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Quelle conscience citoyenne face aux questions environnementales ?

n Par Amar Naït Messaoud

En tout cas, les caprices du climat, greffés aux autres travers vécus dans notre cadre vie domestique, font entrevoir et profiler des dangers sur notre environnement dont l’humanité commence à peine à prendre conscience d’une manière plus ou moins engagée.

Car, sur l’ensemble des défis qui se posent à l’humanité en ce début du troisième millénaire, celui de l’environnement semble être le plus complexe, le plus coûteux et le moins accessible à une réactivité immédiate des différents acteurs de la société : pouvoirs publics, agents économiques, hommes de sciences, monde associatif…, et ce, en raison de la relative lenteur d’apparition des dérèglements des divers milieux comparativement aux crises financières et économiques pour lesquelles sont convoqués sur-le-champ séminaires, congrès et autres journées d’étude. Cependant, depuis la conférence de Rio de juin 1992, une prise de conscience graduelle mais profonde s’est enclenchée à l’échelle de la planète. Les médias, les scientifiques, les mouvements politiques classés ‘’écolo’’ et les associations ont contribué à accélérer cette prise de conscience à différents niveaux de la société. Il faut dire aussi que les bouleversements que la nature a connus au cours des vingt dernières années n’ont pas laissé indifférente l’opinion. Des dizaines de catastrophes, particulièrement climatiques, sont enregistrées chaque année dans le monde, phénomènes qui ont causé des milliers de morts et des destructions des habitations et infrastructures.

La conférence sur les changements climatiques qui a eu lieu en décembre 2009 à Copenhague prolonge les soucis et les préoccupations de l’Humanité exposés à Rio en 1992 et les met face aux nouveaux défis liés intimement à la pollution atmosphérique.. Déjà s’annoncent les grands bouleversements qui ont pour noms : sécheresse, orages exceptionnels, typhons, inondations. L’humanité se trouve menacée non seulement dans sa sécurité physique (éboulements, glissements de terrain, inondations des habitations,…), mais aussi dans sa sécurité alimentaire. Les bouleversements de l’échelle des températures et du calendrier des précipitations dans certaines régions du globe ont entraîné des dérèglements de cycles végétatifs de certaines plantes cultivées. Des retards de floraison ou, au contraire, la précocité de mûrissement de certains fruits ont été constatés.

Défis majeurs

Pour apporter une réponse à de telles menaces, les populations du globe n’ont de solution que celle que pourra dégager une concertation à l’échelle planétaire, à commencer par la réduction des émanations de gaz à effet de serre. Vu les enjeux industriels qui animent les relations entre les pays développés responsables, en grande partie, de telles émanations, les horizons tant espérés de la conférence de Copenhague sont demeurés flous et les objectifs tant espérés par les peuples de la planète risquent de capoter ou, du moins, d’être gravement retardés.

L’année 2009 est aussi placée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sous la devise : «Notre planète a besoin de vous. Unissons-nous contre le changement climatique». De même, le film documentaire de Yann Arthus-Bertrand intitulé “Home” par lequel le réalisateur a voulu faire prendre conscience de l’urgence dans laquelle notre planète se trouve aujourd’hui en matière de prise en charge des problèmes liés à l’environnement a été diffusé en juin dernier à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement. Le film, qui aura pris dix-huit mois de tournage et qui a requis la traversée de cinquante-quatre pays, a été diffusé en même temps dans une centaine de pays et sur différents type de médias (cinéma, télévision, vidéo, Internet…).

L’Algérie n’a certes pas contribué à la pollution atmosphérique avec le même niveau de responsabilité que les pays industriels. L’ensemble du continent noir qui, d’après les spécialistes, ne contribuerait à la pollution atmosphérique d’origine industrielle qu’à hauteur de 3 ou 4 %, sinon moins, cueille, en revanche, une grande partie de la “colère de la nature” issue des phénomènes de pollution : sécheresse sur des franges importantes du territoire du continent, inondations dans des contrées réputées jusque-là par l’aspect paisible de leurs précipitations, etc. C’est ce qui est ressorti de la Conférence africaine des ministres de l’Environnement sur les changements climatiques tenue à Alger en 2008.

Outre les famines frappant cycliquement ou durablement les populations de la région et les divers dommages subis par les infrastructures (routières, ferroviaires) et les constructions suite aux inondations, les changements qui affectent l’atmosphère du fait d’une politique industrielle inconsidérée est à l’origine, sur le continent africain, des “migrations climatiques”, un nouveau concept qui explique et affine une grande partie du phénomène de l’immigration clandestine dans le sens Afrique-Europe. Ce drame qui connaît un destin particulièrement favorable depuis le début du nouveau siècle est en train de faire l’objet d’études assez poussées de la part d’experts et bureaux d’études spécialisés en sociologie, agronomie, économie, climatologie et géographie. Après l’historique agression coloniale dont les débuts remontent au 16e siècle, le continent africain est sans doute en train de vivre son second plus grand drame depuis qu’il est un continent habité.

Dégradation des milieux naturels

«Les espaces régionaux conviennent particulièrement à la négociation des mesures favorables au développement durable et à la lutte contre les changements climatiques», dira le président Abdelaziz Bouteflika dans le message adressé à la Conférence d’Alger sur les changements climatiques tenue l’année dernière.

Toutes les journées célébrant l’environnement, les zones humides, l’arbre, l’eau…, sont bien prises en charge en Algérie sur les plans protocolaire et ‘’festif’’. Les pouvoirs publics, les différentes institutions scientifiques et le monde associatif donnent l’impression de se réveiller depuis quelques années à la donne environnementale. Cependant, la jonction avec l’ensemble des acteurs n’a pas encore atteint sa pleine maturité.

En tout cas, l’hypothèque environnementale ne se limite pas au thème des changements climatiques. Même si la conférence de Copenhague a mobilisé les décideurs du monde, les hommes de science et la société civile, cela ne signifie pas que le communauté internationale s’intéresse moins aux divers facteurs de dégradation des milieux naturels, aux diagnostics faits par les experts et aux différentes formes de solutions qu’on peut apporter aux problèmes de l’environnement qui rendent de plus en plus aléatoire une vie saine sur la planète. Le concept de développement durable porte justement en son sein cette ambition de juguler, sinon de freiner, l’agressions contre les ressources naturelles et les déséquilibres écologiques.

Donc, hormis le sujet majeur des changements climatiques dont on ne peut quantifier tout de suite ni l’ampleur ni les retombées immédiates, l’Algérie s’expose chaque jour à l’insalubrité et aux phénomènes issus des conséquences d’atteinte à l’environnement dans son expression la plus ‘’domestique’’, c’est-à-dire loin des grandes industries polluantes. Les différentes agressions contre l’environnement et au cadre de vie des Algériens ne relèvent plus du mystère. Elles sont observables aussi bien dans des quartiers urbains résidentiels, dans des centres limitrophes des zones industrielles et même dans les espaces de l’arrière-pays considéré naguère comme le dernier bastion de la pureté de l’eau, de l’air et des paysages. Cet espace immaculé a vécu la chute aux enfers au moment où les valeurs morales et civiques et la discipline générale subissaient une nette inflexion.

L’Algérie, instruite par une série de calamités liées à sa géographie physique et à la gestion approximative de son économie, ne peut pas se permettre de continuer à gérer anarchiquement et dans la précipitation les éléments de son économie et de son environnement. Depuis quelques années, l’installation d’unités industrielles, d’ateliers, de certaines infrastructures et équipements publics sont devenus tributaires des études d’impact sur l’environnement comme cela se fait à travers tous les pays du monde. En outre, il est fait obligation aux industriels, aux agriculteurs et aux particuliers exerçant certaines activités spécifiques de contribuer à la protection de l’environnement par différentes mesures contenues dans les cahiers de charges.

Cependant, entre l’idéal des textes normatifs et la réalité du terrain il y a comme un hiatus, voire un fossé béant qui n’est pas près d’être comblé.

L’exemple des dossiers des cimenterie semble être l’exemple d’un fourvoiement technique et politique de nos institutions chargées de la protection de l’environnement. Devant la nécessité impérative de rendre disponible le ciment, précieux matériau de construction dont se servent les différents programmes de construction de logement, il n’est pas sûr que les mesures coercitives soient les mieux indiquées pour arrêter le dégagement de poussières. Des pétitionnaires de Meftah firent observer il y a deux ans que les électrofiltres ne jouent plus leur rôle et que cent-cinquante mille personnes seraient touchées, à un degré ou un autre, par les pathologies générées par cette pollution. En outre, les explosifs utilisés par cette même unité de production de ciment seraient à l’origine de plusieurs fissurations de maisons. Il était demandé dans la pétition signée par les citoyens de la ville à ce que des experts en santé publique et en environnement fassent le déplacement sur le site pour un diagnostic complet et objectif. Le diagnostic est sensiblement le même pour la plupart des cimenteries du pays.

Une culture environnementale à inventer

Les pouvoirs publics, et même le monde universitaire, ont tardé à faire valoir les idées et les principes de la protection de l’environnement lorsque l’Algérie a initié les grands programmes de développement au cours des années soixante-dix du siècle dernier. Le pays a subi de profonds changements par rapport à la période coloniale : nouvelles infrastructures, urbanisation effrénée,…Contrairement aux pays industrialisés, les critères environnementaux ne sont pris en charge qu’au cours de ces dernières années. Et encore, cela s’est fait généralement suite aux conditionnalités accompagnant certains programmes de développement financés par des institutions étrangères (PNUD, BIRD, FAO). Mieux vaut tard que jamais, ces tests commencent à donner leurs fruits en instaurant une certaine pédagogie dans le montage des projets, y compris ceux managés par des entreprises privées. Il devient de plus en plus impératif de faire accompagner n’importe quelle activité économique de ses variables environnementales dans l’objectif d’atténuer les effets ‘’secondaires’’ susceptibles d’être induits par les programmes de développement. En tout cas, pour la majorité des bailleurs de fonds, la sensibilité à l’aspect écologique du développement fait désormais partie du coût des projets qu’il importe de porter sur le tableau des devis en tant que rubrique générant une charge vénale incompressible.

En dehors des écrits de la presse et des protestations des populations touchées par les phénomènes de dérèglement de la nature et de dégradation du cadre de vie, peu de recherches et d’études appropriées ont été consacrées à ces situations qui, par leur caractère délétère et inesthétique, remettent en cause l’équilibre général de l’environnement et du cadre de vie et rendent illusoire la politique du développement durable. Des cas d’éboulement de terrains réputés solides et bien ancrés, des cas de maladies infectieuses prenant parfois l’allure d’épidémies mortelles ou de maladies allergiques touchant enfants et adultes. On peut pousser les interrogations pour s’enquérir des raisons de la diminution des capacités de stockage de nos barrages et du retour de certaines pathologies, telles que la gale, la peste bubonique ou la tuberculose que seule la mémoire populaire a pu retenir des années noires de la misère et de la colonisation. Lorsqu’on examine de plus près le cadre de vie dans lequel évoluent actuellement l’ensemble des habitants du pays, cette descente aux enfers sur le plan des pathologies et du mal-être trouve une grande partie de ses explications dans la donne environnementale. Ainsi, et rien qu’en faisant un tour dans les principaux villages de Kabylie par exemple, le hideux spectacle des décharges sauvages offense les yeux et la conscience des visiteurs les plus indulgents. Aussi bien à Tizi Ouzou, à Bouira qu’à Béjaïa, les monticules d’ordures ménagères offrent un décor peu ragoûtant à proximité de villas, bâtiments ou autres lieux plus sensibles.

Quel touriste étranger, quel citoyen sensé et quel gestionnaire conscient de ses responsabilités pourront soutenir la vue de ces décharges sauvages, monticules laids et putrides, qui jonchent la belle terre de Kabylie ? Le dépotoir de Oued Fali à la sortie de Tizi Ouzou, la décharge de la RN 26 à la sortie de Sidi Aïch, le pic fumant de la décharge sauvage d’Aghbalou en plein Parc national du Djurdjura, les deux grands réceptacles d’ordures de Aïn El Hammam, tous ces lieux méphitiques sont les cloaques d’une gestion qu’il importe de revoir rapidement de fond en comble.

L’habitude même a été prise de procéder, à chaque montée en hauteur de la décharge, à l’incinération des déchets et ordures, y compris les plus toxiques et les plus dangereux comme les matières plastiques et les piles ou batteries. Les services communaux n’ont pas encore mis en place un système de tri lors du ramassage des ordures par nature du matériau constitutif (fer, bois, papier, verre, plastique, …). Quant à projeter une véritable industrie du recyclage, tel n’est pas encore le point à l’ordre du jour dans ce domaine même si des velléités isolées ont pu initier des projets fort modestes.

Effets désastreux de la dénudation des sols

Pour diverses causes liées à l’activité anthropique (incendies de forêts, pâturages excessifs, défrichements illicites, labours sur les terres alfatières,…), le couvert végétal s’est réduit en peau de chagrin dans notre pays. Les effets du déboisement présentent des signes qui n’ont jamais été aussi visibles que pendant cette première décennie du 21e siècle. La presse a rapporté de tous les coins du pays des inondations et des éboulements qui ont touché les villes et les routes. La RN 5, au niveau des gorges de Lakhdaria, a été obstruée à plusieurs reprises au cours de ces dernières années par des chutes de gros blocs déboulant à toute vitesse sur un terrain qui a perdu son ciment naturel, la végétation. Il en est de même de la RN 1 (Chiffa- Médéa) dans un espace faisant pourtant partie du Parc national de Chréa. Ce dernier a été menacé dans son existence même par les incendies, au même titre que la Parc du Djurdjura, durant l’été 2009.

Ayant perdu son pouvoir régulateur du régime des eaux, le sol voit, du même coup, ses capacités de filtration réduites à néant, ce qui aboutit à une torrentialité accrue de l’écoulement des eaux créant des inondations au niveau des villes et des villages. Ce dernier phénomène est, bien sûr, aggravé par les constructions illicites sur les zones inondables des berges. Le même phénomène est à l’origine de l’envasement des barrages, ce qui, à la longue, réduira fortement leur capacité de rétention comme c’est la cas pour le barrage du Ksob, touchant les wilayas de Bordj Bou Arréridj et M’sila. A ce propos, on ne peut que se réjouir de l’esprit de prospective et de l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) qui participe désormais aux études tendant à mettre en œuvre un plan directeur de protection des bassins versants des nouveaux barrages construits.

Si le gaz butane et le gaz de ville suppléent à la disparition du bois, les autres vertus et bienfaits de la forêt ne sont pas vulgarisés dans nos écoles. Lorsque les programmes scolaires et les autres moyens de sensibilisation ne sont pas mis à contribution pour faire connaître le rôle du tissu forestier dans la protection des sols, la production d’oxygène, l’absorption de l’oxyde de carbone et des poussières, la production de plantes médicinales et de liège ; dans l’offre de pâturages et d’espaces de récréation et de loisirs,…etc., on ne peut pas sommer le citoyen d’avoir la conscience écologique par une quelconque méthode coercitive.

Quelle stratégie ?

Notre pays a élaboré des dizaines de textes législatifs et a promulgué maints décrets sur les différents aspects liés à la protection de l’environnement (régime général des forêts, code des eaux, protection des zones humides, code de la chasse, promotion des zones de montagne, lois de l’urbanisme, loi sur les espaces verts,…). De même, l’Algérie a signé toutes les conventions internationales y afférentes. Mais, apparemment, il y a loin de la coupe aux lèvres. Même s’il y a lieu de prendre acte de certaines initiatives- certes très cloisonnées dans leurs secteurs respectifs-, force est de constater que le meilleur des investissements n’est visiblement pas encore à l’œuvre : la formation du citoyen par l’école et par une culture environnementale conséquente à tous les niveaux. La mentalité rentière a pu inculquer l’idée du non épuisement des ressources et de la vanité de défendre des causes- comme la cause écologique- qui s’apparenteraient à une ‘’coquetterie intellectuelle’’. Les valeurs de l’environnement sont indubitablement celles de la civilisation et du civisme ; ce sont aussi les valeurs de l’économie et de la société modernes basées sur la rationalité, la bonne gouvernance et la veille technologique. L’environnement a un coût économique dont les pouvoirs publics ne peuvent faire l’économie. Mais, c’est aussi l’ensemble de la société qui est interpellé, avec le monde associatif, les élites scientifiques et universitaires, les élus, pour faire prévaloir une nouvelle culture bâtie sur un cadre de vie sain, un aménagement du territoire basé sur l’équilibre physique et biologique des ressources et une économie qui pourra soutenir, autant que faire se peut, les contingences de «l’entropie » issue de la mondialisation rampante. L’une des conséquences, et non des moindres, de ce processus de mondialisation est la ‘’mise en demeure’’ qui est adressée à des pays comme l’Algérie et à des continents comme l’Afrique pour parer aux répercussions des changements climatiques par tous les moyens, à commencer par celui d’aller en rangs serrés et de parler un seul langage face aux partenaires européens et américains. Ces derniers devraient être amenés à payer la plus grosse partie de la facture générée par les mises en place des différents dispositifs de prévention des effets des changements climatiques. Un défi que l’actuel rapport de forces à l’échelle internationale risque malheureusement de retarder ou de compromettre. La Conférence de Copenhague de décembre dernier nous en a donné un avant-goût et le débat non tranché sur la taxe carbone initié au début de cette année en France annonce les résistances futures des complexes militaro-industriels mondiaux aux appels à la “raison écologique”.

Amar Naït Messaoud

iguerifri@yahoo.fr

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