ligne de mire

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Recul du pouvoir d’achat, licenciements, rythmes très lents d’absorption du chômage et d’autres contre-performances ne manqueront pas de s’inviter à la table des discussions pour espérer désamorcer les crises, latentes ou ayant déjà éclaté, sur les lieux de travail.

En tout cas, les nouvelles de l’économie nationale se suivent et s’affrontent dans une logique d’un système dont la transition tarde à voir ses horizons s’ouvrir vers plus de stabilité, d’équité et de performance. En commentant la dernière loi de finances complémentaire (LFC) de l’année 2009, le ministre des Finances, M.Karim Djoudi, parle de la nécessité de passer d’une économie de consommation à une économie de production. À elle seule, la LFC 2009 concentre en son sein les nouvelles orientations du gouvernement relatives aux incitations à l’investissement, au recouvrement fiscal et à la promotion de la production nationale.

Les motifs qui sont à la base de tels choix ne manquent pas. Outre une certaine ‘’déception’’ liée à la qualité et au volume des investissements étrangers- basés essentiellement sur les transactions commerciales-, le gouvernement Ouyahia fait le dur constat des contre-performances de certains segments de l’économie nationale au moment où la plupart des indices macro-économique (taux de croissance annuel du PIB, dette extérieure, taux de chômage, niveau du produit intérieur brut,…) semblent avoir conquis une forme durable de stabilité.

Cette loi de finances complémentaire a fait l’objet de critiques par certaines organisations patronales algériennes et même par des représentations diplomatiques étrangères du fait qu’elle mettre fin à une situation d’économie de bazar qui arrange beaucoup de monde parmi ceux qui se donnent le titre d’investisseur ou de partenaire économique. La réalité du partenariat est autrement plus complexe, car, dans bien des cas, elle est assimilable à de simples opérations de transaction commerciale que l’on veut pérenniser dans un pays aux recettes, issus des exportations d’hydrocarbures, supposées fort importantes.

Sur le plan des revenus des familles, du niveau de vie et du développement humain, ce que les ménages et les pères de famille subissent depuis plusieurs mois comme cherté de la vie et incapacité à faire face à certaines dépenses pourtant jugées primaires, est reconnu officiellement par les institutions publiques.

Ainsi, le taux d’inflation annuel (août 2008-juillet 2009) a subi un bond qui le situe à hauteur de 5,4 %.

Ce niveau d’inflation, calculé par l’Office national des statistiques (ONS), est, selon cet organisme public des statistiques, engendré essentiellement par la hausse des prix des produits agricoles frais. Pour les sept premiers mois 2009 et par rapport à la même période de l’année écoulée, l’indice brut des prix à la consommation se situe à 6,1%, précisent les statistiques de l’Office. Cette tendance haussière s’explique, selon l’ONS, par une hausse de 8,7% des produits du groupe des biens alimentaires, avec 18,1% pour les produits agricoles frais. En revanche, les prix des produits alimentaires industriels ont enregistré une légère baisse (0,5%).

En tout cas, il est connu qu’une part importante du taux d’inflation enregistré se rapporte aux produits alimentaires, principalement les produits de première nécessité. Le renchérissement de ces produits est un phénomène qui a pris depuis la fin de l’année 2007 des proportions mondiales. Cela est vérifiable aussi bien dans les pays pauvres ou en voie de développement-sur lesquels s’exerce ainsi une nouvelle charge qui obère les chances d’une relance de la croissance et d’un véritable développement humain- que dans les pays développés qui, à l’occasion, découvrent, après de glorieuses décennies d’opulence et même de surproduction, que le budget familial peut subir un déséquilibre qui fait pencher la balance des dépenses du côté de l’alimentation (dépenses incompressibles) après être longtemps restée occupée majoritairement par la rubrique des accessoires ou du non vital (portefeuille du ludique, des cosmétiques, des vacances, des spectacles,…).

L’actuelle crise qui touche-presque à l’échelle du monde- les produits agricoles frais, conservés ou manufacturés trouve en Algérie une dramatique expression par la fragilisation de plus en plus accrue de larges franges de la population, catégories déjà malmenées par le chômage chronique, la faiblesse des revenus et même un état de pauvreté patent. Les tensions répétitives sur le lait, le surenchérissement du prix des huiles végétales (palme, soja, olive,…) et les sommets sur lesquels ne cesse de caracoler la pomme depuis trois ans ont donné un franc avant-goût aux Algériens de ce qui les attend pour les mois et probablement les années à venir. En tout cas, les forts dérèglements des prix des produits agricoles- auxquels sont venues s’ajouter depuis quelques mois d’autres flambées des prix touchant une grande palette des matériaux de construction- ne sont pas sans soulever moult interrogations sur les orientations de l’économie nationale. Ces dernières ont du mal à se fixer au niveau institutionnel et avoir un caractère de durabilité qui les éloignerait des aléas et des contingences liés au marché mondial et à notre seule ressource d’exportation, le pétrole.

Les ahans de la politique agricole

Outre les grands programmes visant à soutenir l’agriculture professionnelle par l’intermédiaires de fonds spécifiques, à l’image du FNDIA, la réhabilitation du monde rural par une approche novatrice et multisectorielle participe aussi de ce souci de stabiliser la population et de travailler à assurer la sécurité alimentaire du pays. À titre de précieux accompagnement, le programme d’habitat rural est venu pour soutenir et couronner ces efforts tendus vers une meilleure valorisation des espaces de l’arrière-pays montagneux et steppique.

Il est vrai que les grands bouleversements en matière d’accès aux produits alimentaires se font clairement voir pendant la période de Ramadhan. Les contrastes sociaux y sont plus visibles et la difficulté de faire ses emplettes s’accroît en pénalisant les franges les plus fragiles de la société. Mais, de plus en plus, la chronicité du phénomène se confirme et s’aggrave. Ce n’est pas alors fortuit si les premières actions des projets de proximité ont visé l’activité d’élevage. En effet, les problèmes posés par l’alimentation de l’Algérien sont d’abord à identifier dans ce déficit d’accès aux protéines animales porteuses d’acides aminés indispensables au fonctionnement de l’organisme. En effet, sur l’éventail des produits d’origine animale, presque aucun d’entre eux n’a échappé à la tension sur le marché de façon à ce qu’il devienne inaccessible pour la plupart des bourses modestes. Les derniers produits à faire les frais d’une déréglementation chronique du marché ce sont les viandes blanches et les œufs. Il y a moins d’un mois, l’œuf était cédé à 11 dinars l’unité. Le poulet vidé de ses viscères atteint en ce mois de Ramadhan 340 dinars le kilogramme. Quant aux viandes rouges et poissons, ils risquent d’être bientôt classés dans la rubrique des produits exotiques. Seule la sardine a connu, pendant ce mois de jeûne une chute qui l’a ramené à 30/40 dinars le kg.

Il y a une année, c’était la crise du lait qui remplissait les manchettes de nos journaux quotidiens. La poudre de lait qui s’échangeait à 600 dollars la tonne sur le marché international ne pouvait plus assurer la marche des unités algériennes de production de lait. La subvention que l’État accorde aux fabricants non seulement ne couvre plus les frais de production, mais, pire, elle s’égare souvent dans les dédales de la bureaucratie et se fait longtemps désirer avant qu’elle soit empochée par les patrons laitiers.

Le soutien aux producteurs est consenti par l’État via l’élevage bovin et le réseau de collecte de lait. Mais, comme tous les dispositifs de soutien dans notre pays, celui-ci n’échappe pas aux détournements et au mauvais ciblage. En plus, il lui manque de faire partie d’une politique globale qui revaloriserait les fourrages, les parcours et les prairies artificielles.

Une masse monétaire en accroissement régulier

Au cours de l’année 2008, les statistiques officielles ont évalué cette inflation à 4,9 %. Des économistes n’ont pas tardé à faire la relation entre la hausse des salaires des travailleurs décidée par la tripartite en 2006, les lourds investissements publics générateurs de nouveaux salaires mais qui tarderont à être rentabilisés (autoroute, grands barrages hydrauliques, chemins de fer,…) et la hausse vertigineuse des prix des produits de consommation. À cela, il y a lieu d’ajouter les transferts sociaux destinées aux subventions, aux pensions et autres bonifications qui mettent en circulation une masse monétaire toujours plus importante. C’est, en quelque sorte, la demande qui est fouettée au détriment de l’offre. Cette dernière a souffert des aléas liés à la politique nationale de l’investissement au point où son évolution demeure négligeable. À cela, se greffe le déficit de productivité qui fait que, avec plus de ressources financières et plus de ressources humaines, on obtient les mêmes résultats à l’unité de temps qu’avant la mobilisation des moyens. Une partie de l’inflation est générée par les transferts sociaux lorsque les performances économiques (productivité et croissance) n’ont pas encore atteint le rythme soutenu. Au milieu des années 1990, les transferts sociaux ont atteint dix milliards de dollars. La gestion opaque de la rente pétrolière sous les régimes des années 1970 et 1980 n’était pas faite pour nous éclairer sur la proportion des dépenses liées au volet social. Néanmoins, au vu des travers charriée par l’économie ‘’planifiée’’ alimentée presque exclusivement par des ressources énergétiques considérables, la notion même d’économie avait perdu son sens. La pléthore des personnels des entreprises publiques, les découverts bancaires perpétuellement absorbés par le Trésor public, l’inflation du personnel administratif, enfin, tous les travers de d’une gestion dirigiste et rentière étaient intégrés dans un chapitre aux relents philanthropiques ou caritatifs intitulé ‘’volet social’’. Le plus grand chapitre des transferts sociaux de l’époque avait pour nom le soutien à la consommation, qui englobait pratiquement tous les produits alimentaires d’importation, l’énergie, et même des produits électroménagers et certains articles de fantaisie. L’État dispendieux et détenteur de monopole savait aussi organiser la pénurie dans le but de gérer et de soumettre la société. Au bout de quelques années, les effets désastreux de la gestion de la rente sont venus à bout de tous les efforts et possibilités nationales de production. Le soutien à la consommation se révéla être une grande supercherie dont les véritables bénéficiaires étaient les producteurs étrangers.

Malgré l’impopularité de la libéralisation des prix enclenchée à partir du début des années 1990, l’histoire économique du pays retiendra que c’est là une véritable révolution, une révolution des mentalités d’abord, pour amorcer le passage d’une économie rentière vers une économie de production. Cette solution, il faut le noter, n’est pas sortie du ‘’génie’’ des pouvoirs publics de l’époque mais de la situation de cessation de payement qui avait mis à genoux l’économie algérienne. La forte inflation qui grève l’économie algérienne n’est pas faite pour arranger les choses d’autant plus que les exportations algériennes pendant les sept premiers mois de 2009 ont connu une baisse drastique en terme monétaire et, ce, suite au recul des prix du pétrole depuis l’automne 2008. Cela fait partie évidemment des conséquences imparables des premières signes de la récession mondiale auxquels le gouvernement Ouyahia tente d’apporter des éléments de réponse dans ses répercussions sur l’Algérie et, ce, par un développement auto-centré comptant sur les ressources propres du pays. Les mesures prises pour fiscaliser les dividendes des bénéfices des sociétés étrangères, la participation de la partie algérienne dans le capital des sociétés voulant investir en Algérie et, la nouvelle procédure de facturation des importations (crédit documentaire) et l’encadrement de la politique des crédits destinés au ménages constitue une autre approche de l’ouverture de l’économie nationale sur le partenaire étranger, approche censée refonder, dans le pragmatisme et le principe de gagnant-gagnant, notre relation avec l’économie mondiale.

Amar Naït Messaoud

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