Yazid Mansouri, vous serez finalement en Afrique du Sud en juin prochain. La joie, le soulagement, la fierté, quel sentiment prédomine ?
Yazid Mansouri : Il y a un peu des trois, il y a plein de choses. C’est tout un ensemble en fait. Il y a aussi beaucoup d’émotions, on la méritait tellement cette qualification ! On avait fait un sans-faute, on était invaincu, on avait battu les Égyptiens chez nous…
On a toujours senti les Algériens sereins…
Les Égyptiens ont pourtant tout tenté pour nous déstabiliser, c’est la preuve qu’ils nous craignaient. On n’a jamais répondu à leurs provocations. Et à Khartoum, sur terrain neutre, on s’est imposé (1-0) car on était plus fort qu’eux. Car on avait un plus gros cœur qu’eux.
Vous voilà de retour. Pouvez-vous…
(Il coupe)… Quelle fut belle la surprise que mes amis Lorientais m’ont réservée à l’aéroport, vendredi soir. Ma femme surtout, je crois. Il y avait mes amis, ma famille, des coéquipiers du club aussi. Merci à tous.
Avant votre départ, vous nous aviez avoué qu’il existait une vieille rivalité entre l’Algérie et l’Egypte
Par le passé, pour certains matches, il s’était passé des choses pas très claires, des magouilles, mais c’était une rivalité purement sportive. On les avait d’ailleurs battus lors de la CAN 2004 (2-1) à 10 contre 11, mais je ne garde pas de souvenir d’un match violent.
Et là, vous avez senti de l’hostilité dès votre atterrissage au Caire le 12 novembre dernier ?
Au départ pas du tout, tout était nickel. Il y avait une foule de journalistes de différents pays. On monte dans le car et on avait que 500 mètres à effectuer jusqu’à l’hôtel. Au fur et à mesure du trajet, on s’est rendus compte qu’une première moto roulait sur le côté gauche du car, puis une deuxième puis on a été entouré par beaucoup de motos. Et il n’y avait aucune escorte. Les crachats ont commencé à pleuvoir, puis les pierres. On s’est dit c’est du folklore, qu’ils voulaient simplement nous impressionner. Mais plus on avançait, plus on recevait des pierres et à un moment donné une vitre a explosé. Durant dix minutes, la peur est montée. Deux joueurs qui n’ont pas eu le temps de se jeter à plat-ventre ont été touchés gravement, deux titulaires. Ils saignaient abondamment.
C’était pour vous des actes isolés ?
Je ne le pense pas ! Tout ça était prémédité, la police aurait dû intervenir et on ne l’a jamais vue.
Avez-vous eu peur au moment de descendre du car ?
Des agents de sécurité algériens nous attendaient devant l’hôtel. Ensuite, tout le 4e étage de l’hôtel était réservé pour la délégation algérienne. Là, on s’est senti en sécurité.
La majorité des joueurs évoluent en Europe. Vos familles étaient-elles inquiètes ?
On les a vite rassurées au téléphone. Une fois, à l’hôtel, on était en sécurité. On avait notre propre cuisine, notre restaurant, nos serveurs. Il n’y avait vraiment que nous.
Souhaitiez-vous que le match soit reporté ?
Nous les joueurs, on n’y avait pas pensé dans un premier temps. Et pourtant, les plus jeunes, qui découvraient l’Afrique, étaient choqués. Une équipe de Canal + avait filmé toute la scène. En tant que capitaine, j’ai ensuite fait le point avec le président de notre fédération (Mohamed Raouraoua) et un délégué de la FIFA. Un rapport a été rédigé. Ensuite, tout a été fait pour garantir notre sécurité. Mais normalement, ces jets de pierre auraient dû nous donner match gagné sur tapis vert. Je ne parle même pas de nos supporters qui ont été agressés.
Vous n’étiez pourtant pas au bout de vos peines ?
Le lendemain, veille du match, on s’est entraîné sur la pelouse du Caire. Le stade était juste à gauche de l’hôtel. On a mis 1 h 40 pour y arriver. Après l’entraînement, on a mis 10 minutes pour revenir. C’était une provocation supplémentaire mais on s’est servi de ça, pour se renforcer sur le plan mental, on voulait être plus intelligent qu’eux et ne pas entrer dans cette guerre psychologique. La veille et l’avant-veille du match, il y avait des mariages presque sous nos fenêtres dans les jardins de l’hôtel avec klaxons et trompettes. Encore une fois, c’était la preuve qu’ils nous craignaient, ils ont tout fait pour nous déstabiliser. C’est très grave d’en arriver là.
Le jour du match encore, le match débute de la pire des façons
Au bout de trois minutes, on avait déjà concédé un but (une victoire de l’Egypte par deux buts d’écart nécessitait un match d’appui, mais par trois buts d’écart qualifiait les Égyptiens). On était perturbé mais on a tenu jusqu’à la 95e. Il ne restait pour se qualifier que 30 secondes. Ce fut peut-être un mal pour un bien car on ne sait pas comment aurait réagi le public égyptien.
De retour dans les vestiaires, un sentiment d’abattement a dû tomber sur vous ?
On s’est dit : ce n’est pas possible. On a repensé au match face au Rwanda où on avait été incapable de marquer ce troisième but qui nous aurait été si précieux. On tenait la qualification, en jouant bas, on avait eu l’impression de faire un gros match. On s’est dit que tout nous tombait dessus. Bien sûr, qu’il y a d’abord eu de l’abattement.
Quel a été l’électrochoc ?
Le président de notre fédération est intervenu. Il nous a demandé de relever la tête, nous a parlé, d’un terrain neutre, afin de porter un autre regard sur la suite. Il nous a répété que nous avions toutes les chances de nous qualifier. Ce discours, c’était le soir à l’hôtel. On est parti se coucher persuadés qu’on allait les gagner, conscients qu’il fallait réduire les petites erreurs. On avait surtout au fond de nous mêmes, un énorme sentiment d’injustice.
Lorsque vous avez rejoint le Soudan, pour ce match d’appui à Khartoum, vous avez dû vous sentir soulagés ?
Le jour du match, toutes les routes étaient bloquées. De ce côté-là, on n’était pas embêtés.
Et vous étiez survoltés ?
Survoltés n’est pas le terme. Mais gonflés à bloc certainement, animés d’une énorme solidarité. Nous sentions des millions d’Algériens derrière nous, tout un peuple pour nous encourager et nous protéger. Cette communion nous a renforcés.
1-0, but d’Anthar Yahia, l’Afrique du Sud en juin. Finalement tout est bien qui finit bien ?
On était déjà une équipe solidaire mais on l’a été encore un peu plus, chacun s’est battu pour l’autre. Et il n’y avait pas que les onze joueurs sur le terrain. On s’en sort grandi de cette aventure, cela transforme ta façon de voir les choses, mais j’espère seulement que cela n’arrivera plus à l’avenir car cela n’avait rien à voir avec le sport, ce n’est pas ça le football.
Vous en voulez aux footballeurs égyptiens ?
Oui et non. Ils se sont servis de ce contexte pour essayer de gagner. Mais ils étaient aussi très provocateurs sur la pelouse.
Vous-même, vous devez être différent ?
Je suis déjà animé d’une immense fierté d’être le capitaine d’une nation telle que la nôtre. L’histoire retiendra que j’étais le capitaine de cette équipe qui est en train de réécrire une page du football algérien. Que mon nom y soit associé… Je pense à mes amis, à ma famille, à mes proches… Rabah Madjer, le grand Rabah Madjer, m’a même appelé sur mon portable pour me féliciter, je suis vraiment touché.
Touché et heureux.
Epuisé surtout. Durant dix jours j’ai beaucoup donné : l’enjeu, la pression, les nerfs. Je me suis isolé durant deux jours, le week-end dernier du monde extérieur pour me reposer.
DZ-Foot
