Lors des assises de l’industrie agroalimentaire tenues à Alger il y a quelques mois, le secrétaire général du ministère de l’Agriculture et du Développement rural a déclaré que “les besoins alimentaires de l’Algérie par jour ont été multipliés par 7,5 depuis 1962 contre un quadruplement de la production alimentaire nationale”.
À cet indicateur de poids qui montre le hiatus entre la production et la consommation des produits alimentaire est venu s’ajouter cette illustration donnée à l’occasion de ces assises par le directeur général de l’Agence algérienne de la promotion des exportations (Algex), Mohamed Benini : les exportations algériennes de produits alimentaires demeurent ‘’dérisoire’’ puisqu’elles n’ont engrangé que 97,4 millions de dollars en 2009 (en baisse de 6% par rapport à 2008), contre 5,8 milliards de dollars d’importations de biens alimentaires sur la même année. Un écart de 4 milliards de dollars !
Le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Dr.Rachid Benaïssa, a souligné en 2008 le grand fossé qui sépare l’activité agricole en tant que sphère de production et l’activité de transformation agro-industrielle en tant que sphère où se crée la valeur ajoutée et qui donne ainsi des débouchés variés aux produits agricoles. » Il n’y aura pas de modernisation de l’agriculture si les entreprises de l’agroalimentaire continuent à tourner le dos à la production nationale (…) Nous avons constaté que nous sommes l’un des rares pays au monde où l’appareil de transformation du secteur de l’agroalimentaire n’est pas du tout en phase avec le monde agricole. Notre conviction est le rapprochement des professionnels du monde agricole afin de mettre fin au dysfonctionnement qu’a provoqué l’appareil agro-industriel « . En effet, la mauvaise prise en charge des secteurs de la transformation a fait que, au début des années 2000, de la tomate industrielle à El Tarf, des abricots à N’Gaous et du lait de vache à Guelma ont été déversés dans les rivières faute d’ateliers de transformation. Des images dramatiques qui incitent tous les acteurs agricoles à une réflexion sérieuse et profonde sur le sujet.
Depuis le lancement du PNDA en 1999, le département de l’agriculture a fait de la politique de reconversion (céréales/arboriculture) son credo pour sortir, soutenait-on, de la fatalité de l’agriculture pluviale. Cette orientation, renforcée par une politique audacieuse de mobilisation des ressources hydriques menée par le ministère des Ressources en eau (barrages, forages, retenues collinaires, captage de sources), a eu quelques résultats dans des périmètres circonscrits à l’échelle de certaines wilayas. Localement, il y a même des zones où on a enregistré des surproductions dans certaines cultures fruitières (poires, pommes, abricots) et oléicoles. Cependant, les voies pour la prise en charge de ces excédents par le secteur de l’agroalimentaire et par une politique imaginative et hardie d’exportation n’ont pas été clairement tracées.
Le marché des produits agricoles a, depuis 2007, subi de profondes transformations et a pu mettre à nu les dysfonctionnements liés au secteur agricole algérien comme il a jeté une lumière crue sur les menaces de la sécurité alimentaire qui affectent une grande partie de la planète.
Prix et production
La hausse des prix des produits alimentaires (produits agricoles frais, conservés ou manufacturés) et la rareté ayant touché une partie d’entre eux ne sont pas sans soulever moult interrogations sur la politique agricole du pays et sur la stratégie de développement rural mise en œuvre par les pouvoirs publics depuis quelques années d’autant plus que cette crise trouve en Algérie une dramatique expression par la fragilisation de plus en plus accrue de larges franges de la population, catégories déjà malmenées par le chômage chronique, la faiblesse des revenus et même un état de patente pauvreté.
Les tensions répétitives sur le lait, le surenchérissement du prix des huiles végétales (palme, soja, olive,…) et du sucre ainsi que la cote historique atteinte par la pomme de terre à partir du milieu de l’année 2007 ont donné un franc avant-goût aux Algériens de ce qui les attend pour les années à venir au cas où une politique hardie et entreprenante n’est pas mise en branle dans ce domaine.
Le problème ne se pose plus en termes de simples performances d’un secteur qu’il y aurait lieu de rehausser et de perfectionner. Il s’agit tout crûment de la sécurité alimentaire de tout un pays. Jamais sans doute un concept fort répandu et même galvaudé pendant les années soixante-dix et quatre-vingt du siècle dernier n’a joui d’un usage aussi actualisé et d’un lifting conceptuel aussi unanime. La sécurité alimentaire revient en effet sur la table des politiques, dans les graphes des économistes, dans les laboratoires des généticiens et dans les analyses et discussions des médias. À côté de ce concept de sécurité alimentaire, un autre thème qui lui était très proche avait pour nom ‘’autosuffisance alimentaire’’. Une chose est sûre : ces deux concepts, aussi nuancés soient-ils et aussi bien attentionnés que puissent paraître leur auteurs, étaient souvent utilisés par des gestionnaires politiciens pour des motifs de simple propagande où se mêlaient velléités collectivistes, pratiques bureaucratiques et mentalité rentière.
Les ménages sous pression
Après les premiers déboires des produits agricoles enregistrés en 2007 à l’échelle de la planète (mauvaises récoltes, augmentation excessive des prix des carburants et d’autres intrants à l’exemple des engrais et pesticides, dérèglements climatiques,…), le renchérissement des produits alimentaires est un phénomène qui a pris depuis 2008 un aspect durable dans la quasi totalité des pays du monde.
En faisant jonction avec la chute de places financières et d’établissements bancaires à travers plusieurs pays du monde, la tension sur les produits alimentaires prend plus d’accent et exprime un aspect de gravité démultiplié du problème.
Le soutien apporté à l’agriculture n’est pas circonscrit à la période de crise. Cependant, dans des circonstances particulières de tension, l’intervention des pouvoirs publics non seulement est grandement souhaitée, mais elle est surtout appelée à ciblage judicieux et rationnel qui évite la précipitation. L’inflation ayant touché la presque totalité des produits alimentaires- hormis certains fruits et légumes de saison- a conduit l’ancien gouvernement Belkhadem à recourir à la politique du soutien des prix dès la fin 2007. C’est une solution d’urgence que les économistes verraient d’un mauvais œil si par malheur elle venait à se substituer à une véritable politique de croissance agricole qui toucherait toutes les filières (élevage, céréaliculture, arboriculture,…) et qui déboucherait sur une chaîne agroalimentaire solide et solidaire. Cela voudrait dire qu’il y a lieu de valoriser et de prolonger les efforts consentis depuis le début des années 2000 par le ministère de tutelle en corrigeant le tir quand cela s’avère nécessaire.
La politique agricole telle qu’elle est consacrée depuis le début des années 2 000 au niveau du département de tutelle se décline en grands axes complémentaires : l’agriculture professionnelle qui se donne des critères spécifiques pour cibler son domaine d’intervention (à savoir les exploitations titrées des régions de plaine, les EAC-EAI, les segments du secteur agroalimentaire,…) et le développement rural devant intervenir dans les zones reculées de la montagne ou de la steppe touchées par des problèmes spécifiques. Parallèlement au soutien apporté à l’agriculture professionnelle suivant les filières (lait, céréales, légumes secs, chambres froides), et ce à travers le FNDIA (Fonds national du développement et de l’investissement agricoles), les espaces ruraux situés dans les zones de montagne ou dans la steppe font l’objet d’une nouvelle attention des pouvoirs publics. Car, ces espaces se trouvent fragilisés par plusieurs facteurs auxquels échappe l’agriculture professionnelle : enclavement, morcellement de la propriété érosion des sols, absence de titres de propriété déficit en infrastructures et équipements publics (écoles, centres de santé et de loisirs, électricité ouvrages hydrauliques et de desserte,…etc). En outre, ces zones ont gravement souffert de la période d’insécurité entre 1993 et 2002, ce qui a entraîné un exode forcé de plusieurs centaines de milliers d’habitants vers les villes.
Les exigences du marché mondial
L’Algérie n’a d’autre choix que de s’adapter au nouveau contexte mondial en matière de production agricole, de jonction entre celle-ci et le monde agro-industriel et d’initiation d’une politique d’exportation agricole offensive pour diversifier l’origine des recettes budgétaires.
Certes, des efforts ont été déployés en direction du secteur de l’agriculture par les soutiens aux producteurs, la mise à niveau des exploitations agricoles et l’extension de la surface agricole utile (concessions, mise en valeur par l’accession à la propriété foncière,…). Cependant, le déficit de prise en charge du secteur de la transformation (agroalimentaire) a fait que des fruits, des légumes et du lait se trouvant, il y a quelques années, en situation de surproduction, ont été jetés dans la nature. La chaîne agroalimentaire permettant d’absorber le surplus de production a rarement suivi. Il en est de même des possibilités d’exportation d’une partie des produits. Outre la qualité des produits, l’un des plus sérieux handicaps pour se lancer dans cette dernière activité étant le conditionnement, l’emballage et le design. Cette opération exige une qualité phytosanitaire impeccable des produits et un conditionnement qui réponde aux normes internationales. Le problème soulevé par la production viticole, particulièrement le raisin de cuve, est encore plus corsé dans les wilayas où il y a eu, depuis le début de la décennie en cours, de vastes programmes de réhabilitation de cette production. Les capacités des anciennes caves sont saturées. En outre, sur le plan du marché mondial des vins où l’Algérie occupait jadis une place de choix, il y a eu une évolution fulgurante qui a fait que, au cours des 30 dernières années-où l’Algérie s’occupait de l’arrachage de la vigne- ce qui, soit dit en passant, a fortement endommagé les sols et les a fait exposer à une dangereuse érosion-, les goûts et les choix gastronomiques ont imposé de nouvelles variétés de vins issus de cépages que l’Algérie n’a pas eu l’occasion de tester, de produire et d’acclimater.
Amar Naït Messaoud