Quelle part de marché pour l’entreprise algérienne ?

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En effet, les patrons algériens en général et des experts en économie ont déploré le fait que les plans d’investissement public allant de 1999 à 2009, avec un montant global dépassant les 200 milliards de dollars, n’aient que très modestement profité aux entreprises algériennes, qu’elles soient publiques ou privées. Il est vrai que les entreprises algériennes n’avaient pas une disponibilité financière et en ressources humaines qui leur auraient permis de prendre de grandes parts de marché dans ces investissements publics. Certaines d’entre-elles ont été réduites à quémander des miettes sous forme de sous-traitance auprès d’entreprises étrangères titulaires des marchés de l’autoroute ou d’autres grands ouvrages d’envergure similaire.

Cependant, pour faire accéder nos entreprises à une forme de qualification qui les rendrait aptes à jouer dans la cour des grands, peu d’efforts ont été déployés dans le sens d’un encouragement de la part des pouvoirs publics et de la facilitation de l’accès au foncier et aux crédits bancaires. L’idée de la préférence nationale commence à peine à faire son chemin au sein de la haute administration quitte, avons-nous appris, à en faire une clause dans un éventuel amendement du code des marchés publics.

Place marginale pour l’entreprise algérienne

Le nouveau plan quinquennal auquel fait référence le président l’Union générale des entrepreneurs algériens (UGEA) est basé essentiellement, comme les deux premiers plans mis en œuvre depuis 1999, sur les investissements publics liés aux infrastructures et équipements. Ce plan qui s’étalera sur la période 2010-2014 bénéficie apparemment d’une attention particulière de la part du gouvernement dès sa phase de conception. Même si les premières esquisses de ce plan ont été suggérées bien avant la réélection de Abdelaziz Bouteflika en avril 2009, le dossier en tant que tel a été confié au Commissariat général à la planification et à la prospective qui est chargé d’en assurer la coordination à l’échelle de tous les secteurs économiques.

Le Plan de soutien à la relance économique, PSRE, exécuté de 1999 à 2005, et Plan complémentaire de soutien à la croissance, PCSC, exécuté de 2005 à 2009, ont donné lieu à un certain nombre d’enseignements que les pouvoirs publics comptent capitaliser.

Des spécialistes en économie et management ont reproché au gouvernement une forme de précipitation dans la mise en œuvre de ces deux premiers plans. En effet, comme le note le docteur Abdelhak Amiri, docteur en Sciences de gestion et PDG de l’INSIM, un plan de développement de cette envergure réclame un minimum d’études, de formation du personnel et de mise à niveau des entreprises quitte, pour cela, à retarder d’une année le lancement des chantiers. Il estimait en 2007 qu’ « il aurait été plus judicieux de consacrer le un tiers (1/3) des montants du premier et second Plans à la qualification des institutions éducatives, universitaires et des centres de formation pour améliorer l’intelligence et les ressources humaines et pour parfaire la qualité des prestations des institutions de façon générale. Le deuxième tiers du montant aurait dû aller à la création du plus grand nombre possible de PMI-PME, structures à même de générer des richesses et des postes d’emploi. Seul le troisième tiers du montant aurait dû être consacré aux infrastructures de base. Si la gestion de ce Plan s’est effectuée de cette manière, l’Algérie aurait pu créer cent mille (100 000) PMI-PME en une année et non 25 000. A l’horizon 2009, on aurait crée un million d’entreprises ».

Dans l’état actuel des choses, estime-il encore, « lorsque le gouvernement algérien met 100 milliards de dollars dans l’économie, 75 milliards vont à l’étranger. C’est pourquoi il aurait fallu créer des entreprises à même de bâtir une base économique pour absorber au moins la demande intérieure et pour que les autres peuples ne bénéficient pas de nos ressources d’une manière gratuite ».

De son côté, Abdellatif Benachenhou, alors ministre des Finances, déplora devant les députés que les entreprises algériennes de réalisation n’aient pas les capacités et le background nécessaires pour se déployer dans le cadre des gigantesques plans de développement mis en œuvre au titre des investissements publics orientés vers la réhabilitation et la promotion des infrastructures de base et des équipements publics.

Ce n’est pas une entreprise de tout repos !

Par rapport à l’ancien système économique où il était question de “satisfaire les besoins vitaux des populations”, les nouvelles règles de l’entreprise- nouvelles pour l’Algérie de l’époque bien sûr-, supposant recherche du profit, équilibre financier, marché des biens et des services régulé par la loi de l’offre et de la demande, nouvelles règles de la formation des prix et, grande “hérésie”, un marché libre du travail, toutes ces notions disions-nous, ne pouvaient être assimilées ipso facto comme valeurs sociales d’autant plus que, sur le plan de la culture politique et de l’éducation, aucune préparation spéciale ne fut menée. L’installation du nouveau système économique basé sur la politique de l’entreprise, de la croissance et du profit se trouva handicapée ainsi par des facteurs politiques et culturels en plus du déficit en ressources humaines. Les formation scolaire, professionnelle et universitaire n’avaient pas préparé l’encadrement adéquat pour une véritable stratégie de l’entreprise.

En outre, l’acte de créer l’entreprise, de quelque dimension qu’elle soit, n’est pas une…entreprise de tout repos. Le climat bureaucratique, les tentations corruptrices, l’archaïsme des services de l’administration, le gel des réformes bancaires et les handicaps du foncier sont les éléments les plus visibles d’une toile d’araignée beaucoup plus fournie et insaisissable.

En 2010, beaucoup de choses ont changé. Le climat général de l’acte d’investissement tend à mieux être accompagné par les pouvoirs publics même si de grandes difficultés persistent. Ainsi, les trois redoutables “F” -Financement, foncier et fisc- montrent toujours une certaine rigidité que dénoncent beaucoup d’entrepreneurs et autres capitaines d’industrie.

Face à la conjoncture mondiale qui a poussé les économies des pays industrialisés à revoir leur stratégie de financement quitte à faire entorse à certaines règles du sacro-saint principe de l’économie de marché, la situation des entreprises algériennes, qu’elles soient publiques ou privées, n’est pas de tout confort. Déjà fragilisées par les facilités d’entrées des marchandises d’importation depuis l’entrée en vigueur de l’accord d’association avec l’Union européenne en septembre 2005, certaines des filières de l’économie nationale se retrouvent devant une impasse du fait que le marché leur est complètement défavorable. Avec, en outre, l’ouverture de la zone arabe de libre-échange, les entrepreneurs algériens ont le sentiment qu’une “conjuration” est ourdie contre le potentiel productif algérien. Que le secteur relève du textile, du bois, de cuir ou d’autres segments de l’agroalimentaire, le même constat de concurrence à armes inégales est fait par plusieurs acteurs de la scène

Avec la loi de Finances complémentaire de l’année 2009 et la nouvelle loi de Finances 2010, une tendance au recentrage de la politique économique du gouvernement a été constatée en faveur des capacités nationales. Ces dernières sont appelées à être réhabilitées et promues pour une mise à niveau qui leur donnera le rang d’exercer dans un climat de concurrence.

Nouvelle vision ?

Dans le cadre du nouveau Plan d’investissement 2010-2014, le Commissariat général à la planification et à la prospective compte remédier au déficit de ressources humaines au sein des administrations chargées des projets inscrits dans le cadre du Plan par une dispositif qu’il évoque de la manière suivante : « chaque ministère/wilaya tiendra compte des particularités des secteurs dont il a la charge, la complexité de certains projets pouvant être assimilée, pour les besoins de l’estimation, à un accroissement du coût. La capacité d’étude du ministère ou de la wilaya et de suivi de la réalisation des projets pourra être complétée par un nombre additif raisonnable de cadres dont il est prévu le recrutement, compte tenu du nombre de postes budgétaires autorisés pour les années 2010 à 2014 ». Tel que conçu par le CGPP (Commissariat général à la planification et à la prospective), le programme public d’investissement pour 2010-2014 paraît bénéficier dès sa formulation du regard et de l’expertise des membres cette nouvelle institution. Ce n’est, en fin de compte, qu’une juste appréhension des enjeux et une leçon tirée des deux premiers plans lancés depuis 1999. L’importance d’une telle démarche apparaît au grand jour lorsqu’on connaît le contexte dans lequel un tel programme est esquissé. En tout état de cause, les plans de développement que l’Algérie a connus depuis dix ans ont mis à nu les déficits de la politique nationale relative à la création d’entreprises. Dans son rapport pour l’année 2009 portant sur le climat des affaires dans 181 pays étudiés, la Banque mondiale situe notre pays dans la 132e place. A titre de comparaison, l’Arabie Saoudite est positionnée 16e. En matière de création d’entreprises, notre pays occupe la 141e place. Pour l’embauche des travailleurs, l’Algérie occupe la 118e place. Le reste des critères utilisés par la Banque mondiale ne donnent pas une bonne image du climat d’investissement et des affaires de notre pays. Pourtant, au niveau des orientations politiques officielles, particulièrement après le recul des recettes des hydrocarbures dû aux effets de la crise mondiale, les discours allant dans le sens de drainer plus efficacement et plus diligemment les investissements hors hydrocarbures n’ont pas manqué. Mais que faudra-t-il entreprendre pour que l’entreprise algérienne « puisse évoluer dans un environnement purement concurrentiel » comme le réclame le président de l’UGEA ?

Amar Naït Messaoud

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