A l’approche de la fête de l’Aïd, le marché à bestiaux de la ville l’Ighzer-Amokrane dans la commune d’Ouzellaguen connaît l’effervescence des grands jours. Le bêlement des moutons se mêle aux cris des maquignons dans une cacophonie singulière. Les prix affichés donnent le tournis. Un mouton famélique se négocie autour de 18 000 DA. “On ne peut pas s’offrir quelque chose de valable à moins de 25 000 DA” nous fait remarquer d’un ton condescendant un vieil homme. “Je préfère acheter la viande chez le boucher. C’est nettement plus avantageux”, lance à la cantonnade une autre personne. A bien y regarder, la foule qui déambule dans le marché est composée en majorité de badauds. Les acheteurs potentiels se font rares. Malgré une légère dépression du marché, les prix restes excessifs, ce qui laisse suggérer que le cours du marché a atteint un seuil-plancher en deçà duquel toute vente est synonyme de perte pour l’éleveur. Quand bien même la cherté de la bête constituerait un écueil de taille pour les pères de familles aux petites bourses, force est de relever que le sacrifice rituel est frappé ces derniers temps par une véritable désaffection. En effet, à l’exclusion de quelques zélateurs gardiens du temple de la tradition et des fanfarons de tous poils qui font des folies pour la galerie, le commun des citoyens de la région ne fait plus grand cas de l’acte d’immoler.
Avec son allure de faux maquignon et son accent débordant de sincérité, Achour, gardien dans une école primaire de la région, est l’un de ces nombreux pères de famille qui, chaque année à la veille de la fête du sacrifice, s’improvise vendeur de moutons. Une façon comme une autre d’arrondir ses fins de mois de smicard et de faire face aux dépenses occasionnées par la fête. Mais cette année, Achour a dû déchanter, à l’image de tous les quidams qui ont légitimement cru mettre du beurre dans les épinards et qui ont, au final, connu une brutale désillusion. Que peut, en effet, la bourse exsangue du citoyen vampérisé face à la flambée des prix des marchés à bestiaux ? La cherté de la bête a réfréné bien des convoitises et le recours à l’achat de la viande fraîche reste la seule échappatoire pour faire bombance et assouvir son instinct carnassier. “Je me demande par quelle acrobatie financière un travailleur ordinaire qui, en temps normal, a du mal à joindre les deux bouts, pourrait supporter toutes les dépenses liées à l’Aïd”, se lamente Mohand-Akli du quartier Berchiche, qui avoue appréhender les fêtes religieuses et la rentrée scolaire avec la même fébrilité. “J’ai acheté deux paires de chaussures et un blouson en flanelle pour 6 000 DA. Cela équivaut à la moitié du salaire que me verse la fonction publique” confesse-t-il.
D’aucuns, et ils sont toujours plus nombreux, font leurs emplettes aux marchés aux puces. Les magasins du vêtement usagé qui, ces derniers temps ont pignon sur rue, offrent ainsi une aubaine pour habiller sa famille à moindre frais.
Reste à exaucer les vœux des enfants en leur achetant les jouets qu’ils réclament à cor et à cri et dont les pères de familles n’aiment pas faire l’impasse. “Leurs désirs sont des ordres”, tranche un jeune papa de deux enfants pour qui l’Aïd ne vaut que par le boucan des jeunes parés de leurs plus beaux atours. Beaucoup estiment que même en s’en tenant aux achats jugés indispensables, la plupart des bourses s’avouent insolvables.
N. Maouche
