La dernière polémique grevant le monde universitaire et portée sur la place publique au cours des deux dernières semaines se rapporte à ce qui est appelé les “entraves” dressées par l’administration à la participation des chercheurs algériens à des séminaires ou colloques à l’étranger.
La famille universitaire s’offusque que, pour participer à des journées d’études au Maroc ou en France par exemple, le chercheur algérien puisse obtenir l’aval du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. A cette occasion, il sera appelé à décliner l’objet de son déplacement, l’ordre du jour et le contenu de son intervention.
Le ministère se défend de vouloir brider l’esprit de recherche ou de limiter le déplacement des universitaires algériens. Il avance comme argument sa volonté de prévenir des situations où l’intervenant pourrait porter atteinte aux “intérêts nationaux”.
L’enfer étant pavé de bonnes intentions, l’on ne peut s’obliger à admettre comme vérité absolue une démarche administrative qui, aux yeux de la communauté universitaire, prend l’aspect d’une censure qui ne dit pas son nom et d’un obstacle de plus pour la recherche scientifique en général.
Le thème de la recherche scientifique est aussi revenu sur la scène avec l’opération du lancement de 34 programmes nationaux de recherche opéré à la fin du mois de mai dernier. L’encadrement est assuré par dix commissions intersectorielles. A l’occasion de cette validation des programmes, le directeur général de la recherche scientifique, M. Abdelhafid Ourad, a fait part du taux de chercheurs algériens par rapport à la population totale, soit 600 chercheurs pour 1 million d’habitants. La moyenne mondiale, a-t-il signalé se situe autour de 2 000 chercheurs pour 1 million d’habitants. Le Japon bat le record mondial avec le chiffre de 5 000 chercheurs pour 1 million d’habitants. Donc, officiellement, l’Algérie dispose d’une ressource humaine de 17 000 chercheurs. Les ambitions du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique à l’horizon 2020 est de 68 000 chercheurs.
Le montant alloué à chaque programme de recherche est de 3 millions de dinars. Exceptionnellement, si le projet revêt une importance capitale, l’enveloppe financière peut-être portée à 10 millions de dinars.
En tout cas, le schéma de la politique de la recherche tel qu’il est pris en charge par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique est contenu dans la loi-programme 2008-2012 sur la recherche scientifique et le développement technologique.
Les thématiques prioritaires ciblées par le ministère sont, par exemple, la promotion de la productivité agricole et aquacole (domaine relevant, avec la gestion des ressources en eau, de la sécurité alimentaire du pays), la prévention et le traitement des maladies transmissibles graves à travers l’amélioration de la couverture sanitaire et de la situation épidémiologique, la production de médicaments génériques, la recherche dans les énergies renouvelables, la promotion des sciences et de la technologie, la protection contre les risques majeurs et le renforcement des sciences sociales et humaines. Vaste programme, s’il en est.
L’entreprise à la marge du processus
L’opération de validation des programmes de recherche qui consiste à filtrer et à hiérarchiser les thèmes débouche sur leur homologation et constitue un aval pour la mobilisation de l’enveloppe financière y afférente. Le gouvernement, par le canal du ministère délégué à la Recherche, a annoncé déjà en 2007 qu’il allait mettre une enveloppe financière de 100 milliards de dinars à ce secteur. A ce niveau, deux questions ne manqueront pas d’être posées par les institutions chargées de gérer cette enveloppe (université et autres laboratoires) et par les concernés eux-mêmes. Jusqu’à quand la recherche scientifique demeurera l’apanage exclusif de l’Etat, alors que sous d’autres cieux elle est assurée en grande partie par des entreprises industrielles qui consacrent une partie de leurs budgets à ce que leur comptabilité mentionne sous la rubrique R&D (Recherche et Développement) ? Cette question se justifie par le fait qu’une recherche pragmatique, utile et efficace pour le développement ne peut réellement être “commandée” que par ses futurs utilisateurs. De là découle la deuxième question : à quel type de recherche devraient s’atteler les Algériens ? Nous savons que la recherche fondamentale requiert des aptitudes et des enveloppes financières hors de notre portée. En raccourci, nous avons l’exemple de certains thèmes de recherche en graduation ou post-graduation qu’un spécialiste qualifie de recherche du “sexe des anges” tant ils ont le relent de lubies que l’état de l’économie nationale ne justifie nullement. Reste ce qui devrait constituer l’axe fondamental de notre système de recherche, à savoir la recherche appliquée. Que ce soit pour les besoins de l’industrie, de l’agriculture ou des autres secteurs de développement, l’on ne peut consentir des dépenses en recherche qu’en contrepartie d’un cahier de charges dans lequel seront inscrits les vrais besoins de l’économie en la matière et projetés les résultats d’application censés augmenter la productivité résoudre un problème technique ou apporter une nouvelle organisation des mécanismes de travail. L’idéal sera d’impliquer dans le futur proche les entreprises industrielles dans le financement de la recherche, et cela sans aucune cœrcition. Au contraire, c’est en encourageant l’investissement dans l’économie d’entreprise par toutes formes d’incitations que, à un certain moment de sa croissance, l’unité de production ou l’atelier d’usinage sentira de lui-même -via la concurrence et la pression du marché- la nécessité du renouvellement des connaissances et l’impératif de l’innovation.
Malgré quelques avancées en matière réglementaire et de considération sociale pour une des activités les plus nobles que l’esprit humain ait pu investir, la politique de la recherche demeure encore un concept flou au sein de nos institutions à tel point que des malentendus et des incompréhensions pèsent encore lourdement un domaine si délicat, situé à mi-chemin entre la sphère économique et la sphère universitaire/académique.
Le statut et la nouvelle grille salariale des enseignants-chercheurs établis par les pouvoirs publics en 2008 sont le couronnement des luttes menées par le Conseil national de l’enseignement supérieur (CNES) depuis des années. Mais, en réalité le vrai travail ne fait que commencer. Car, outre les volets réglementaire et social inhérents aux activités de recherche, cette dernière réclame toute une stratégie par laquelle seront définis les objectifs, la méthodologie et les modalités pratiques de la conduite des projets.
Les défis du transfert de technologie
Sous le règne du tiers-mondisme triomphant, et sans qu’une politique sérieuse n’accompagnât la phraséologie en usage, il était question de “transfert de technologie”. Comme si la chose pouvait relever d’un acte de prestidigitateur, l’on n’a préparé ni l’école ni l’université ni les unités industrielles pour opérer éventuellement ce fameux transfert. On contraire, dans un système basé sur le nivellement par le bas, toutes les énergies susceptibles de s’investir dans la recherche scientifique ont été marginalisées. Les moyens de dissuasion n’ont pas manqué et le plus pernicieux n’était pas nécessairement le salaire de misère. La bureaucratie, le dénuement des laboratoires, la difficulté d’accès aux sources documentaires, l’absence de statut et d’autres écueils aussi objectifs et aussi insurmontables ont fini par dresser un barrage à tout esprit de recherche.
Mais pour donner le change et distribuer la rente par ce canal, on n’a pas hésité à envoyer à l’étranger des boursiers triés sur le volet par des commissions travaillant dans l’opacité la plus totale. L’opération se transformera, dans la plupart des cas et sans surprise, en une fuite des cerveaux organisée par les pouvoirs publics. Les résultats sont là. Les meilleurs laboratoires de médecine du monde, les plus performantes usines de montage électronique ou de conception informatique emploient des cadres algériens de haut niveau.
Toutes les tentatives initiées jusqu’à présent-y compris par le canal du ministère de la Solidarité nationale et de la communauté algérienne à l’étranger- pour favoriser un courant inverse de celui de la fuite des cerveaux sont demeurées vaines. Et pour cause ! Le climat de la recherche, le statut social et d’autres facteurs spécifiques à notre pays dissuadent plus qu’ils encouragent de tels mouvements.
En focalisant parfois le débat dur l’espoir du retour des compétences nationales dans leur pays d’origine, l’on oublie que la recherche scientifique est un tout, une ensemble de maillons solidaires les uns des autres (financements, statut du chercheur, accès aux sources documentaires et statistiques, politique d’investissement et de création d’entreprises, participation des entreprises à la recherche,…).
Déjà rien qu’au niveau de la gestion et du management courants, le pouvoir politique et les professionnels du secteur connaissent bien les limites des performances propres au système universitaire tel qu’il existe dans son schéma actuel. En effet, les gestionnaires de l’économie nationale et les nouveaux capitaines d’industrie qui commencent à conférer au secteur économique ses vraies valeurs de rentabilité et de compétence se posent d’ores et déjà la grande question de savoir où se trouvent les relais en matière de ressources humaines appelées à prendre en charge les entreprises et à manager leur politique d’investissement. Par rapport aux mécanismes de recherche mis en place depuis des décennies dans les pays développés- mécanismes institutionnels, managériaux, financiers, partenariat avec les entreprises privées- l’Algérie enregistre un énorme déficit Actuellement, les sujets de recherche sont quasi exclusivement inspirés par des individualités au sein de l’université par des conseils scientifiques y siégeant ou par la tutelle administrative. Les résultats de la recherche élisent souvent domicile dans les tiroirs de l’université. Leur prolongement sur le terrain ne bénéficie d’aucune garantie. Pire, des dizaines d’inventeurs- ayant fabriqué des machines et des outils suite à un souci de régler un problème technique réel posé au sein de la communauté- attendent depuis des années un brevet qui n’arrive pas.
Amar Naït Messaoud