Yemma Touguit, entre légende et histoire

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A pied ou en voiture, puisqu’une piste carrossable est réalisée à cet effet sur plus de deux km, l’arrivée en haut constitue un vrai défi pour bon nombre de ces femmes, notamment celles du troisième âge, mais à les voir à l’œuvre, on conclut rapidement que le jeu en vaut bien la chandelle.

En processions interminables, garçons et filles de tout âges, les pèlerins viennent des quatre coins de la wilaya de Bgayet. A chacun son but ou vœu qu’il souhaite exhausser une fois en haut, où d’étranges rituels tirés des fins fonds de l’histoire se déroulent parfois.

D’après les croyances locales, faire le tour du mausolée sept fois permet à ceux et à celles qui n’ont pas de progéniture d’en avoir et aux célibataires des deux sexes de trouver chaussures à leurs pieds. Bien avant l’avènement des télécommunications et technologies modernes, l’arbre géant “Ideg”, dont les restes sont toujours visibles du côté sud du mausolée puisque — ravagé par le sinistre incendie de 1983 qui reste gravé dans la mémoire locale comme étant l’une des grandes catastrophes qu’a connues la région depuis toujours — servait de lieu d’où les femmes pouvaient après un rituel dont elles seules détiennent les secrets, entrer en contact avec leurs époux ou proches égarés dans la splendeur des nuits parisiennes. D’après certains connaisseurs, cet arbre aux allures d’un baobab d’Afrique ne pousse nul part ailleurs au monde, à l’exception du rif marocain.

Passer une journée à Yemma Touguit en cette période de Achoura est une occasion de rencontre de vieux amis et connaissances, dans un climat fraternel et une chaleur humaine indescriptible où on peut parler de tout et de rien à la fois, regarder dans les quatre directions en poussant les limites de l’horizon très loin, en temps clair jusqu’à Gouraya et un peu plus loin que Timezrit et les majestueuses montagnes des Babors mais aussi dégustant “Adhmine”, plat traditionnel préparé en la circonstance à base de semoule, huile d’olive, eau et sel en y ajoutant du sucre une fois cuit, le tout en côtoyant les nuages et l’air pur.

D’un autre côté, cette occasion représente aussi un moyen de rencontre entre filles et garçons qui se terminent parfois par la naissance d’histoires idylliques, couronnées dans la plupart du temps par des engagements à vie, ce qui fait dire à un enfant de la région, en l’occurrence Madani Sihali, que “dans ce genre d’endroits et d’occasions naissent les amours rebelles qui ne croient en aucune barrière mais aussi et surtout la naissance de la poésie féminine, fruit de rencontre entre ces femmes des différents horizons”. Pour comprendre ce que cache cette célébration mais aussi cette femme qui a donné son nom à ce lieu mythique, un petit voyage en surfant sur les vagues de l’histoire et la mémoire collective locale s’impose. L’histoire de Yemma Touguit et celle de la région d’Ikedjane est une et indissociable, les recherches dans l’histoire nous révèlent que Ikedjane était à l’origine une fraction de la tribu “Ath Mansour”, formé de quatre villages (Tasga, Taourirt ou Aïssa, Aït Achour et Aït Mahiou), elle a donné son nom à l’ex-douar de l’ex-commune mixte de la Soummam de 1887, des vestiges de l’antiquité attestent de l’occupation ancienne de la région par l’homme. Les romains ont marqué leur passage dans cette contrée où l’on note la présence de ruines dans quelques endroits. Notamment à Tifra, daïra de Sidi Aïch. Sa population, qui serait originaire de la région de Sétif, s’est installée dans cette contrée après le déclin des Fatimides au Maghreb.

Notons la présence de la mosquée médiévale (El Djemaâ El Djamoua) à Taourirt ou Aïssa où (Sidi Wedris), professeur du célèbre Ibn Khaldoun et Mohamed El Houari (Sidi El Houari d’Oran) y fait un séjour dans la région au IVe siècle. Le 9 janvier 1852, Bou Baghla et son lieutenant Abdelkader El Boudwawi y installèrent leur quartier général, ce qui attira les foudres de guerre de l’armée coloniale en y envoyant une expédition punitive sous les ordres des généraux “Bosquet” et “St Arnaud”. Tous les villages furent incendiés et la population se réfugia alors sur la montagne d’en face, d’où “Touguit”, qui est une guerrière issue d’une famille de trois (03) filles qui compte en plus d’elle “Gouraya” et “Timezrit”, organisa une farouche résistance en lâchant de grosses meules en pierre sur les soldats coloniaux qui attaquaient d’en bas, du côté d’El Kalaâ.

Dans ce sens, la légende populaire locale rapporte que sept “Mehallas” furent écrasées par les armes lithiques et qu’un officier du grade de général était dans le lot.

L’autre thèse, qui est celle de l’ethnologue français Jean Servie, né en 1918 et qui fut un des meilleurs découvreurs de la civilisation berbère, qu’il a mis en valeur après l’avoir étudiée sur le terrain de 1949 à 1955 ; celui-ci avance que le village de Touguit était là, trois (03) siècles avant les Fatimides, ce qui renforce une autre légende populaire qui nous rapporte que Yemma Touguit combattait les Romains, non les Français, a noté aussi l’existence actuellement d’une famille au village Iguer-Ghouzrane qui porte le nom de cette femme légende ; toutefois, une étude sérieuse et approfondie des lieux est nécessaire pour sortir la vérité prisonnière de ces ruines des siècles durant.

Ce lieu reste le témoin vivant de notre histoire millénaire et d’une culture qui renaît doucement mais sûrement des cendres de ces “canouns” sur lesquels nos femmes préparent jalousement le délicieux “Adhmine”.

Arezki Toufouti

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