Musique Chant d’exil / SLIMANE AZEM, l’icône des valeurs

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L’artiste s’attachait aux valeurs traditionnelles des ancêtres auxquelles il vouait un culte certain. Et c’est assurément à ce niveau là que Dda Slimane a su conquérir les cœurs des pères et des mères de famille soucieux du devenir de leurs enfants à l’orée des temps modernes.

Slimane Azem, C’est bien évidemment le chantre de la chanson algérienne, mais également un homme qui incarne bien des valeurs. Celui-ci est, en effet, très estimé pour ses grandes qualités morales empreintes d’humilité de courtoisie et d’affabilité. «C’est un homme très modeste, humain, calme, toujours souriant. Je ne l’ai jamais entendu crier. Il donnait à chaque chose sa valeur» Disait Kamel Hamadi à l’un de nos confrères qui l’interrogeait à son propos. Sur le plan musical, Slimane Azem a tout bonnement ouvert la voie à la chanson algérienne d’expression kabyle, qui s’est émancipée dans le concert des nations. Ne serait-ce pas Dda Slimane qui a inspiré bien de talentueux chanteurs de chez nous et qui sont devenus, à leur tour, célèbres ? Comme Kamel Hamadi qui l’a côtoyé de près, Lounis Aït Menguellet ou encore le défunt Lounès Matoub pour ne citer que ces grands. N’a-t-il pas marqué pour l’éternité les anciennes générations qui s’abreuvent inlassablement de son répertoire aussi riche que varié ? Riche par la texture – de la poésie rythmée – bonne à écouter en famille, varié par la thématique sans cesse recherchée et en adéquation constante avec son époque mouvementée. Depuis Effegh A Yajrad Thamurthiw (Criquets, quittez mon pays) chanson révolutionnaire par excellence en passant par Yellouled Wagour (le croissant lunaire est né) en référence à l’emblème national jusqu’à Ef Takvailith Yuliwas (le jour se lève sur la «Kabylité» – i.e. langue -) en hommage au printemps berbère, Dda Slimane n’a pas cesser d’éveiller les consciences. Mieux, il s’est même prononcé sur le futur, notre présent à nous. Ih El Kern Narfaâtach ! (Ô le 14 ème siècle de l’Hégire !) illustre on ne peut mieux ses présages. En un mot Slimane Azem enseignait à qui voulait bien l’entendre, non sans une pointe d’ironie, la vie dans toute sa complexité. Cette même vie qui l’avait forgé au demeurant.

Des cafés parisiens à Pathé Marconi

En débarquant à Longwy (France) en 1937, Dda Slimane travaillera comme manœuvre avant d’être mobilisé lors de la «drôle de guerre» à Issoudan. Réformé il s’en ira à Paris où il est embauché à titre d’aide électricien dans le métro. Il a connu, en outre, les affres de la prison en Allemagne au cours de la seconde guerre mondiale. Cette période de sa vie sera évoquée dans sa première composition A Moh A Moh Ekker Ma Teddud Anruh (Eh Moh ! prépares-toi si tu veux rentrer) chantée dans son café décroché en gérance dans le 15e arrondissement, vers 1946. Et dire que Dda Slimane ne chantait que pour faire plaisir à ses clients qui le sollicitaient. Ceci pour souligner l’aide et les encouragements dont bénéficiait le chanteur en herbe de la part de Mohamed El Kamel, professionnel du théâtre et des sketchs, issu de l’ensemble Bachtarzi. En semant de la joie dans son café et dans celui de Mohamed El Kamel, Dda Slimane ne tardera pas à faire parler de lui au point où la maison de disque Pathé Marconi lui fera signe. Et c’est ainsi que la carrière de Slimane Azem prendra forme et se prolongera sur quatre bonnes décennies au grand bonheur de la communauté issue de l’émigration qui, à son tour, ramenait ses disques au pays natal pour faire profiter toute la famille. Une carrière jalonnée de grands succès comme l’atteste la réputation dont jouissait et jouit encore l’artiste, 23 ans après son décès dans sa ferme de Moissac, au sein de la diaspora kabyle établie un peu partout dans le monde. «Je peux dire que 99 % des Kabyles aiment et respectent Slimane Azem» soulignera, à juste titre, son disciple Kamel Hamadi. Ses fans ne se lasseront jamais de réécouter ses sketchs comiques joués en duo avec le non moins célèbre et comparse Cheikh Nourredine (La résidence, Algérie mon beau pays ! etc.), ou encore certains de ses tubes où il stigmatise, par le truchement du jeu de la dérision, le renversement des valeurs, le vice qui s’est emparé de la société l’égoïsme et le matérialisme. Citons, entre autres, Ellah Ghaleb, Kulchi Yeklev (Oh Dieu ! tout est inversé), ou encore Lalla Margaza D Win Therna Tmettût (Monsieur femmelette dominé(e) par sa femme) voire Yekfa Lamène (plus de confiance). C’est dire à quel point l’artiste s’attachait aux valeurs des ancêtres auxquelles il vouait un culte certain. Et c’est assurément à ce niveau là que Dda Slimane a su conquérir les cœurs des pères et des mères de famille soucieux du devenir de leurs enfants à l’orée des temps modernes. Bien sûr, il n’était pas question pour Dda Slimane de rester figé sur le passé immémorial. Preuve en est, le poète de l’exil ainsi qualifié – et nous verrons plus loin pourquoi – signera des chef-d’œuvres de portée universelle : Amek Ara Nili Susta ?! (Comment pourrions-nous être zen ?!) Et Therwi Theberwi (tout est sens dessus-dessous) participe de cette vision novatrice sur un monde en perpétuel changement. Et la subtilité déconcertante avec laquelle il faisait parler les animaux à travers notamment A baba Ghayou (le perroquet) et Tleta Yekjan (trois chiens) finit par lui conférer le statut de chanteur engagé politiquement sur les questions de l’heure. Exit le disque d’or fort méritoire, du reste, obtenu en 1970 en compagnie de Nora devenant, du même coup, membre de la Société des auteurs-compositeurs, et éditeurs de musique (SACEM) qui compte en son sein des célébrités françaises et autres.

L’exil inscrit au front

Mais si Dda Slimane à qui d’aucuns trouvent des similitudes avec le célèbre poète du 19e siècle, Si Mohand U Mhand – sans doute en raison de leurs témoignages respectifs qui décrivent et renseignent sur le contexte socio-historique de l’époque de chacun – a su comment faire passer ses messages à l’endroit des populations en s’abstenant de verser dans la forme poétique dite lyrique ; il serait injurieux de taire, en revanche, ses propres tourments emportés avec lui dans sa tombe. Car ce qui n’était qu’émigration éphémère, histoire de gagner son pain, s’est transformé au fil du temps, en exil. Il ne s’agit pas, ici, de faire le procès de quiconque -il s’en abstenait lui-même- mais simplement rappeler à quel point, Dda Slimane, condamné par la bêtise humaine pour une obscure affaire calomnieuse, fera de lui, un homme blessé dans sa chair et sa dignité la plaie n’a jamais cicatrisé. Aussi, quand il chante avec beaucoup d’émotion Dhagriv Dhavarani (exilé et étranger) Ay Afroukh Ifirelles (Ô Hirondelle, oiseau messager) ou encore A Thamur-Thiw Aazizen (Ô mon pays bien aimé), on comprendra mieux le désarroi de cet écorché vif. Avant d’être interdit, donc, en Algérie pour cette « petite histoire » sur laquelle nul besoin d’y revenir, si ce n’est pour dire qu’il est souhaitable de rapatrier ses cendres à Agouni Gueghrane, au sud de la wilaya de Tizi-Ouzou – ce serait un geste honorable tout autant réhabilitant – Slimane Azem a fait une tournée mémorable dans tout le pays en compagnie de Abdelhamid Ababssa et a enregistré quatre chansons à la radio nationale d’Oran dans les années 1950. Un parcours presque mythique pour cet illustre personnage qui n’a jamais renié ses origines paysannes du village Agouni Gueghrane qui l’a vu naître un certain 19 Septembre de l’an 1918.

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