Pour l’année en cours, la loi de finances 2010 a prévu, globalement, des transferts sociaux de l’ordre de
1 100 milliards de dinars (environ 8 milliards de dollars).
La politique sociale de l’Etat proprement dite, mobilise quelque 1 000 milliards de dinars (subventions aux établissements hospitaliers complétant les conventions avec la CNAS, contribution annuelle au Fonds de réserve des retraites, pensions de retraites et petites pensions, soutien des prix des céréales, de l’eau, du lait, transport de marchandises vers les régions du Sud, prise en charge des prestations au profit de la population par des établissements publics à caractère économique et au bénéfice des enfants scolarisés des familles démunies, augmentation des bourses des étudiants et stagiaires, indemnisations des victimes du terrorisme et des victimes de la tragédie nationale). Une partie des fonds sociaux sont destinés aux allocations de chômage, allocations forfaitaires de solidarité (AFS), création des emplois d’attente, dispositif d’aide à l’insertion professionnelle (DAIP), alimentation de la Caisse de sécurité sociale au titre de la compensation des abattements sur la part patronale des cotisations sociales…). D’autre part, les soutiens de l’Etat vont en direction des exonérations ou d’abattements fiscaux comme ceux dont bénéficient les engrais et les produits phytosanitaires en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Les impôts sur les bénéfices des sociétés (IBS) continuent à être exonérés pour les entreprises qui s’engagent à créer au moins cinq emplois permanents. L’Etat consent aussi des soutiens qui ont plus un caractère de fonds de développement qu’un simple transfert social au sens traditionnel du terme. C’est ainsi, que la loi de finances 2010 a prévu la création d’un fonds pour les énergies renouvelables et d’un fonds de développement de l’industrie cinématographique. Un autre fonds, beaucoup plus social celui-là a défrayé la chronique tout au long du premier trimestre de l’année en cours, aussi bien au niveau des banques et des promoteurs immobiliers que de la presse et des franges de la population concernée. Il s’agit, comme on peut le deviner, du fonds réservé à la bonification des taux d’intérêt pour l’acquisition ou la construction de logements dans le cadre des programmes immobiliers soutenus par l’Etat. Les différents établissements bancaires qui réservent traditionnellement une partie de leur portefeuille à la promotion immobilière, à commencer par la Caisse nationale d’épargne et de prévoyance (CNEP), ont reçu au début du mois d’avril 2010, des directives pour appliquer des taux d’intérêt bonifiés allant de 1% à 3 % pour les acquéreurs de logements collectifs (LSP, AADL, promotionnels) selon le niveau salarial de l’acquéreur. Le différentiel entre le taux d’intérêt commercial réel et le taux d’intérêt bonifié est pris en charge par le Trésor public. Dans l’ensemble des fonds et montants destinés au volet social, et pour pouvoir juger et apprécier les parts de budget revenant à chaque chapitre de la loi de finances, la distinction doit être faite entre les transferts destinés à la consommation stricte (soutien des prix, bonification des taux d’intérêt bancaire sur l’acquisition de logement…) et les soutiens destinés à encourager une activité une production ou une branche en matière de création d’emplois et même de création d’entreprises (PME/PMI).
Renversement de tendances
Dans le contexte de la fragilité qui grève encore l’appareil économique national et des risques qui pèsent sur la cohésion et la paix sociale, l’Etat ne peut se dérober à ses devoirs de soutenir les franges les plus vulnérables de la société (chômeurs, handicapés, faibles retraites,…) par l’instauration de minima sociaux au-dessous desquels la dignité humaine serait bafouée et la cohésion de la société mise à mal. Le budget de l’Etat est aussi interpellé comme on l’a vu dans la structure de la loi de finances 2010, par des secteurs particuliers de la vie économique dont le développement ou la relance réclame un “coup de pouce’’ des pouvoirs publics. La situation de transition vers une économie de production basée sur la politique d’entreprise et la compétitivité dans un contexte de mondialisation rampante et impitoyable exige que la politique de soutien de l’Etat se déleste des anciens réflexes où il n’y avait de place que pour le populisme et la démagogie, perversions par lesquelles des soutiens publics effrénés à la consommation furent consentis au grand bonheur des producteurs européens et américains qui nous fournissaient, via la rente pétrolière, tous les produits de consommation domestique. C’étaient les anciens producteurs algériens, à commencer par les agriculteurs, qui furent pénalisés et brisés par de telles mesures. Le renversement de la situation qui fait qu’aujourd’hui, l’Etat décide de soutenir le producteur algérien et non une partie étrangère, est censé participer à l’effort de relance économique. Au milieu des années 2000, il a été reconnu que la valeur moyenne des transferts sociaux au cours des exercices budgétaires de la décennie précédente avoisinait dix milliards de dollars. Ce sont là des chiffres et des réalités qui démentent les accusations que certaines parties lancent à tout-va contre l’action du gouvernement en criant à la ‘“fin de l’Etat-providence’’. Un ancien ministre des Finances, A. Benachenhou, reconnaissait en 2005, devant les députés de l’APN, que ce n’est pas tant le volume des transferts sociaux qui posait problème -il était même excessif-, mais le ciblage dont ont fait l’objet ces volumes financiers, autrement dit les franges sociales et les secteurs de l’économie auxquels ils étaient destinés ainsi que le mode de leur répartition et d’intervention. De même, certaines mesures de soutien à la consommation, par lesquelles par exemple étaient cédés au rabais les légumes secs et le lait en poudre dans les supermarchés de l’Etat, ont eu de graves répercussions que nous payons aujourd’hui. Ce sont les producteurs nationaux à qui l’Etat a fait une concurrence déloyale, via les recettes pétrolières, pour les effacer du paysage économique. Lentilles et pois chiches (venus parfois du lointain Mexique), lait, haricots secs,… sont des produits dont le producteur algérien a presque “oublié’’ le processus de production. Les efforts fournis ces dernières années, par le ministère de l’Agriculture en direction de ces créneaux peinent à donner des résultats tangibles. Preuve en est la crise persistante qui affecte la production laitière et les prix prohibitifs de certains légumes secs. Les fonds de soutien mobilisés à l’occasion de la mise en place des derniers budgets de l’Etat sont à mille lieues de reproduire des situations aussi dommageables pour l’économie nationale. En dehors des pensions des handicapés, moudjahidine et certaines franges vulnérables de la société le gros des dépenses est consacré au soutien de l’Etat aux activités productives et à l’investissement: aides aux agriculteurs, crédits bonifiés pour la création de microentreprises, dégrèvement fiscaux pour certaines activités stratégiques et créatrices d’emplois… Ce qui correspond à 19% du budget de l’année 2010, lequel atteint dans le chapitre des dépenses, le montant de 6 138 milliards de dinars (3 300 milliards de dinars au titre du budget d’équipement et d’investissement et 2 838 milliards de dinars au titre du budget de fonctionnement). Le taux de croissance du PIB attendu pour cette année est de l’ordre de 4% (5,5% hors hydrocarbures) avec un taux d’inflation prévisible de 3,5%. Le volume des importations escompté pour l’année budgétaire 2010, ne devrait pas dépasser les 37 milliards de dinars, soit près de 3 milliards de dollars de moins que l’année 2009. Comme le soulignent les analystes qui sont au fait des mécanismes de fonctionnement de l’économie algérienne, les deux plus grands challenges qu’auront à relever les pouvoirs publics quant au rôle social de l’Etat dans les prochaines années, sont indubitablement la diversification de la provenance des fonds de soutien en dehors de la sphère des hydrocarbures et l’équité dans la distribution des fonds de façon à leur éviter les traditionnels barrages du détournement. Pour tendre vers cet objectif, l’appareil économique national est appelé à d’immenses efforts de réformes de façon à se dégager progressivement de la dépendance vis-à-vis des exportations d’énergie. L’on ne peut assurer force et pérennité à l’action de l’Etat en direction des secteurs économiques les plus demandeurs et en direction des franges les plus sensibles de la population qu’avec une économie libérée des contingences actuelles et solidement amarrée et intégrée à l’économie mondiale.
Amar Naït Messaoud