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Des travaux d’utilité publique au lieu des peines d’emprisonnement

C’est une innovation de taille dans l’appréhension des procédures de pénalisation dans notre pays. Mokhtar Felioune, directeur général de l’administration pénitentiaire, structure dépendant du ministère de la Justice, a déclaré la semaine passée, lors de la réunion de la commission interministérielle chargée de l’insertion des prisonniers que “les rapports émanant des différents parquets généraux indiquent que tous les tribunaux ont commencé à appliquer la nouvelle mesure de peine alternative à l’emprisonnement telle qu’elle est introduite dans le code pénal en janvier 2009”. M. Felioune indiquera que “la direction des affaires pénitentiaires travaille actuellement pour le renforcement de la coopération avec les juges d’application des peines afin de faciliter l’opération d’exécution des peines d’utilité publique suppléant à la peine d’emprisonnement”. Les procédures de conciliation, d’arbitrage et de médiation sont également appelées, au même titre que les travaux d’utilité publique, à réduire la pression sur les maisons d’arrêt et à éviter au condamné le contact avec le milieu carcéral. Cela est censé, d’après les concepteurs de ces mesures, à diminuer le phénomène de récidive et à garder le condamné dans son milieu familial. Les peines condamnant aux travaux d’utilité publique sont prononcées en remplacement d’une peine initiale de moins de trois ans d’emprisonnement. Cette mesure – travaux d’utilité publique (TUP) – prévoit des tâches qui ne dépassent pas 600 heures réparties sur 18 mois. Il s’agit pour le bénéficiaire de telles mesures de s’adonner à des travaux de reboisement et d’artisanat principalement. Des conventions ont été déjà signées dans ce sens avec l’administration des forêts. Les premières wilayas concernées étant Oum El Bouaghi, Mascara, Saïda et Médéa. Le directeur des affaires pénitentiaires donne les chiffres de la réinsertion des prisonniers au cours de l’année écoulée. Ainsi, 2234 prisonniers libérés en 2009 ont été intégrés dans les circuits de l’emploi (emplois salariés ou création de micro-entreprises). Dans le même contexte, M. Felioune précise que 756 prisonniers ont bénéficié d’attestations de qualification.

Pour ce qui est femmes pensionnaires des prisons, 87 d’entre elles ont été placées dans les “Dar Errahma’’ avec la participation du ministère de la Solidarité nationale.

Miroir insolent de la société

En tout cas, les peines d’emprisonnement, aussi nécessaires qu’elles soient au vu de la dangerosité des cas auxquels elles s’appliquent, ont montré leurs limites dans la société. Au vu de la dégradation de la situation sociale de larges franges de la population algérienne, des fléaux sociaux de différentes catégories ont vu le jour au cours de ces dernières années au point de mettre en danger la sécurité des biens et des personnes ainsi que les valeurs morales de la collectivité. Presque toutes les instances éducatives et culturelles (cellule familiale, école, crèche, mosquée, centres culturels, médias audiovisuels,…) ont une part de responsabilité dans l’impasse à laquelle se trouvent confrontés les jeunes Algériens. À défaut d’anticiper les problèmes, ils finissent par nous exploser intempestivement à la figure. Notre pays dispose de 127 établissements pénitentiaires abritant une population carcérale de 54 000 personnes. L’un ces pénitenciers, celui de Tazoult (Lambèse), a été bâti en 1852. Un programme d’urgence prévoit la construction de 13 autres établissements pouvant offrir 19 000 places. Le ministère de la Justice nous apprend que la population carcérale a augmenté en l’espace d’une année (2007-2008) de 10 000 prisonniers, un chiffre qui donne le tournis et qui suscite beaucoup d’inquiétude. Par définition, la condamnation a une peine de prison ne signifie pas autre chose qu’une restriction, voire une annulation, de toute liberté et de tout mouvement. Du moins, c’est là la conception traditionnelle qui a ses justifications sociales, culturelles et économiques. Donc, l’on ne doit pas tomber dans la candeur jusqu’à conférer à la taule des airs de villégiature. La marche de la société et l’impératif de ses équilibres internes ont instauré la sanction de mettre aux arrêts les plus marginaux de ses éléments, ceux qui portent atteinte à la sécurité des biens et des personnes et ceux qui mettent en danger l’harmonie générale des groupes et des communautés.

Mais que vaut la prison dans un pays que sa propre jeunesse, sans grand effort de recherche de style, qualifie de grande prison vaste de 2,5 km2 ? Que l’expression comporte une note d’exagération, cela n’exonère nullement le système politique, économique et social algérien qui jette, dans un mouvement centrifuge permanent, de larges franges de sa population aux confins de la marginalité, de l’abandon, de l’esprit de revanche et de ‘’l’irrédentisme’’.

Comment se présente la vie en prison lorsqu’on est déjà édifié sur la vie menée par notre jeunesse en “liberté’’ ? Il est vrai que la règle d’exception a fait que des prisonniers candidats au bac ont eu l’examen haut la main. Mais, l’on sait depuis longtemps que l’hirondelle ne fait pas le printemps. Les maladies, somatiques et psychiques, contractées en milieu carcéral ne sont pas rares. Malgré tous les discours officiels et les statistiques des bureaux feutrés de l’administration, la formation professionnelle, la réhabilitation des valeurs humaines chez le prisonnier, bref, la rééducation (terme officiel qui remplace “incarcération’’) demeurent une vue de l’esprit. Les résultats sont là : sur les 54 000 personnes constituant la population carcérale actuelle, 43% sont des récidivistes. Ce chiffre du ministère de la Justice, datant de l’année passée, vaut son pesant d’échec dans la politique de réinsertion aussi bien en prison qu’après la libération du prisonnier. Le drame est que la nouvelle configuration de la population carcérale donne un chiffre officiel de 822 femmes emprisonnées. Quand se rendra-t-on compte que, comme l’affirment des spécialistes, la prison est un condensé de la société prise dans son ensemble, un reflet de ses impuissances et de ses échecs ? C’est sa mémoire douloureuse, sa partie marginale et insoumise, qu’elle traîne comme un boulet dans la conscience. C’est pourquoi, aucune réforme des prisons ne pourra porter ses fruits ou de résultats durables tant que la société, les pouvoirs publics et les autres institutions de l’État se conduisent plus en matons qu’en organes d’intégration sociale.

La justice et le palais

Au niveau de la superstructure qu’est la justice, des questions pertinentes continuent à tarauder les spécialistes du droit quant à la valeur, à l’équité et à l’efficacité des décisions qui y sont rendues. Le livre que vient de publier l’avocat Mokrane Aït Larbi sur la justice dans notre pays porte un titre évocateur : Entre le palais et la justice ! Entre l’infrastructure abritant l’administration et le parquet, d’une part, et le noble concept de justice, d’autre part, la distance peut parfois être trop importante pour être arpentée. “Il était une fois l’injustice…, ainsi faudrait-il commencer par présenter la justice, car, c’est par son contraire que la justice se laisse d’abord se saisir”, écrivait Loïc Cadiet, spécialiste du droit à la Sorbonne. Le terme ‘’hogra’’, spécificité idiomatique de l’Algérie qui est repris par beaucoup de médias étrangers (surtout à l’occasion d’émeutes ou de simples protestations citoyennes), est à lui seul révélateur d’une relation peu flatteuse entre la justice et les citoyens. L’on se souvient de cette blague – la gouaille et la sagesse populaire sont une science à ne pas négliger dans ces cas de figure – dans laquelle un passant demande à un homme rencontré dans un boulevard de lui indiquer l’emplacement du Palais de justice : “Le Palais, je sais où il est, je peux vous y accompagner ; mais la justice, j’ignore. Je suis vraiment désolé !” Des affaires de droit commun les plus anodines jusqu’aux affaires politiques – traitées par la tristement célèbre Cour de sûreté de l’État –, en passant par les scandales financiers jadis étouffés lors de simulacres de procès devant la Cour des comptes ou les tribunaux criminels, l’Algérie du parti unique et de la “démocratie populaire’’ a fait valoir une image caricaturale de la justice qu’illustrent parfaitement ces vers de la Fontaine : “Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.” Le sentiment d’impunité est sans doute le moteur le plus puissant de l’injustice. Dans la confusion des pouvoirs nés au lendemain de l’Indépendance – et que consacrèrent la Constitution de 1963 et la Charte d’Alger de 1964 –, la justice allait de plus en plus être déviée de sa vocation à dire le droit et de faire appliquer la loi. Et puis, rétorquera-t-on, c’est quoi le droit ? Là, on rejoint le sociologue qui, par un faux cynisme, affirme que les lois sont faites pour être violées. Ce n’est qu’après octobre 1988 que l’édifice politique et institutionnel algérien commença à se lézarder sérieusement, ce qui aboutit à la Constitution de février 1989 qui consacra théoriquement la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Sur le terrain, les changements ont nettement marqué le pas d’autant plus qu’à partir de 1992, l’Algérie allait une longue parenthèse terroriste où le déni des droits – et le premier d’entre eux est le droit à la vie – vient non pas de l’État mais des organisations terroristes. Au début de la décennie en cours, le Président Boutefika a installé une commission présidée par le professeur Mohand Issad et chargée de faire le diagnostic de la justice algérienne et des propositions pour l’amélioration de ce secteur vital dans la vie de la nation. Les citoyens algériens ignorent jusqu’à ce jour les résultats du travail de cette commission. Le président de la commission s’est contenté de dire qu’il a fait son travail et qu’il a remis son rapport au président de la République. En tout cas, les maux de la justice algérienne sont connus à peu près de tous : lenteur dans les procédures d’instruction et de traitement des affaires, corruption, inadaptation de certains textes aux nouvelles réalités socioéconomiques et culturelles du pays, inexécution des décisions de justice. Les difficultés dans lesquelles évolue le personnel de la justice ne sont un secret pour personne : sous-équipement en matériel bureautique et informatique, déficit en formation spécialisée, salaires inadaptés qui fragilisent les fonctionnaires face aux tentations de corruptions, pressions extra-professionnelles liées à des lobbys tendant à influer sur les décisions de justice. À n’en pas douter, la justice, promise à des changements et à des adaptations continuels, constitue un miroir du progrès et du développement de la société et de l’État.

Amar Naït Messaoud

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