Les projets d’équipements financés sur le budget de l’Etat- que la source de financement soit sectorielle ou affiliée à un fonds spécial- ont souvent souffert d’une maturation qui puisse garantir leur réussite. La maturation d’un projet commence bien entendu par sa justification sociale ou économique, ce qui renvoie normalement à une étude d’opportunité. Ensuite, vient la deuxième phase, celle de la faisabilité technique, particulièrement lorsqu’il s’agit de grands ouvrages (ponts, viaducs, chemin de fer, barrage hydraulique,…etc.).
Dès que, techniquement, le projet est déclaré viable, il sera appelé à subir l’examen des responsables chargés de l’environnement pour évaluer les retombées de l’ouvrage (en phase de réalisation ou en phase finale) dans le domaine de l’environnement. Cette phase est appelée ‘’étude de l’impact environnemental’’. C’est un critère important qui s’est imposé à l’échelle du monde, à tel point que, pour une demande de financement extérieur d’un projet par exemple, le bailleur de fonds n’accepte de mobiliser son argent qu’après avoir eu accès à l’étude de l’impact environnemental. L’Algérie a eu à se soumettre à cette conditionnalité dès les années 1990, dans certains projets qui n’avaient pas encore l’envergure de l’autoroute Est-Ouest ou des grands barrages hydrauliques. Des pistes agricoles ou rurales financées par la Banque mondiale ont reçu des études d’impact pour estimer par exemple les degrés de nuisances (sonores, liées à la disparition du couvert végétal ou au futur passage des véhicules) sur la faune locale. La donne environnementale est devenue, de par le monde, un paramètre incontournable dans tout processus de développement. Lorsque la nécessité établit de réaliser l’ouvrage en question malgré les nuisances induites, la balance devrait être rééquilibrée par ce qui est appelé les mesures d’atténuation susceptibles de compenser les désagréments charriés par la mise en place de l’ouvrage. C’est ce à quoi nous avons assisté dans le cas précis du passage de l’autoroute Est-Ouest par le territoire du Parc national d’El Kala sur environ 15 kilomètres. Le département des Travaux publics a pris des mesures compensatoires pour permettre la continuité du processus biologique dans les espaces attenants à l’autoroute, comme il a fait suivre l’ouvrage entier ( 1216 km ) d’un espace vert enserrant l’ouvrage sur ses deux flancs. Cette opération a requis la sollicitation des spécialistes chargés des espaces verts, des forêts et du paysagisme.
La dernière phase des études avant le lancement des travaux est, bien entendu, l’étude d’exécution. Cette dernière fixe les volumes des travaux, quantifie les apports de matériaux et fournitures, établit les devis (montants des travaux, prestations et fournitures) à l’unité de mesure (mètre carré mètre cube, mètre linéaire,…), puis, elle définit les modalités pratiques d’exécution des travaux à effectuer.
Le cahier de charges : document de synthèse et d’exécution
Sur la base de l’étude d’exécution est élaboré le cahier de charges qui doit faire l’objet d’une publicité sous forme de consultation ou d’avis d’appel d’offres destiné aux entreprises soumissionnaires.
Ce processus des études qui aboutit à l’élaboration d’un cahier de charges est théoriquement bien connu en Algérie. Dans plusieurs projets, il a été mis à exécution selon le chronogramme requis. Cependant, depuis une quinzaine d’années, des questions fondamentales se posent avec acuité. D’abord, il y a la faiblesse des bureaux d’études publics algériens hérités de l’économie administrée. Cette faiblesse – en ressources humaines, équipement et nouvelles technologies- est la conséquence de la destructuration du tissu des entreprises publiques au cours de ces vingt dernières années. Les bureaux d’études privés n’ont pas encore acquis l’envergure nécessaire pour prendre le relais.
C’est pourquoi, plusieurs projets relevant des programmes d’investissements publics mis en œuvre depuis 1999 ont fait l’objet d’études réalisés par des bureaux d’études étrangers. Même les conditions fixées par les cahiers de charges qui ont fait l’objet d’appels d’offres internationaux se sont révélées quelques peu dissuasives par rapport aux capacités des bureaux d’études algériens. Cependant, le constat a été fait- y compris par le président de la République qui eut à le déplorer publiquement dans une instruction datant de décembre 2009- que le travail effectué par les bureaux d’études étrangers n’est pas au-dessus de tout soupçon. Des erreurs, des malfaçons, des surestimations ont émaillé plusieurs de ces études qui ont trait à des projets aussi bien d’envergure nationale que ceux d’importance locale.
Ce sont l’affairisme et l’arnaque dans le secteur des bureaux d’études étrangers qui ont fini par échauder les Algériens, ce qui a conduit la directive présidentielle du 13 décembre 2009 à parler d’ » études virtuelle ou fictives qui font l’objet d’un commerce auprès d’opérateurs nationaux. Ces derniers, mal informés, paient le prix fort en devises pour ces études « .
Les préjugés défavorables qui pèsent aujourd’hui sur un grand nombre d’études contractées avec des partenaires étrangers posent en termes crus, la problématique du degré de développement du potentiel » études » » de l’économie algérienne. Sous l’ère de l’économie administrée, et malgré le ‘’volontarisme’’ politique qui avait tendance à évacuer la dimension technique des projets, des bureaux d’études nationaux ont fait œuvre magistrale lorsqu’ ils sont sollicités pour une tâche relevant de leur domaine. Hydraulique, construction, aménagement urbain, architecture, travaux publics et autres secteurs d’activité ont eu leurs bureaux d’études publics. Passés sous le statut d’EPIC à partir de la fin des années quatre-vingt, du siècle dernier, ils firent les frais d’une politique anarchiquement libérale et ils subirent, sans doute avec plus d’acuité et moins de pitié le sort des entreprises publiques qui en arrivèrent à manquer de plans de charges et dégraisser leurs effectifs. Aucun plan de requalification et de mise à niveau n’est venu réhabiliter et promouvoir un potentiel d’études exceptionnel. Pire, la fuite des cadres vers des horizons plus cléments (bureaux d’études privés, installation à l’étranger), phénomène renforcé par la politique stupide de la retraite anticipée, a fini par dévitaliser le peu de boites publiques qui ont survécu jusqu’au milieu des années 1990.
Une saignée dommageable pour l’économie nationale
Les hautes autorités du pays semblent aujourd’hui, se rendre compte de cette saignée qui a fait perdre à l’Algérie d’immenses compétences en matière de bureaux d’études. Le constat est d’autant plus amer que les boites privées installées à la faveur des grands programmes d’investissement de l’État manquent souvent de tout, à commencer par l’essentiel : la ressource humaine. Hormis le gérant qui peut être un ingénieur, un licencié ou un architecte, les prestations qu’un contrat peut induire pour ces bureaux est généralement confié à des ‘’sous-traitants’’. Le concept de sous-traitant est entendu ici dans le sens de ‘’tâcheron’’. Topographe, technicien en travaux publics et d’autres agents indispensables sont recrutés à la hâte pour deux ou trois semaines pour faire le travail de terrain. La synthèse est censée être faite par le responsable de la boite.
Sur le plan matériel, les choses ne semblent pas être différentes. En obtenant un marché auprès d’une direction ou d’une APC, le bureau d’études sollicite son maître de l’ouvrage pour la cartographie que la bureau d’études est supposé acheter auprès de l’Institut national de cartographie. Parfois, il le sollicite même pour un bureau dans lequel il va réaliser ses travaux de dessin ou de cartographie. Dans la plupart des cas, ce genre d’insuffisances se répercute directement sur la qualité des prestations d’étude.
C’est pourquoi, un effort considérable est attendu des pouvoirs publics pour assister les bureaux d’études publics dans leur mise à niveau aussi bien dans le volet technologique (acquisition du matériel numérique utilisé à travers le monde) que dans le volet de la ressource humaine (formation continue pour l’encadrement). Sur le plan de l’accès à la commande publique, ces bureaux d’études publics- de par les économies de devises qu’ils sont susceptibles de générer au trésor public- espèrent bénéficier d’une attention moins distraite des maîtres de l’ouvrage qui lancent des programmes d’investissements publics.
Avec les orientations du nouveau code des marchés publics adopté le mois passé en Conseil des ministres, ce sont bon nombre de bureaux d’études algériens- publics et privés- qui auront l’occasion de se redéployer sur le terrain et de renforcer leurs capacités humaines et techniques pour relever le défi d’une implication plus vigoureuse dans l’acte de développement, et, ce, à la faveur de la clause qui énonce clairement la préférence nationale à hauteur de 25% dans les marchés publics.
Le volet des études requiert, en tout cas, une importance cruciale dans la phase qu’aborde l’économie algérienne où les volumes financiers s’expriment en milliards de dollars. Il serait inconcevable de mobiliser de tels montants pour des infrastructures et équipements d’envergures qui n’auraient pas bénéficié d’études préalables.
Amar Naït Messaoud
