“Le Coran est traduit dans toutes les langues, pourquoi pas en tamazight”

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Saïd Bouizri, professeur en science et droit juridique à l’université de Tizi Ouzou, se compte parmi l’élite qui consacre le plus de son temps, pour aller à la rencontre des populations de l’Algérie profonde. Il assure des conférences à l’étranger, à l’intérieur du pays et à travers les quatre coins de la Kabylie. Il est très sollicité par la population, particulièrement les jeunes en quête d’aide, d’écoute et d’explication, en matière sociale, religieuse et autres. Son secret réside dans sa méthode d’expliquer les choses, son esprit de tolérance, sa vivacité et sa personnalité typiquement kabyle, à travers laquel les jeunes de la Kabylie qui rejettent les idéologies importées, trouvent en lui un homme bien placé pour les comprendre, les écouter et démystifier certaines falsifications. Nous l’avons rencontré à la fin d’une conférence-débat qu’il a animée jeudi après-midi dans le village Lazaïb (Tigzirt), M. Bouizri a bien voulu répondre sans tabous ni détours aux questions de La Dépêche de Kabylie, se rapportant notamment à des points sensibles, tels la polémique sur la traduction du Coran en tamazight, le nouveau code de la famille, le christianisme en Kabylie et le phénomène du suicide.

La Dépêche de Kabylie : Qui est Saïd Bouizri ?Saïd Bouizri : Je suis un professeur à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi, dans la spécialité “Droit et sciences juridiques et ce, depuis 1988. En tant qu’universitaire, j’active de mon mieux au profit de la société, en nouant des contacts et des débats particulièrement avec les jeunes. Nous les aidons à comprendre les choses et à surmonter leurs problèmes.

Vous êtes aussi islamologue ?ll A vrai dire, oui. Je fais de la prédilection (daâwa) et ce, en fonction de mes connaissances dans le domaine religieux. Durant mes études, j’ai étudié les sciences juridiques se rapportant au civil, mais aussi la juridiction de la “chariaâ”. J’assure des conférences, des cours et des débats à travers les quatre coins de la Kabylie particulièrement, et au niveau national et international en général.

Nous avons constaté que vous êtes très sollicité par les populations et les jeunes particulièrement. Le secret réside-t-il dans la façon que vous prônez pour expliquer les choses ?ll La Kabylie jouit d’une riche histoire. Elle a ses savants et ses compétences. Je suis convaincu que le trésor que recèle la Kabylie est d’une grande importance. Je l’appelle un héritage matériel, mais surtout moral. Il est de notre rôle de faire découvrir ce trésor. Notre région a soif de découvertes et de savoir, mais elle veut un savoir qui sera transmis par la tolérance, la logique et l’argumentation. Pas de la façon prônée par certains de nos frères, qui usent de mauvaises méthodes. Je suis contre cette réalité. Comme je vois, la Kabylie a soif de savoir, de celui qui la conduira sur le chemin de la paix, du bien, par consentement et conviction, loin de toute population de violence et d’extrémisme.

Il y a quelques jours, par le biais d’une chaîne arabe, des voix se sont élevées pour critiquer et fustiger la traduction du Coran en tamazight, prônée par le ministère des Affaires religieuses de notre pays. Quel est votre réaction à ce sujet ?ll Je vais répondre par une question. La traduction du Coran a été faite en français, en anglais et dans toutes les langues du monde entier, pourquoi pas en tamazight ? Pourquoi ne sont-ils pas satisfaits de cette traduction ? La question mérite vraiment une réponse. Je donnerai plus de détails, en disant le Coran est la parole de Dieu, non pas celle de l’homme. Dieu a ordonné de la transmettre au monde entier. C’est à vous de trouver les moyens de le transmettre à tous les peuples de la planète et à chacun sa langue. Nous sommes fier de notre amazighité. D’ailleurs, de la conférence à laquelle j’ai participé, nous avons parlé de notre histoire, de nos valeurs, transmettre le message de Dieu. Je ne vois vraiment aucun mal suite à cette traduction. Je souhaite beaucoup de courage et de réussite à ceux qui ont effectué cette traduction. Quant à moi, je ne fais pas partie de cette équipe de traducteurs, ma spécialité étant l’analyse “tefsir”, du Coran, en tamazight. Nous ménageons aucun effort pour faire aboutir notre mission qui consiste à faire comprendre clairement le message de Dieu et tous les moyens pédagogiques et de communication sont bons.

Avez-vous constaté des changements par le fait que vous expliquiez aux gens la religion avec leur langue ?ll J’ai vu de grands changements, effectivement. Beaucoup de gens ne connaissent et ne parlent pas l’arabe, ils ont sombré dans la méconnaissance et l’ignorance. Mais à partir du jour où tu leur explique les choses dans leur langue, il comprennent bien, il changent, il découvrent la vérité et ils se réconcilient avec la religion. J’ai constaté depuis que la daâwa en tamazight a été lancée, d’une manière générale, particulièrement en ce qui concerne la traduction et l’analyse du Coran dans notre langue, il y a eu de grandes améliorations bénéfiques.

Depuis presque 5 ans, nous assistons à la polémique du christianisme en Kabylie. Quel est votre analyse sur ce point ?ll Je vois que la Kabylie est agressée. S’ils veulent parler de la drogue, on se tourne vers la Kabylie, s’ils veulent parler de suicide ou du christianisme, on se braque contre la Kabylie. Je suis contre cette politique. La Kabylie est une région comme toutes les autres. Si je me permets de le dire, je dirais qu’elle est meilleure. Nous avons de la tolérance, de la pureté, de la transparence, contrairement aux autres régions du pays. Bien que je réclame mon algérianneté, je dirais qu’ailleurs on cache des fléaux et des maux. En Kabylie, il y a tellement une transparence, que rien ne se cache. Pour moi, c’est un point fort. Le phénomène du christianisme existe. C’est une réalité qui vise l’Algérie toute entière. Mais beaucoup de gens l’ont amplifiée. Il faut que les gens attribuent à ce phénomène sa juste valeur. Il ne faut pas que les gens attribuent à ce phénomène sa juste valeur. Il ne faut pas le dramatiser ou lui donner une proportion qu’il n’a pas ou le transformer en fonds de commerce, comme le font certains, ou l’utiliser comme une arme afin de salir et de tirer sur la Kabylie. Je suis contre ça. Le christianisme existe. Il est de notre devoir de le prendre à sa juste valeur. Les enquêteurs et les observateurs connaissent bien la réalité de ce phénomène. On a pas le droit de gonfler les chiffres, de falsifier la réalité, dont le but est la provocation et de porter atteinte à la Kabylie en la montrant du doigt. Je trouve ça faux et injuste.

Quel est votre point de vue quant à l’avenir de l’islam en Algérie et en Kabylie particulièrement, après tout ce que nous avons vécu comme douleurs ?ll Malheureusement, il y a eu beaucoup de douleurs et de dérapages au nom de l’islam. Ils parlent au nom de l’islam, mais tout au fond, ils le détruisent. Ils ont donné l’image de violence, du terrorisme. Mais à présent, tel que je vois, si Dieu le veut, l’islam dans notre pays aura plus de force, mais à condition que ça soit un islam tel que voulu par Dieu, non pas tel qu’ils le veulent (les hommes). L’extrémisme détruit, engendre le mal ; il n’est jamais bénéfique. Il laisse des blessures et des séquelles. De nos jours, nos jeunes ont eu une grande prise de conscience. Ils ont une autre vision de l’islam, tel qu’il est. C’est-à-dire tolérant, propre, modéré et pacifique. Je suis très optimiste quant à l’avenir de l’islam.

Et pour conclure…ll A l’Algérie en général et à la Kabylie particulièrement, je souhaite de beaux jours car elles ont subi beaucoup d’injustice. La Kabylie a été victime d’agressions multiples et injustes. J’appelle au savoir, étudier l’islam d’une manière méthodique. Il faut un bon encadrement. Il est du devoir de chacun de nous, qui détient un savoir, de contribuer à faire épanouir les choses sur tous les plans. Je tiens aussi à remercier toute l’équipe de La Dépêche de Kabylie qui s’intéresse de près à tout ce qui se déroule dans notre région. Je vous souhaite beaucoup de réussite et je comme on dit : “Cvaha b’argaz tsirugza” (La beauté de l’homme réside dans ses actes) et la Kabylie, ainsi que toute l’Algérie, a besoin d’hommes.

Entretien réalisé par Mourad Hammami

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