Entretien Ahcène Belarbi Ecrivain : «L’écriture peut donner un sens à l’existence»

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Ahcene Belarbi est un talentueux écrivain. Ses écrits, ses réflexions et ses analyses font de lui un intellectuel singulier. Dans cet entretien exclusif, l’auteur de La fille des hommes libres, nous raconte son histoire avec l’écriture littéraire.

La Dépeche de Kabylie: Comment êtes-vous venu à la littérature ?

Ahcène Belarbi: Je dirais plutôt que c’est la littérature qui est venue à moi. Très tôt, je lisais, et mes lectures, au lieu qu’elles soient juste un lieu d’évasion spontané un divertissement où astreintes à leur rôle premier, qui est celui d’inculquer des connaissances, mes lectures, me font fondre dans les trames qu’elles racontent, dans une sorte de communion intense. Donc certains livres, même après les avoir lus, leurs histoires me collent à l’âme, au point où je leur imagine une suite que je vis intérieurement. Avec ma sensibilité profonde, ma propension à fructifier mon imagination, à partir du ressenti et de l’observation, se matérialise naturellement dans l’acte d’écrire. Je n’ai rien publié en Algérie eu égard à la teneur de mes textes qui ne rentraient pas dans l’idéologie du pouvoir.

Parlez-nous de vos livres…

Le dernier des trois livres, Des rêves et des soupirs, que j’ai à mon actif jusqu’à ce jour, est publié en 2006. C’est un ensemble d’errances rebelles (pensées subjectives) et de récits, inhérents au poids des contraintes sociales : les frustrations de tous ordres, le déni identitaire, l’avenir glauque, la coercition, l’exil… de la jeunesse algérienne, vécues à toutes les époques de l’Algérie indépendante. Le deuxième, qui s’intitule : La fille des hommes libres, raconte une histoire d’amour tragique, dans un village de Kabylie. Mais tout autour, gravitent des événements liés à l’actualité de l’époque (fin des années 70) : l’éveil des jeunes pour la préservation de la culture berbère, les tentatives du FLN de s’accaparer des comités de villages pour embrigader les populations, le conflit de générations… Tout cela débouche sur avril 1980. Quant à mon premier livre, je l’ai écrit à chaud, en 2000. Il porte le titre : Demain, la mémoire. Ce sont des chroniques sur l’Algérie des années 1990, où la chasse à l’intellectuel francisant, et surtout au journaliste, était des plus meurtrières. Je l’ai écrit à chaud parce que le terrorisme a fait des victimes parmi mes amis – et en même temps collègues du journal Le Pays – très proches : Achour Belghezli, Saïd Tazerout, Farida Bouziane… Plus tard, Rachid Hemdad, C’était une époque cauchemardesque. D’ailleurs, le livre je l’ai dédié à leur mémoire. Cela fait quatre ans que je n’ai rien publié dans le domaine littéraire – car les écrits journalistiques j’en commets presque régulièrement – et je commence à ressentir un certain poids… du vide. Le vide de la création.

Quelle est la thématique qui revient le plus dans vos écrits ?

Je pense que ma réponse est dans ce que je vous ai dit plus haut, mes germinations littéraires sont irriguées par les sources de la terre natale : La lutte perpétuelle des populations pour la survie, la paupérisation matérielle, l’indigence morale, la fuite de la jeunesse au péril de sa vie… Mais aussi le courage de ceux qui perpétuent la vie villageoise dans toute son authenticité ceux qui font que notre culture vive, ceux qui maintiennent l’âme de la Kabylie, et par laquelle respire l’Algérie. Cependant, si mes écrits parlent intensément de l’Algérie, dans les trois publications que je vous ai citées, il y a toujours des références au territoire français, puisqu’on y vit, mais dans un rapport différent. Cela n’exalte pas un sentiment affectif malgré la liberté le confort ou tout simplement le fait qu’on ait la « tranquillité». J’en parle parce que je ne peux pas en faire abstraction : la présence de la majorité d’entre-nous ici, sur le sol français, est conséquente de notre départ – j’allais dire notre exil – de l’Algérie. Autrement dit, cela ne relevait pas d’un choix. C’est pourquoi l’attachement à la terre ancestrale devient charnel. Et je pense que ce sentiment est une réalité partagée par les écrivains qui vivent sur un autre sol que celui où ils sont nés, et ont grandi.

Quels sont les écrivains qui vous influencent ?

Je ne parlerais pas de l’influence, au sens prégnant du terme, je parlerais plutôt d’attrait. Deux choses m’intéressent dans une œuvre littéraire d’un écrivain : le fond événementiel, et l’élaboration stylistique. Ces deux aspects, qui participent de l’esthétique d’un ouvrage, je les trouve surtout chez les écrivains français du XIXe siècle : Hugo, Flaubert, Stendhal etc. qui ont une expression raffinée des sentiments, la précision du détail, de la peinture du contexte spatiotemporel… Mais je suis éclectique dans les goûts littéraires. J’ai lu énormément et je lis toujours : des écrivains russes, allemands, américains, algériens, africains… L’attrait instille, certes l’influence, mais sous une forme inconsciente. Elle échappe à la lucidité de l’écrivain le plus scrupuleux, pour glisser dans son œuvre comme une pensée dans une pensée.

Pourquoi écrivez-vous ?

J’écris parce que l’écriture c’est ma raison d’être. Les raisons de vivres sont multiples : la famille, les proches, l’être aimé les projets… Mais une passion, comme l’écriture, nourrit notre amour de la vie, et peut donner même un sens à l’existence. Le besoin d’écrire chez moi est vital tout autant que le besoin de lire. Ceci dit, ce besoin d’écrire ne trouverait pas son aboutissement s’il n’avait matière à s’en nourrir. C’est un exercice de l’esprit qui fait appel à la mémoire, aux connaissances multiples, et qui met certaines capacités en pratique au service de la création. Et la création part toujours du réel. J’écris donc pour essayer de raconter ce qui est visible à l’œil mais qui échappe au cœur et à l’esprit : la vanité de l’existence humaine avec ses paradoxes, ses affres, ses conflits exacerbés au détriment d’une vie sereine, simple et paisible même dans ses contraintes intimes.

Que pensez-vous de la littérature algérienne actuelle ?

Je pense que les talents existent à chaque époque. Sans parler de Mimouni, Djaout, Boudjedra, Nordine Sadi, Yasmina Khadra, Baya Gacemi, Hamid Grine, pour ne citer que ceux-là qui ont repris honorablement le flambeau de leurs aînés, d’autres, plus jeunes, tels ; Amine Zaoui, Youcef Zirem, Ali Malek, Laura Mouzaia, Leila Merouane et bien d’autres font un travail appréciable dans le domaine des lettres. L’innovation stylistique, la richesse thématique qui caractérisent leurs œuvres, témoignent de l’émergence d’une littérature, renouvelée dans ses formes aussi bien dans son expression. L’évolution est sensible. Mais l’épanouissement de cette littérature – pour qu’elle ait vigueur et authenticité – est tributaire de la liberté d’écrire, et des moyens d’éditions mis à la disposition de l’écrivain – je parle de ceux qui éditent en Algérie. Là je crois que c’est une autre histoire.

Quel est le dernier livre que vous avez lu ?

C’est un livre d’Histoire, La Kabylie à l’épreuve des invasions, de Younes Adli. Un ouvrage intéressant à plus d’un titre, par la richesse et la pertinence de son contenu et par son écriture suave. A l’instar de l’historien, Ali Guenoun, ou de l’universitaire, Boussad Berrichi, Younès Adli est l’un des chercheurs les plus rigoureux et les plus prolifiques des nouvelles générations.

Quels sont vos projets d’écriture ?

Un roman, qui sera intitulé : Le Champ maudit, verra le jour certainement vers la fin de l’année 2010. Son ancrage social c’est toujours en Kabylie. Puis j’ai un recueil de nouvelles, en chantier, dont l’écriture est aussi bien avancée. Ce sont des scènes de vie, peu ordinaires, qui se passent sur les deux rives de la Méditerranée.

Entretien réalisé par Ali Remzi

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