Les portefeuilles des banques face aux aléas de l’entreprise

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En effet, le taux de non-remboursement des crédits a atteint 25 %, situation faisant souvent suite à la banqueroute ayant affecté les entreprises bénéficiaires de crédit. En chiffres absolus, cela correspond à 100 milliards de dinars. Les aléas qui pèsent sur les opérations de financement de l’économie sont, en tout cas, intimement liés à la nature de l’investissement, à la stratégie de développement adoptée par l’entreprise — y compris l’étude du marché, des input et des output — ainsi qu’à l’action managériale mise en branle pour la gestion à court, moyen et long terme. C’est, pour utiliser un terme qu’affectionnent les banquiers, de la solvabilité de l’entreprise qu’il s’agit. Néanmoins, le contenu accordé à ce concept a largement évolué de par le monde. Jadis, la solvabilité était réduite à des cautions précises ou à la mise en gage mobilière ou immobilière pouvant garantir le remboursement du crédit. Aujourd’hui, à l’échelle des personnes morales (sociétés, entreprises et d’autres entités), ce genre de cautionnement épouse de plus en plus le souci de la faisabilité et de la pertinence du projet à financer, d’une part, et le souci de la bonne gestion de l’entreprise qui sollicité un financement. La faiblesse du volume et de la vitesse des investissements en Algérie est illustrée par le taux de bancarisation actuellement constaté dans notre pays. Il est d’un point pour 25 000 habitants, alors que la norme stabilisée au niveau de la plupart des pays est d’un point pour 8 000 habitants. De même, la difficulté de décrocher un crédit est illustrée par le ratio entre le nombre de demandes de crédit exprimées et le nombre de crédits accordés. Ce ratio est de 53 %. Ainsi, près d’une sollicitation de crédit sur deux est refusée.

Cahier de charges plus contraignant

Intervenant sur l’activité bancaire en général et sur son rôle dans la dynamisation de l’économie nationale en particulier, le président de la République dira lors des audiences accordée à ses ministres en 2008 : « Nous devons encourager davantage les investissements productifs nouveaux, non pas ceux spéculatifs, mais ceux qui contribuent à la création de richesses véritables et qui participent à la création d’emplois. Le gouvernement doit donc trouver des solutions à cette question ».

De même, dans le cadre de l’installation de nouvelles banques étrangères en Algérie, le président Bouteflika demande l’établissement d’un nouveau cahier de charges qui contraindrait ces établissements à certaines règles allant dans le sens de l’encouragement à l’investissement ; il s’agit de les « obliger à réserver une partie de leur portefeuille au financement réel de l’investissement et non pas à se limiter à l’accompagnement du commerce extérieur ou à la promotions de crédits à la consommation. Nous sommes pour l’ouverture des banques étrangères et aux banques privées, mais dans le respect des normes universelles. Nous respecterons les normes internationales avec nos partenaires étrangers dans tous les domaines, mais nous attendons aussi de leur part le respect des intérêts de l’Algérie ».

Le malheureux précédent du cas Khalifa-Bank porte ainsi l’Algérie à tirer des leçons fort instructives d’une aventure économique permise par l’ouverture précipitée et maladroite du secteur financier aux investisseurs privés. Avec cette affaire qui tarde à connaître son véritable épilogue, l’Algérie et son projet de réformes économiques auront sans doute perdu en crédibilité et en capital confiance plus que n’auront perdu le Trésor public et les clients de la banque en espèces sonnantes et trébuchantes. Quels que soient les circonstances et les acteurs de ce qui est appelé “la grande escroquerie du siècle”, ses répercussions sur la conduite de la politique économique et financière de notre pays dans les prochaines années seront longuement ressenties. Ses ondes de chocs risqueront de happer les efforts des autorités nationales tendus vers la réhabilitation et le renforcement des instruments de financement de l’économie dont la colonne vertébrale est incontestablement la banque.

Les pouvoirs publics ont procédé, entre 2006 et 2008, à l’assainissement de dossiers de plusieurs autres institutions financières privées qui ont abouti au retrait des agréments qui leur ont été accordés par le Conseil de la Monnaie et du Crédit. Des irrégularités, allant des crédits douteux jusqu’à l’escroquerie en passant par la situation d’insolvabilité, ont été mises au jour. La Khalifa Bank, qui représentait un “empire” auréolé d’une compagnie aérienne et d’une chaîne de télévision du même nom, constitue en la matière un cas extrême qui, indubitablement, a terni l’image que les autorités ont voulu donner des premières actions de libéralisation de l’économie algérienne. Cependant, à y voir de plus près, rien ne disposait l’Algérie — trop longtemps engluée dans une économie administrée et rentière — à une transition en douceur qui installerait par enchantement les vertus d’un libéralisme loyal.

Situation de défiance

Au contraire, les ébauches de l’ouverture économique, ayant succédé à la fameuse ouverture politique qui a failli emporter le pays dans la tourmente d’un pluralisme débridé, ont intensément aiguisé les appétits et allègrement congédié toute moralité. Cela tenait d’un “saut dans le vide” que la culture dominante dans les rouages de l’Etat et dans la société ne pouvait malheureusement ni empêcher ni même amortir.

Les réflexes de gestion nés de cette fâcheuse expérience des banques privées ont installé un climat de défiance qui s’est matérialisé par des réticences légitimes pour tout investissement dans le domaine de la finance. Mais les comportements radicaux ou les verrouillages systématiques ont-ils jamais réglé les problèmes ? D’autant plus que le “procès” des banques publiques- auxquelles est reproché le manque d’efficacité dans le financement de l’investissement- a été fait par l’ensemble des acteurs économiques, y compris le président de la République dans ses différentes interventions. Des institutions internationales ont mis en relief cette aberration qui a fait que, jusqu’à l’année 2008, nos banques publiques étaient noyées, sans jeu de mots, dans les surliquidités (soit 1400 milliards de dinars hors circuit économique). Abderrahmane Benkhalfa vient de donner un chiffre de 50 milliards de dollars de surliquidités en prenant le soin de préciser que ce n’est pas là un capital “dormant”.

Une thèse que des économistes ne cessent de battre en brèche. Les surliquidités dénoteraient ainsi un déficit d’ingénierie financière et exprime le béant fossé qui sépare l’économie réelle des possibilités de financement. Benachenhou, ancien ministre des Finances, et Ahmed Ouyahia, Premier ministre, eurent déjà, à plusieurs reprises, à se plaindre de la présence des surliquidités au niveaux des établissements bancaires.

La piste ouverte par des experts pour rendre plus performant le système bancaire algérien public est que, dans l’avenir immédiat, seul un partenariat avec l’étranger ou une prise de participation d’organismes privés pourraient peut-être “inoculer” une nouvelle culture managériale aux établissement financiers publics pour sortir de ce dommageable statisme qui fait de nos banques de simples caisses de dépôt ou des guichets pour les salaires. Les pouvoirs publics- malgré l’échec de l’opération portant sur le CPA- l’ont apparemment compris puisqu’ils sont en train de préparer d’autres établissements financiers à la prise de participation. Mais l’épisode de la chute de l’empire Khalifa a sans aucun doute contribué à retarder le processus de privatisation des banques et d’agréments d’autres banques ou établissements financiers privés.

Rapports banques-entreprises : vers une nouvelle vision

Le président du Forum des Chefs d’Entreprises (FCE) et vice-président de la Chambre de commerce algéro-suisse, Reda Hamiani, M. Rida Hamiani, a appelé les banques à continuer à accompagner les petites et moyennes entreprises dans le financement de leurs projets. « Il est vital que le secteur bancaire puisse se mettre en situation de pouvoir accompagner les entreprises pour l’émergence de grandes entreprises championnes  » en Algérie, a souligné M. Hamiani, lors de son intervention au 5e Forum international de la finance tenu l’année dernière à Alger.

Donnant, en 2008, son appréciation sur la conjoncture économique de notre pays, M. Hamiani, dira qu’elle est caractérisée par de grandes disponibilités financières générés par la rente pétrolière, mais qu’elle souffre du déficit des acteurs sur le terrain. « Les entreprises publiques souffrent de difficultés structurelles, tandis que le secteur privé demeure encore faible », constate-t-il.

Il expliquera que le secteur économique public subit des restructurations perpétuelles qui l’ont affaibli et l’ont conduit à voir ses parts de marcher reculer d’une façon constante. Le secteur privé, quant à lui, patine toujours du fait que sa composante n’a pas dépassé le stade d’entreprise familiale. « Elle est de faible envergure et enfermée sur elle-même. Il faudra parvenir à des entreprises privées capables de s’autofinancer à hauteur de 30% au moins et s’acheminer vers la séparation entre les notions de propriété et de gestion. Il faut se départir de l’idée que celui qui détient les capitaux doit nécessairement gérer. 90% des entreprises privées ont une gestion familiale qui n’intègre jamais le budget de Recherche et Développement (R&D) et qui ne montre aucune volonté d’ouverture du capital. Leur comptabilité manque de transparence, ce qui explique leur non admission en bourse. Le secteur privé a recours aussi au marché parallèle puisqu’une grande partie des ressources financières ne transitent pas par les banques », ajoute M.Hamiani.

Même si le secteur privé contribue à la création de richesses à hauteur de 80%, il n’a bénéficié que de 53% des montants des crédits destinés à l’économie, selon le président du FCE. Le reste, c’est-à-dire 47%, sont destinés aux entreprises publiques. En tout état de cause, le financement des investissements demeure la pièce maîtresse de toute relance économique. Les techniques et l’ingénierie modernes permettent de procéder au montage financier de façon à prendre en charge l’ensemble des volets afférents au futur investissement : concession de terrain, payement des servitudes (eau, gaz, électricité…), terrassements et autres travaux préparatoires, fournitures d’équipements, frais bancaires, agios, frais d’installation (y compris pour la rédaction des statuts), calcul du seuil de rentabilité, calendrier de remboursement du crédit, assurance-crédit, assurances domestiques et technologiques,…Des bureaux d’études sont installés en Algérie depuis plus d’une dizaine d’années (comprenant des comptables, experts comptables, économistes…) et font différentes prestations dans ce sens aux entreprises intéressées. Cependant, la relation entre l’entrepreneur et la banque n’a pas encore atteint le degré de perfection qui permettrait une fluidité des procédure et une politique basée sur le principe “gagnant-gagnant”. La compétence technique, en dehors du volet financier, n’a pas encore acquis ses lettres de noblesse au sein des établissements financiers algériens. La faisabilité et la chance de réussite d’un projet — critères essentiels devant être à l’origine de la mobilisation du crédit — ne sont pas toujours appréciés d’une façon juste et pratique par la banque — quitte à prendre des risques avec l’investisseur — du fait de son déficit en ressources humaines spécialisées dans des domaines techniques précis. Au bout du compte, l’on revient souvent au système hypothécaire traditionnel par lequel l’entrepreneur met en gage un bien meuble ou immeuble au profit de la banque créditrice.

Amar Naït Messaoud

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