Le ministre de la Communication annonce des réformes pour la rentrée / Une corporation à la recherche de ses repères

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Le nouveau ministre de la Communication, M. Nacer Mehal, a appelé dimanche dernier, par le truchement d’une déclaration à l’Aps, à la réorganisation de la profession de la presse dans toutes ses facettes (loi sur l’information, loi sur l’éthique et la déontologie, publicité…), et ce sur la base d’un consensus qui se dégagerait avec toutes les parties. L’échéance fixée par le ministre pour une “large concertation” est la prochaine rentrée sociale, soit à partir de la mi-septembre.

La corporation espère que cette fois-ci sera la “bonne», sachant qu’avec les anciens responsables de ce département —H. Djiar, A. Boukerzaza, A. Mihoubi — de louables initiatives ont été esquissées dans ce sens sans qu’elles aient pu être consolidées, mûries et traduites en idées concrètes.

Aussi bien sur les conditions de travail du personnel de la presse (statut, rémunération, “délits de presse», formation continue…) que sur des questions relatives à l’éthique et à la déontologie, les journalistes algériens sont en attente d’un maximum de sécurisation d’autant plus que des abus, des “erreurs” et des dérives ont, sur tous ces points, émaillé leurs parcours depuis l’entrée sur scène de la presse indépendante il y a maintenant deux décennies. “Il est certain, dira le ministre, que le secteur de la communication a un grand besoin de réformes, y compris dans la régulation et dans la définition des règles d’éthique et de déontologie. Celles-ci doivent d’abord être discutées avec les éditeurs et les représentants des journalistes pour trouver un dénominateur commun pouvant empêcher la dérive qui se constate à plusieurs niveaux de l’exercice de la profession de journaliste”.

Les déclarations et les professions de foi des officiels n’ont pas manqué de souligner et d’appuyer l’idée de la liberté d’expression et de la libre de circulation des idées.

Les journalistes réclament, quant à eux, des gestes concrets se matérialisant par des textes législatifs adaptés à ce noble métier, comme ils attendent de toutes les instances des comportements vis-à-vis de la presse qui puissent honorer la place et les sacrifices de la presse dans notre pays.

Le président de la République a eu à s’exprimer sur le sujet à l’occasion de la cérémonie d’investiture pour inaugurer son nouveau mandat en avril 2009 : “Cette démarche [la voie du pluralisme politique et médiatique] engagée au prix de douleurs, de tragédies, de sérieuses menaces sur l’Etat et la société et qui a vu les institutions disloquées, la confiance ébranlée, a cependant démontré l’attachement des Algériens et des Algériennes à leur droit à l’exercice démocratique et à la libre expression. La presse nationale, dans sa diversité a constitué à cet égard l’outil influent par excellence», assurait-il.

Crédibilité et lisibilité en jeu

Cet attachement à la libre expression se confirme un peu plus chaque jour, y compris, paradoxalement, par le “délestage” ou le largage de la chaîne de télévision publique, l’Unique, au profit des chaînes satellitaires françaises ou arabes.

En effet, dans le contexte de la libre communication à l’échelle planétaire, phénomène induit par le perfectionnement continue de la technologie y afférente, ce sera un paradoxe insoutenable que des populations ou des franges de la société n’aient pas encore un libre accès à l’information et à la communication avec des moyens nationaux, publics ou privés.

Dans le secteur spécifique de la presse écrite, moult tentatives d’asseoir des règles de conduites consensuelles ont été vainement opérées depuis le fameux code de l’information des années 1990, connu dans le jargon satirique de la corporation des journalistes du peu flatteur “sobriquet” : “Code pénal-bis”. En avril 2008, le gouvernement a adopté le décret portant « Régime spécifique des relations de travail dans la presse ».

Ce geste important de la part des pouvoirs publics en direction d’une corporation qui se trouve paradoxalement l’une des moins structurées sur le plan organique n’a, en fait, rien de fortuit. Il est l’aboutissement d’un combat ininterrompu qui s’est étalé sur presque deux décennies. L’évolution de l’histoire récente des forces sociales et politiques a fait que la presse a forcé le destin en s’adonnant à son rôle de contrepouvoir, voire aussi d’interface entre gouvernants et gouvernés.

Néanmoins, même si des brèches ont été ouvertes dans le mur de la pensée unique par la presse indépendante, cette dernière n’a pas, ipso facto, bonne presse. De grands efforts lui sont encore demandés pour se donner plus de lisibilité et de crédibilité auprès d’un lectorat travaillé au corps par un environnement médiatique très diversifié mais qui ne correspond pas nécessairement à son profil ou à ses besoins.

Au niveau du produit informatif fourni quotidiennement au lecteur, des insuffisances demeurent sont doute à rattraper aussi bien dans la forme que dans le fond. Outre une perfectibilité sur le plan technique (rédaction, maquette…), nos journaux sont attendus pour jouer un rôle pédagogique en direction des lecteurs en vulgarisant les questions de société et en les sensibilisant à certains aspects particuliers de leur vie domestique et professionnelle. C’est en quelque sorte ce côté service public qui demande à être étoffé et amélioré loin des chapelles politiques ou de préalables idéologiques.

De même, le souci de la spécialisation a été évoqué avec insistance au cours de l’année 2009 par l’ancien ministre délégué à la Communication, M. Azeddine Mihoubi, qui estime que l’on ne peut développer les compétences des journalistes et la qualité du produit que par une spécialisation accrue. C’est également l’un des axes tracés pour la nouvelle Ecole supérieure de journalisme qui a ouvert ses portes en 2009. Son directeur, M. Brahim Brahimi soutient qu’il y a lieu de « tenir compte des besoins des secteurs utilisateurs, d’une part, épouser les tendances modernes de la formation spécialisée en audiovisuel et dans les nouvelles technologies dans les pays développées, d’autre part”.

Malgré un parcours exaltant réalisé par le monde de la presse écrite en Algérie, il faut reconnaître que les forces de la résistance et de la régression n’ont pas baissé la garde et les acquis sont toujours fragiles malgré une profusion de titres- principalement dans la version “quotidien” — qui donne le tournis.

Compétence et puissance imaginatives

Les perspectives qui se dessinent pour le monde de l’information et de la communication semblent aussi exaltantes que difficiles à assumer.En effet, l’avenir de la presse écrite- assiégée par la présence d’autres médias qui, par leur clinquant, offrent plus de facilité d’accès simultanément à l’information et au spectacle- dépend de la stabilité de la compétence, de la formation continue et de l’esprit d’innovation du personnel de la rédaction. Il est vrai que les avantages offerts par les pouvoirs publics pour les premiers titres ne seront plus de mise. Donc, tôt ou tard, les défis qu’auront à relever les titres de la presse écrite exigeront plus de compétence et plus de puissance imaginative pour pouvoir maintenir la magie de l’écrit dans le monde de l’information. Il est évident que cela ne peut nullement se faire avec une équipe ou un personnel fragilisé précarisé à l’extrême, au point de ne pouvoir assurer loyalement et honnêtement sa fonction. Les conditions de travail des journalistes algériens ont fait l’objet d’un diagnostic officiel de la part des pouvoirs publics en 2006 déjà. Le ministre de la communication de l’époque, H.Djiar, jugea que ces conditions ne sont pas reluisantes. En effet, à l’instar des banales entreprises de travaux publics ou de génie civil nées dans la précipitation de la libéralisation économique, les entreprises de la presse privée seraient elles aussi gagnées par l’emploi clandestin (un tiers de journalistes ne bénéficieraient pas de déclarations sociales), la sous-rémunération et une résistance maladive à la syndicalisation. N’est-ce pas un peu paradoxal que ce soit le gouvernement-que la presse n’a pas pour vocation de ménager- qui porte sur la place publique les difficultés sociales des journalistes de la presse privée ? Sur un autre plan, le retard culturel chez notre jeunesse et la qualité de l’enseignement reçu dans les établissements scolaires font que la relation entre la presse écrite et la frange la plus importante de la population algérienne demeure aléatoire et reste même marquée par les traits de “défiance” qui prévalaient sous le règne de la presse et du parti uniques. En effet, lorsque des événements importants arrivant dans une contrée profonde du pays sont relégués au second plan ou carrément escamotés, et que des accidents anodins ou des histoires mondaines se passant sous d’autres cieux sont montés en épingle sur les manchettes de nos journaux- perversion professionnelle facilitée par l’accès facile à l’Internet et aux autres moyens technologiques d’information &mdash,; le lecteur moyen est enclin à penser qu’il demeure le laissé-pour-compte, comme il le fut à l’ère glaciale du parti unique, au moment où, à travers le monde, l’information de proximité (radio, journaux et TV) est devenue un instrument précieux et stratégique participant au développement local et à la formation de l’opinion et de la citoyenneté.

Amar Naït Messaoud

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