Sadia Tabti est cette artiste plasticienne qui excelle dans l’art du collage, la peinture sur cartes postales et la récupération de vieux livres auxquels elle redonne vie et beauté. L’art de Sadia reflète ses pensées, ses émotions, ses rêves, ses souvenirs et ses espoirs, celui entre autres, de partager avec les enfants de Kabylie toutes les connaissances qu’elle a acquises. Elle nous parle de tout cela avec l’amour profond qu’elle porte à la Kabylie de ses ancêtres.
La dépêche de Kabylie :Comment es-tu venue à l’art du collage, est-ce pour rompre avec les méthodes traditionnelles de la peinture?
Sadia Tabti: J’ai fait 9 années de céramique plus particulièrement du Raku en Rhône-Alpes, ce qui m’intéressait c’était de travailler avec différents supports. J’essayais différentes techniques transfert, dessin, bois, verre… Je mélangeais la terre, les couleurs, les écritures et transfert d’images, c’est ce qui m’a amenée vers l’art plastique. J’avais un besoin de mélanger l’acrylique, le collage, les mots, les dessins et l’Art Postal m’a tout simplement attiré par ce fabuleux moyen de communication.
Quelles sont les matières que tu utilises pour la réalisation de tes œuvres ?
J’utilise l’acrylique, les ocres, le fusain, le pastel et le collage. J’écris des rebus, des mots, des poésies.
Pourquoi le collage spécialement sur des enveloppes?
C’est lourd de sens…Les premières enveloppes illustrées apparaissent au XIXe siècle en Autriche, Angleterre et France. L’art postal est une forme d’art. Ces petites œuvres qui voyagent à découvert par la poste doivent avoir une adresse et un timbre oblitéré. Apollinaire, Mallarmé envoyaient leurs enveloppes illustrées avec des poésies. Picasso faisait un clin d’œil aux galeristes «en disant que l’art ne s’achète pas». Pendant la 1ère guerre Mondiale, des soldats et officiers prisonniers soumis à la censure envoyaient des enveloppes sous forme de cartes postales. L’art postal c’est la liberté de déchirer des images, de superposer, de gribouiller d’écrire les mots de laisser sa créativité s’exprimer. Ces enveloppes sont empreintes de poésies, toutes ces créations témoignent de la diversité et c’est un moyen de communiquer et d’échanger.
Ton travail s’adresse spécialement aux enfants; quelles sont les traces marquantes que ces enfants laissent sur les enveloppes?
Mon premier projet a été de lancer par le biais d’Internet un thème, «Kateb Yacine». Je fus fort étonnée que des artistes soient entrés dans le jeu. Ensuite, il y eut une continuité avec les enfants de Ighil Bawamas et franchement, en regardant certaines enveloppes, nous ne voyions pas de différence entre une œuvre d’enfant et celle d’un artiste. C’est un clin d’œil à l’art et à la créativité. C’est ce travail qui m’intéresse. Concernant les enfants ce qui est important c’est que le thème les interpellent, c’est pourquoi j’aime animer des ateliers en Kabylie : Ils aiment leur terre, leur région, leur culture et tous ces écrivains, poètes plasticiens, chanteurs, musiciens qui ont tant marqué leur région. Donc à chaque atelier nous avons un thème lié à la Kabylie.
J’ai vu des enfants t’entourer, te solliciter à tout moment; quel en est le secret? Quelle est la méthode que tu utilises pour les intéresser, à ce point, à cet art?
Nous commençons par nous approprier l’espace. Cette année notre atelier s’est déroulé sous les oliviers et l’environnement s’y prêtait bien car le thème était «l’eau, l’argile et le feu».
En utilisant le collage, le dessin, le pastel, l’acrylique, les mots, la poésie, je les accompagne afin qu’ils puissent libérer leur créativité à travers leur émotion et leur ressenti. A chaque fois, ils m’étonnent et je suis saisie par les murmures de vie et d’histoire de ces jeunes à travers leurs petites œuvres. Je m’inspire de Kateb Yacine pour les amener à écrire les trois éléments en français, arabe et tifinagh. Chaque artiste en herbe accrochait son œuvre sur les branches d’oliviers et cet instant était unique et figé par une photo. Nous étions ravis…Il y a autant de garçons que de filles. Petite anecdote : cet été dans l’atelier «le chef de bande» qui était très indiscipliné au départ, a créé 4 petites œuvres et il était mon co-animateur en fin d’atelier, un vrai artiste…
Tu as exposé dans divers pays d’Europe mais tes retours en Kabylie ressemblent à un appel, je me trompe?
Oui, mon père est de Taguercift, commune de Freha, c’est un hymne, un champ d’amour où j’aime me ressourcer. Sa beauté avec ses pierres, ses oliviers, ses habitants… les souvenirs des vacances de mon enfance. Un clin d’œil, le grand maître de Chaâbi, El Hadj El Anka était originaire du village. Cet appel se retrouve dans ces petites œuvres qui font apparaître les fragments de ma région, telle qu’elle me traverse, me transporte, me blesse et laisse des traces.
Comment peut-on réaliser de si belles œuvres avec des choses simples et surtout disponibles?
Je répondrais l’émotion et le ressenti.
As-tu des projets pour les enfants de Kabylie? Lesquels?
Oui, pendant l’année scolaire 2009-2010 j’ai fait un projet avec les enfants d’une école du 1er arrondissement et je compte le transposer en Kabylie. Je n’en dirais pas plus, c’est une surprise
Hadjira Oubachir