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Un petit coin de paradis en enfer

Ighil Ali est une petite localité dépendante de la commune d’El-Adjiba située à une quarantaine de kilomètres à l’Est du chef-lieu de wilaya. Une charmante petite bourgade dont le nom n’est pas sans rappeler la coquette Ighil Ali qui se trouve dans la wilaya de Bgayet. Mis à part cette même appellation, la bourgade d’Ighil Ali, distante de quatre kilomètres de La Crête – Rouge, a absolument tout à envier en matière de viabilisation, à son patronyme de Bgayet, berceau de Jean El Mouhouv Amrouche, Marguerite Taos Amrouche, Malek Ouari pour ne citer que ses éminentes personnalités.. En quittant la RN 05, à la sortie de la ville de Bechloul, une bifurcation via le CW9 relie directement à La Crête – Rouge jusqu’à la première intersection menant vers la station climatique de Tikjda.

Une station climatique qui ne se trouve qu’à une poignée de kilomètres d’Ighil Ali. Mais là encore l’accès y est pénible et pour cause la piste en terre battue qui mène sur les hauteurs d’Asswel est dans un état de dégradation très avancée. La trentaine de foyers éparpillés qui compose Ighil Ali, bénéficient d’un panorama des plus féeriques entre le lac artificiel de Tilesdit et la forêt avoisinante de Tikjda. Un paysage d’une rare beauté que les habitants de cette contrée n’apprécient même plus.

Lors de notre passage sur les lieux, et en empruntant une piste sinueuse sur près de deux kilomètres, nous ne pouvons nous empêcher d’avoir une pensée émue pour les braves écoliers que nous rencontrons. Emmitouflés dans des écharpes et des bonnets, les jeunes potaches âgés d’à peine une dizaine d’années font peine à voir.

Dire qu’ils usent leurs souliers quotidiennement quatre fois par jour pour rejoindre leurs domiciles sur cette pente abrupte donne à réfléchir. Arrivé sur les hauteurs de ce hameau, un immense château d’eau s’érige sur notre droite. Sur place nous décidons de nous arrêter quelques instants pour admirer le paysage et éventuellement discuter avec les habitants de cette bourgade. La vue sur le barrage de Tilsedit qui s’étend sur une bonne dizaine de kilomètres est imprenable.

En apercevant notre véhicule stationné sur cette piste, un quinquagénaire s’approche de nous pour nous demander la raison de notre présence. Après nous être présenté, ce dernier, visiblement enchanté de notre visite se propose de nous faire découvrir sa région. Mohamed, notre guide improvisé nous brossera un tableau peu reluisant de son quotidien. ‘’ Nous n’avons que nos oliviers pour nous faire vivre, et à l’approche de la saison oléicole, nous sommes confrontés à l’impraticabilité de cette piste qui devient dés les premières pluies un véritable bourbier, ce qui nous empêchent d’acheminer notre récolte vers les huileries. ‘’ En nous montrant le cimetière du village, sur les hauteurs de la bourgade, Mohamed nous dira qu’il est ‘’ déconseillé de mourir en hiver.’’ ‘’ Lorsque nous avons un enterrement en hiver, les véhicules les plus robustes ne peuvent emprunter cette piste, les défunts sont alors transportés sur un brancard pour reposer dans leur dernière demeure.’’

Même la nature du sol composée de terre glaise n’est pas pour aider les habitants de cette région, la glaise devient au contact de l’eau une véritable patinoire et même à pied, le parcours est extrêmement difficile. Interrogé sur le mode de vie des habitants d’Ighil Ali, Mohamed affirme qu’il n’est pas bon de naître dans cette région. ‘’Auparavant, nous étions nombreux ici, mais durant les années 1990, la plupart des habitants ont fuis le village.’’

Pensant que le terrorisme était à l’origine de cet exode, notre interlocuteur nous reprendra : “Non, ce n’est pas à cause du terrorisme que les villageois sont partis d’ici, c’est la misère quotidienne qui incite à l’exode….’’ Selon notre interlocuteur, tout manque dans la région et ces multiples carences sont à l’origine des départs massifs des habitants de cette contrée. ‘’ La localité voisine de Thamra, à 4 kilomètres d’ici est reliée au gaz de ville, nous pour chauffer nos habitations durant l’hiver, nous devons porter des bonbonnes de gaz sur notre dos jusqu’au dépôt de butane le plus proche, car aucun véhicule n’accepterait d’emprunter cette piste, même les propriétaires de tracteurs agricoles refusent de s’aventurer ici…’’ Ainsi et à la lumière de cette explication, on comprend la déforestation dont est victime le massif forestier se trouvant à proximité de ce hameau.

La coupe illicite de bois est devenu monnaie courante pour ces villageois qui attendent avec impatience le gaz naturel dans leurs foyers.

Mais le gaz n’est pas la seule commodité qui se fait désirer, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’eau potable également fait cruellement défaut malgré la proximité du barrage de Tilesdit. ‘’ Nous avons de l’eau deux à trois heures par jour en période hivernale, par contre, l’été il faut attendre deux ou trois jours pour voir le robinet pleurer quelques larmes”, nous dira Mohamed qui s’étonne que les wilayas limitrophes bénéficient du réseau AEP à partir du barrage de Tilesdit, tandis que sa localité demeure alimentée à partir d’un forage dont les pompes et la tuyauterie sont sujets à des caprices permanents. Pour illustrer le calvaire enduré, Mohamed nous raconte son quotidien : “Le matin, dés les premiers rayons du soleil, je me rends à La Crête – Rouge pour aller chercher du pain et du lait. Même, si je me lève de bonne heure, je ne peux pas sortir car l’éclairage public fait défaut sur cette piste.

D’ailleurs, il n’est pas rare de rencontrer des animaux sauvages où des chiens errants qui n’hésiteraient pas à vous attaquer ou à vous mordre si vous vous trouvez sur leur chemin. Une fois par semaine je transporte sur mon dos un sac de semoule cela avant d’aller au travail.’’ Un bien triste quotidien qui n’est pas fait pour encourager le plus téméraire à sortir du lit. Pourtant, en interrogeant notre guide sur ce qui le pousse à rester dans cette contrée hostile, ce dernier nous avouera qu’il demeure foncièrement attaché à ses terres. ‘’ Ici, lors des campagnes électorales, le monde afflue, les candidats aux élections nous promettent monts et merveilles, mais après plus personne pour se soucier de notre quotidien. Il était question à une époque de réaliser une cité sur les hauteurs de cette bourgade, mais depuis le temps, le projet a du tomber à l’eau…D’ailleurs tant que cette piste reste dans cet état, peu de chance pour réaliser quoi que ce soit.’’ A propos de cette piste nous demandons à un jeune de la région si les villageois se sont organisés pour rendre compte aux autorités locales de la situation, ce dernier nous avouera que le chef de daïra de Bechloul, longtemps induit en erreur sur les rudes conditions de vie des habitants de cette localité, aurait donné des garanties solides pour prendre en charge la réfection de cette piste et améliorer le quotidien des citoyens. Mais là encore, ne s’agit il pas uniquement de promesses qui resteront longtemps en suspens ?

C’est là l’avis d’un habitant de Ighil Ali qui nous raconte qu’il y a de cela quelques temps, une septuagénaire gravement malade a dû être évacuée d’urgence, portée sur une chaise, sur plus de deux kilomètres afin de rejoindre le véhicule stationné à proximité du carré des martyrs de la Crête – Rouge. ‘’Un cas de figure qui ne donne pas envie de tomber malade’’, conclut notre interlocuteur qui affirme que même les véhicules de la protection civile sont dans l’incapacité d’emprunter cette piste en hiver. Un groupe de jeunes enfants revenant de l’école s’arrêtent pour nous saluer. En leur demandant si la journée s’était bien passée, ils répondront unanimement par l’affirmative. Pourtant leurs parents ont un tout autre avis sur la chose. ‘’ Les enfants scolarisés au CEM de Thamra où ceux de l’école primaire de la Crête – Rouge usent trois fois plus de paires de souliers que les autres enfants de la commune. Et nous n’avons hélas, pas les moyens de subvenir à tous ces frais qui nous sont injustement imposés. Même le colonialisme ne nous a pas méprisé de la sorte’’, déplore Mohamed. Avant de prendre congé de notre guide nous l’interrogeons sur la multitude de maisons encore au stade de finition qui semble avoir été abandonné par leurs propriétaires. “Il s’agit des bénéficiaires de logements ruraux, l’été ils acheminent les matériaux de construction à dos de bête de somme, mais l’hiver, les travaux sont à l’arrêt à cause de cette satané piste”, dira-t-il

Il est pitoyable de constater qu’en 2010, les habitants d’Ighil Ali sont à la merci d’une simple piste qui ne demande qu’à être aménagée. Un aménagement qui, une fois réalisé, pourra permettre aux villageois qui ont quitté leur bourgade de revenir investir dans ce petit paradis qui ne demande qu’à être exploité au vu de ses multiples potentialités agro pastorales et touristiques.

Hafidh B.

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