Parfois, il y a des vies qui relèvent d’authentiques tragédies desquelles éclosent d’atroces douleurs et naissent des talents insoupçonnés. Ainsi, même malmené durement par un cruel destin, Djamel Iggui avait su tourner le mal en dérision pour en puiser une arme de vie, à force de la patience d’un marathonien, de verbes riches et d’inspiration fertile !
Djamel Iggui était né en 1962 à Tazmalt et était handicapé physique de naissance. N’empêche, son amour pour la vie et sa force de caractère se conjuguèrent comme deux solides béquilles et l’aidèrent à aller loin devant.
Maîtrisant quatre langues : le tamazight, l’arabe, le français et l’anglais dont il jonglait avec l’aisance d’un funambule. Et il choisit d’enseigner dans la langue de Shakespeare pendant de longues années. Cependant, en militant farouche du Mouvement Culturel berbère, il avait comme suprême devise : « L’écriture en langue maternelle est un combat suprême »
Bridé de toute activité physique, il donna ainsi libre cours à sa plume pour capter et immortaliser instantanément l’indicible. Ses petits secrets et ses douleurs inouïes sont transformés par une alchimie secrète en des champs de poèmes d’une sensiblerie et d’une mélancolie qui coupaient au couteau et dont la sincérité n’avait d’égale que la profondeur des maux qui rongeaient son corps et les tourments qui étourdissaient son pays.
Djamel Iggui est mort en 2008, emporté par un cancer d’intestins, laissant derrière lui une veuve, deux filles et un îlot de poèmes que les éditions Tira de Bgayet ont eu l’idée de réunir dans un beau recueil de 83 pages portant le titre Ghas (malgré tout !), qui est en fait un florilège de 34 poèmes qui s’ouvre avec une touchante complainte : Anxuxel.
Qqimegh gher terga n zzman
Ttrajugh mi ad d-tawed tiqit
Nwigh ad iyi-d-teglu s laman
D kra n tmiqwa n talwit
Tewwedh-d tegla-d s usennan
Terna-d kan yir ddunit
Tudert-iw akk d inezman
Yeghli-yi-d yizi gher zzit
Les autres poèmes constituent une suite de répliques redondantes de cris de coeur, de messages d’espoir et de pensées pertinentes tels ; Yir tagamat, Urghu n tefsut, Mazal n nnettamen-iten, Tajmilt, Anazur, Aâqqa n uzemmur, Tilelli et autres Ini-as i Lwennas…
L’homme meurt. Et son œuvre demeure.
Désormais, Djamel Iggui repose dans un cimetière de Tazmalt qui fait face au soleil qu’il aimait tant. Sur sa tombe bourgeonnent des fleurs de différentes senteurs dont chaque pétale semble porter la voix impérissable d’une âme attachée à la Kabylie, à l’Algérie, à la vie tout court !
Tarik Djerroud
