“Tinariwen, la voix d’un peuple”

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“C’est un des privilèges prodigieux de l’art, que l’horrible artistiquement exprimé, devienne beauté et que la douleur, rythmée remplisse l’esprit d’une joie calme».

Charles Baudelaire

Décidément la musique blues qui était la façon de communiquer, de pleurer et de chanter des Africains, arrachés à leur terre natale, continue aujourd’hui à jouer le même rôle dans un autre registre. C’est la mélodie qui coule comme une source intarissable où s’abreuvent le nomade du désert pour que sa voix s’élève ; cri de révolte de la terre qui gronde de colère sous ses pieds ou mélodie douce-amère pour appeler à la mélodie de la paix, celle où l’opprimée retrouve ses droits et sa dignité.Telle est la mission de «Tinariwen», un groupe de musiciens touareg, qui a choisi la guitare pour porter loin la voix de son peuple.

Ils chantent le blues qui, pour eux, évoque l’errance, la répression mais aussi la culture tamasheq qu’ils portent dans leur cœur et sur les fils de l’imzad ou au bout d’une guitare électrique.

«Nos chansons sont le fruit d’une détresse, d’une espérance que dépasse celui qui l’exprime pour mieux en restituer une valeur propre à l’ensemble de la communauté. Chacune témoigne d’une vie singulière et commune à tous» répond Abdellah Ag Elhouceini, le chanteur du groupe, à un journaliste lors du Festival «escales», en 2004 à Saint-Nazaire où ils se sont produit régulièrement. Tinariwen n’est pas seulement le 1er groupe de blues touareg mais il est aussi le plus connu.

L’arme à la main, la guitare en bandoulière

Le groupe existe depuis 1970 mais c’est en 1982 lors d’un festival à Alger qu’il a commencé à se faire connaître grâce au chanteur Ibrahim Ag Al Habib Al Hassan, Ag Touhamit feu Intayaden. Les membres du groupe ont fui l’Adrar des Ifoghas au Mali à cause de la guerre menée contre eux par l’état malien. Ils se sont installés dans un campement de réfugiés en Algérie. Leur musique est un savant mélange d’airs anciens et modernes où se côtoient, le blues,le rock, le reggae, le funk qui s’appuient sur des instruments traditionnels comme le tihardant ou l’imzad et les guitares acoustiques et électriques. Les voix démarrent sur un chant mené par un compositeur suivi de claps des mains et de la derbouka. Les thèmes composés racontent le destin de ces musiciens hors du commun et la souffrance du peuple touareg dénié de ses droits. La légende du groupe s’est forgée avec Keddu ag Hossad partant à l’assaut du poste militaire malien de Ménaka, une kalachnikov à la main, une guitare électrique dans le dos. Si aujourd’hui les musiciens ont déposé les armes, c’est en mêlant mélodies et chants touaregs avec divers instruments, qu’ils produisent de véritables airs révolutionnaires. Dans son introduction publiée dans le livret qui accompagne le CD, Andy Morgan écrit :

«Les jeunes touaregs qui ont fui la misère de leur pays pour trouver refuge ailleurs, choisirent la guitare électrique parce que sa puissance sonore portait leur message beaucoup plus loin. Tinariwen de Kidal furent les premiers instigateurs de cette révolution de la guitare. 20 ans après leur message continue de s’amplifier, on l’entend de plus en plus loin de leur désert natal».

Pour la paix et la justice

Ibrahim Ag Elhabib dit Abreytone,membre fondateur du groupe, Abdellah Elhouceini qui chante l’apaisement, Alassane Touhami dit Abin-Abin,la regrettée Wounnou Wallet Oumar et sa sœur Mina Wallet Touhami ont conjugué leurs talents et leurs amours pour leur peuple pour interpréter : «Chatma» (mes sœurs), un chant qui s’adresse aux femmes comme un appel aux hommes libres pour qu’ils cassent les chaînes de la répression. «Amoussakul n tenéré» (le voyageur du désert) évoque la solitude de l’habitant du désert. «Arawan», sur un rythme de rap, exprime la souffrance des hommes «Oualahila ar tesniwan», c’est un authentique rock n roll qui appelle à la révolte et à la prise de conscience du peuple touareg. L’album «aman iman» (l’eau c’est la vie) sorti en 2007 renferme des chants d’errance, d’amour d’espérance de nostalgie (asuf), c’est aussi un hommage à la langue, à l’identité tamasheq, à Mano Dayak, le leader d’opinion touareg nigérien décédé en 1995 et aussi aux victimes de la révolte de Kel tamasheq de l’Adrar d’Ifoghas, en 1963. Révolte qui a fini pour les touaregs dans un bain de sang. Ayant une démarche militante, Tinariwen se fait accompagner dans ses déplacements par Issa Dicko qui donne des conférences sur la culture Touareg et particulièrement le tifinagh.

Aujourd’hui, le groupe est très populaire en Europe, il s’est produit à l’Olympia et à plusieurs reprises en Belgique, en Amérique du Nord, à Londres. Il est passé dans des festivals prestigieux et a partagé la scène avec de grandes stars. Là où ils chantent, ils exposent leur culture. Après la sortie de «amasakul n Ténéré», le groupe est salué par les critiques et récompensé de plusieurs prix. Tinariwen a su populariser son combat dans le monde. Ses CD sont très bien vendus.Des stars internationales de rock et de blues s’inspirent de leur musique. Robert Plant, membre du groupe anglais «led zeppelin», trouve dans Tinariwen l’essence même du blues. Jimmy Indrix se sent tout naturellement dans son élément en écoutant Tinariwen.

«Imdiwan» est le dernier album de Tinariwen, c’est une révélation pour ceux qui ne connaissent pas encore le génie touareg. Le groupe se produira à Montréal le 5 mars 2010. Après l’exil, la résistance et l’errance, Tinariwen est devenu le symbole de courage et d’espoir au pays touareg.

En 1992, les membres du groupe participent aux négociations de la paix au Mali. Depuis, ils sont appelés régulièrement comme médiateurs dans les conflits qui opposent les tribus touaregs et le gouvernement malien ou négirien.

L’Algérie de son côté se bat pour inscrire l’imzad au patrimoine universel de l’UNESCO. Des militants culturels et universitaires se sont réunis en janvier à Tamanrasset pour poser la première pierre au pied de l’Askrem pour la construction d’un centre « dar imzad ». Mais à propos, pourquoi pas axxam l’imzad ?

Hadjira Oubachir

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