Rubrique animée par Hadjira Oubachir
« L’arbre ne s’élève qu’en enfonçant ses racines dans la terre nourricière « . Proverbe touareg. Je l’ai vue et écoutée chanter, elle a une voix d’ange et de la magie dans les yeux. Rita Damazio évoque plus ses combats que la chanson et pourtant… Cette jeune et jolie portugaise est née en France il y a 30 ans. Elle en avait 14 quand elle retourne avec ses parents dans le pays du soleil, sans regrets et peut-être même avec un certain soulagement. Elle découvre la saveur et la musique de la poésie du fado et s’engage dans un groupe rock gothique avec lequel elle chante ses révoltes d’adolescente et ses rêves intérieurs. Plus tard, la musique traditionnelle portugaise, le fado, réveille en elle des émotions qui s’accrochent à sa sensibilité de nubile.
Rita traîne avec elle sa soif du savoir, sa curiosité et son lancinant désir de découvrir les peuples du monde. Elle se met à apprendre les langues pour mieux comprendre les cultures des autres. N’étant plus jamais retournée en France, elle reste tout de même attachée à la langue française, apprécie l’humour et le cinéma français. Adolescente, elle découvre Baudelaire et Proust ; plus tard, se passionne pour le œuvres de Marguerites Duras. L’histoire des Berbères dans le cadre de ses études en anthropologie, l’intéresse plus particulièrement.
Avec le français et le portugais comme langues maternelles, elle apprend l’anglais pour s’ouvrir au monde ; quant à l’espagnol, elle le trouve tout simplement facile de part sa ressemblance avec le portugais. Rita Damazio se tourne vers l’arabe qu’elle apprend à la mosquée de Lisbonne et décide, pour l’année prochaine d’étudier le Tamasheq dont elle connaît quelques notions ou » peut -être le kabyle à cause de l’intérêt que je porte à Tamazgha » dit-elle.
Mais d’où vient l’intérêt que porte Rita à l’Afrique ?
Elle aime son pays, le Portugal, qu’elle voit comme un paradis comparé au reste de l’Europe mais se sent attirée par les Imazighen et Tamazgha et croit savoir pourquoi. Elle explique : « Le Portugal et l’Espagne composaient le territoire de l’Andalousie et les populations étaient entre autres arabes mais il y’avait aussi les Berbères que l’on appelait les Maures. Ceux-ci ont si bien influencé le Portugal que l’on traitait les Portugais de Maures.
Après 8 siècles de colonisation nous ne pouvons qu’avoir des origines berbères. D’ailleurs, des études anthropologiques moléculaires prouvent que la plupart d’entres nous possèdent 95% de gènes amazighs ! En France, dans ce pays de l’égalité, fraternité on me désignait par noire ou arabe et je n’ai pas pour autant trouvé mon équilibre au Portugal où un métis est nommé « cabrita » qui veut dire biquette. Mon enfance a été marquée par des questions humiliantes telles que : « Tu viens d’où ? Tu es Africaine ?” Je voulais dire à tout le monde que j’étais Portugaise mais je n’en suis pas moi-même convaincue. Je commençais à penser qu’il devait bien y avoir une explication à tout cela. Une autre explication sur les origines est venue conforter Rita. Son professeur de littérature orale africaine lui explique que les Portugais avaient fait venir des esclaves ayant occupé deux régions au Portugal, Alcacer Do Sal et Salvaterra De Magos, or la famille de sa mère est de Magos !
Tous ces questionnements et ce voile opaque posé sur ses origines rapprochent Rita de la communauté maghrébine auprès de laquelle elle retrouve confiance et sérénité. Elle ira jusqu’à trouver des similitudes entre le fado et les chants berbères.
Rita l’artiste
Trois ans se sont écoulés depuis que Rita a rencontré pour un spectacle à Lisbonne, le groupe Touareg « Tinariwen ». Les membres du groupe l’adoptèrent et l’appelèrent « cousine ». En juillet 2009, elle apprend le tifinagh et chante en duo avec Hassan, accompagné par Abdellah à la guitare… A 15 ans, Rita abandonne le fado qu’elle finit par trouver lourd et réservé aux adultes et se lance dans le gospel, les locutions publicitaires et des programmes d’humour, comme les guignols en France. En 2008, elle réalise son rêve. Après avoir été choisie pendant une audition, elle rejoint enfin le célèbre groupe Madredeus a banda cosmica qui révolutionna la musique traditionnelle du Portugal en mélangeant habilement le fado, la musique folk,la musique populaire brésilienne le blues et la musique classique et en y introduisant les percussions et la harpe. Elle enregistre alors « Métafonia » en septembre 2008, un DVD live « Téatro ibéro » qui sortira en avril 2009 et « A nova Aurora » en août 2009.Un troisième album est en préparation. Avec son groupe, elle tourne au Brésil, en Espagne et en Pologne et fait tous les théâtres du Portugal. Sa grande joie est de travailler avec des musiciens tels que Pedro Ayres Magalhaes et Carlos Maria Trintade car, dit-elle. « Ce sont des artistes pleins de talent, de professionnalisme et d’humanité « .
Rebelle et humaine
Rita Damazio rejette tout conformisme qui entraverait sa marche vers les chemins de lumière. Elle refuse d’être esclave du temps ou même de la chanson qui constitue pour elle un plaisir qui ne doit pas l’engloutir et auquel elle se donne à fond, quand elle le sent. Elle écoute le pouls du monde. Sa curiosité la propulse vers des contrées inexplorées pour toujours, s’émerveiller, aider et comprendre. Elle est libre et revendique la libération de la femme et se bat pour les droits de l’homme. Elle dit son admiration pour Aminata Haider, Wangari Maathai, 1ere femme africaine a avoir reçu le prix Nobel de la paix, Hélène Sirléaf Johnson 1ere femme présidente en Afrique ; la Sud-Africaine Nadine Gordimer, prix Nobel de littérature. Rita a crée le groupe » parrainer un enfant touareg » et souhaite voir ce groupe se multiplier et se transformer en association non gouvernementale. Elle s’implique dans l’enseignement des petits nomades qui abandonnent l’école à cause du manque d’enseignants et l’éloignement entre autres : « l’instruction va leur permettre, une fois adultes, de faire entendre leur voix et réclamer les droits bafoués des Touaregs, nous avons pour réaliser ce projet, besoin de l’aide de tout le monde pour que nous puissions accompagner ces enfants.
De l’aide nous est parvenue des algériens et la radio sedryk tamasheq.net ainsi que la radio-dzai.com qui nous a promis de passer des spots publicitaires sur notre groupe. Le créateur de notre site est algérien, en attendant sa réalisation nous sommes sur face book.”
» Tamat takount «
« La femme c’est l’étonnement », dit la sagesse touarègue. Rita Damazio est engagée dans un processus de valorisation et de promotion de la culture africaine mais elle est aussi cette fragile et gracieuse artiste de talent qui, avec sa voix douce et chaude élève l’âme et enchante les oreilles. Qu’elle interprète » a estrada montahna » ou » éclipse « , dans sa longue robe noire, elle donne une dimension esthétique à la scène à l’instar de la regrettée et néanmoins grande chanteuse américano-brésilienne Lhasa De Sela. Elle a une voix qui berce et console.
Tout en continuant à être libre et rebelle, Rita préserve le respect des traditions qui n’est nullement en contradiction avec la liberté et l’émancipation. » Qu’importe si le chemin est long, du moment qu’au bout il y’a un puits « .
H. O.
