Bouira : Pauvreté, concept et visibilité

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A l’échelle du pays et selon une étude se basant sur des données du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) il semblerait que le nombre de pauvres dépassait les dix millions, en 2009.

Cette même étude révélait que la pauvreté toucherait deux fois plus le monde rural. Cependant, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité qui préfère le terme “démuni” à celui de “pauvre” parle de 70 302 personnes démunies. Cela étant, il convient de souligner que les deux chiffres avancés ne peuvent refléter la réalité du terrain.

Ceci parce que ni les techniques ni les “instruments de mesures” ne peuvent réellement sonder la misère humaine. Et cela l’est encore moins lorsque l’étude est menée par une institution non qualifiée. Cependant, avoir une idée approximative de la pauvreté à l’échelle d’un espace restreint, la wilaya de Bouira en l’occurrence, est possible. Dans la perspective de distribuer les couffins de Ramadan 2009, les services de la direction de l’action sociale (DAS) avaient recensé 22 000 familles nécessiteuses. En 2010, les mêmes services ont retenu le nombre de 24 800 familles nécessiteuses. En l’espace d’une année, le nombre de ménages dans le besoin, nécessiteuses ou démunies, c’est selon le gentil euphémisme que le ministère de la Solidarité veut mettre en évidence, a donc augmenté de 2 800, selon les très officiels PV de l’action sociale. Cette comptabilité de misère ne révèle malheureusement pas la réalité de la pauvreté dans la wilaya. D’autant plus que les concepts “dans le besoin” et “nécessiteux” ne ratissent pas large et n’identifient qu’une catégorie de  » démunis  » qui en réalité n’est pas, ostentatoirement, visible. Mais déjà et rien qu’à l’échelle de Bouira on approche du chiffre, voire on le dépasse, de 70 302 avancé par le ministère de la Solidarité. Que l’on juge : 24 800 familles nécessiteuses recensées. Avec une moyenne de 4 membres par famille, le nombre de démunis atteint les 99 200. En réalité on n’a pas besoin de connaître tous ces chiffres pour se rendre compte de l’ampleur de la misère. Il suffit de jeter un coup d’œil, même pas regarder ou, encore moins observer, autour de soi pour se rendre compte de l’ampleur de la pauvreté.

Il arrive, hélas souvent, qu’un citoyen soit accosté par une personne lui demandant la sadaqa (aumône). Dans la bouche du quémandeur cela veut dire argent. Proposez  » lui tout ce que vous voulez d’autres que des dinars, il le refusera. En fait, la mendicité est devenue un travail presque comme les autres. Ils sont des centaines de  » mendiants  » à occuper, dès la matinée, les espaces les plus fréquentées de nos villes jusqu’à la fin de l’après-midi. Véritable journée de travail entrecoupée d’une pause déjeuner à midi. Et bien sûr, une technique pour émouvoir le plus de monde. Le scénario le plus répandu est celui de la maman donnant le sein à un bébé et tendant la main aux passants. Et elles sont nombreuses à vivre de ce filon. D’autres femmes, très jeunes pour la plus part et opérant en groupe, harcèlent carrément les citoyens. Elles ne lâchent leur proie qu’après lui avoir soustrait quelques dinars. D’autres encore s’improvisent madame soleil et prédisent un meilleur avenir aux badauds crédules moyennant des dinars.

Si jamais vous vous retrouver, par hasard du côté de la gare ferroviaire, vous ne raterez sans doute pas l’image de ce quinquagénaire tête baissée et accroupi devant sa pièce d’identité. Le  » pauvre  » ne dit mot et ne lève la tête à aucun moment. Il excelle dans l’art de pleurer sur commande à chaque fois qu’il sent une présence humaine. D’autres encore, vous imposent leurs handicaps physiques. Image choc ! C’est le cas de deux amputés, l’un installé devant le bureau de poste du centre-ville, l’autre à l’intérieur du marché couvert. Les deux ont sciemment choisi des lieux où foule et argent circulent. Mais cet aspect mise en scène de la misère n’exclut en rien la pauvreté.

Plus que pendant le reste de l’année, le mois de Ramadan est la période où la pauvreté voire la misère, est la plus visible. Les marchés et les devantures de centres commerciaux en pullulent.

Des visages non familiers y campent, sans mise en scène. Ils vous accostent franchement pour vous demander de leur acheter un kilo de ceci ou un sachet de lait. Autrement dit, le pauvre vous demande à manger. Vous venez d’avoir la preuve que des concitoyens n’ont pas de quoi se nourrir. La demande vous gène, voire vous culpabilise. Vous payez le kilo de ceci que l’on vous demande et même plus pour avoir la conscience plus tranquille. Mais un jour, peut-être, le jour où les richesses du pays seraient intelligemment gérées par ceux chargés de les fructifier, pour assurer la cohésion sociale, personne ne viendra vous demander de lui acheter un kilo de cela.

Salas. O.

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